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26 juillet 2006

Commentaires

Isabelle Carrère

Dans les derniers jours de vie de ma grand-mère, je ‘jouais’ avec elle : découpant des morceaux de papier pour qu’ils aient tous à peu près la même longueur, elle les disposait sur la table où nous étions accoudées. Méticuleusement elle en changeait l’ordre, faisant des piles très droites. « Tu ne fais plus cela maintenant à ton travail, me dit-elle. Avec le progrès, plus besoin de faire ça ». Et elle éclata d’un rire sonore. « A l’usine, il fallait bien tout classer, les papiers des ouvriers. Et si quelqu’un oubliait le sien, moi je lui en donnais un à la place et ... Ni vu ni connu ! Le patron n’en savait rien ! » Clin d’œil et plaisir de partager cette vision sienne d’avoir ‘roulé le patron' et marqué sa solidarité avec ses collègues.
J’ai maintes fois constaté, dans cet Alzheimer déclaré, la richesse de ces allers et retours sans ambages ni pudeurs, entre présent et passé. Ma grand-mère se racontait à tous les temps. L’impression qu’en fait, de sa mémoire, elle faisait ‘ce qu’elle voulait’ : se rappelait des choses qu’elle aimait à contempler (l’arbre qu’avait planté son mari et mesurait au moins 100 mètres), les situations traumatiques et/mais valorisées (les pommes de terre qu’il me fallait admirer, dans le tiroir de sa commode, qu’elle disait avoir caché là pour « qu’ils ne les aient pas ») et ‘oubliait’ ce qu’elle n’arrivait plus à se rappeler … oui, elle oubliait quand elle était consciente qu’elle n’arrivait plus : impossible de se souvenir que j’avais des filles. Certains jours elle ne reconnaissait plus ma mère. D’ailleurs moi-même, je ne sais pas qui j’étais pour elle à ces moments-là. De la présence humaine simplement. Etre avec elle. Avec en effet, des mots porteurs d’intentions.

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