Le Pape n'a parlé qu'en passant de l'islam, dans son discours qui visait les gens d'Europe ou d'Occident pour leur apporter ce message: quand vous êtes dans la raison, vous êtes dans le divin. Ce n'est pas la première fois que l'Eglise, devant les risques de voir son message se dissoudre, réagit en se raccrochant à des thèmes humanistes en vogue - comme les droits de l'homme ou… la raison unique. Même si cela contredit sa longue histoire où il n'est pas évident qu'elle ait toujours promu la raison ou défendu les droits de l'homme. Mais on a envie de lui dire: Bonne chance… Chacun joue les cartes qu'il peut pour avancer dans ses projets.
La citation du Pape sur l'islam a confirmé que, même en passant, même en citant, on ne doit pas contrarier l'islam; le monde musulman est à vif, impossible de critiquer sa religion, de lui imputer fanatisme ou violence: c'est reçu – et cela se comprend – comme une attaque, un acte hostile. Curieusement, cela n'entraîne pas des réfutations, qui après tout serait possibles, mais des déchaînements de foules, manipulées ou non. Ce qui se donne pour "débat" ou "dialogue" est un ressassement de clichés (toujours les mêmes: Averroès, Avicenne, Ibn Tufayl, l'Andalousie… ce qui soulève chez certains la question qu'ils refoulent: mais pourquoi rien ou presque depuis l'Andalousie, et depuis Averroès?...). Il y a même une censure préventive qui écarte des débats ceux qui pourraient les renouveler, toujours au nom du même interdit: où la critique est prise pour une insulte.
En fait, cela invite à mieux cerner pourquoi le dialogue est, pour l'instant, impossible, quoiqu'en dise une certaine langue de bois qui croit remplir cette fonction de dialogue.
Ce que le Pape a dit dans son cours assez dense sur la foi et la raison, ce n'est pas que les uns, les chrétiens, auraient la raison, et que les autres, les musulmans ne l'auraient pas. Ce serait trop gros, et d'ailleurs faux. Il a seulement cité un empereur byzantin au nom curieux: Manuel II Paléologue. A entendre, presque, comme: manuel de paléo-logique, comme pour marquer un retour au discours premier, paléo-logos, qui n'est peut-être pas seulement le logos divin, mais un fait historique rappelé au passage: qui dit Byzance ou Constantinople dit conquête de cette ville par les troupes islamiques. Et le Manuel en question a vécu cette défaite, il était là. Façon indirecte de rappeler que l'islam, surgi d'Arabie, a bâti son espace par la force et les armes; sans toujours en user: pour la prise de Jérusalem, le rapport de force était tel que les prêtres ont remis les clés de la ville, tout simplement, aux troupes musulmanes. Le Pape a donc signifié que le vaste espace de l'islam s'est construit sur le jihad – mot qui ne signifie pas seulement effort intérieur mais guerre aux infidèles, pour exalter Allah; sachant qu'il y a l'espace de paix (c'est-à-dire d'islam) et que le reste est espace de guerre virtuel (harb). Si le pape avait voulu pointer ce fait, il n'aurait pu citer personne d'autre que ce M. Paléologue. (L'islamisation était subtile; comme ailleurs la christianisation: une fois l'espace conquis et le pouvoir bien en main, les lois de la dimhitude faisaient le reste. On n'était pas forcé de se convertir mais ne pas le faire était nocif.)
Bien sûr, les musulmans lui répondraient que le christianisme aussi a porté sa foi dans le sillage des conquêtes; et que les Croisades par exemple… A quoi il répondrait qu'elles répliquaient à la conquête de la Terre
Du coup, était-ce une manière (paléo-logique) de dire: Stop, maintenant soyons raisonnables. Mettons-nous tous sous le signe de la raison? Peut-être. Mais alors, il reste à la définir ladite raison, et à comprendre pourquoi elle sert si peu dans les affaires humaines. La confondre avec le logos divin créateur, comme l'a fait le Pape, est très osé: on ne peut quand même pas dire que l'acte créatif ce soit de la raison pure. Dans mes recherches[1], je montre en quel sens c'est de l'ordre de l'entre-deux: entre rationnel et irrationnel, entre conscient et inconscient, ordre et chaos, matière et mémoire, etc. Donc, ce ne sera pas simple de mettre le logos divin, les religions, les identités… - sous l'emblème de la seule raison. Outre que lorsque la raison est seule, elle a tendance à devenir folle. On peut, bien sûr, se rabattre aussi sur la valeur absolue de chaque humain, donc sur les Droits de l'homme, l'autre volet du programme. L'ennui est que pour des raisons identitaires, des hommes se groupent pour décréter que d'autres sont une menace pour… l'humain comme tel; qu'il faut donc les effacer. Que tel peuple n'a pas lieu d'être, que tel Etat n'est pas à sa place…
C'est dire que l'obstacle majeur est un problème d'identité. Et sous sa forme actuelle, il est unique et très étrange. Partons de ce constat: lorsqu'on critique l'islam et qu'on est entendu (d'une place papale, ou médiatique: caricatures de Mahomet), c'est le tollé général. En toute logique, pour avoir la paix, il ne faut pas que les non-musulmans parlent de l'islam. Ce serait possible, bien que très difficile (mondialisation, migrations…). Or le fait est que l'islam, lui, dans son Texte fondateur, ne cesse de parler des autres - des gens du Livre: juifs et chrétiens. Et pour cause: il a emprunté à leurs Livres toute sa substance, mais en posant que sous son égide, cette substance est bonne, et sous la leur, elle est mauvaise. D'ailleurs, autre évidence pour qui a lu les Textes, le Allah du Coran maudit les chrétiens parce qu'ils sont "idolâtres" et les juifs parce qu'ils sont "pervers" et trahissent le message divin. La principale façon – très logique - qu'a eue le Coran de se distinguer d'eux, c'est de les pourfendre comme traîtres, pour leur refus de se "soumettre", c'est-à-dire s'islamiser. C'est là un fait qui n'est ni rationnel ni irrationnel, c'est un problème de construction identitaire. Beaucoup d'érudits citent des versets qui atténuent cette cassure, mais ne la suppriment pas, d'autant que les versets qu'ils citent sont souvent tronqués. Par exemple, le fameux: "N'affrontez [ou: ne discutez avec] les gens du Livre qu'avec précaution" [ou: de belle manière – selon certains] (29, 46). La fin du verset précise: "sauf quand ils sont injustes". Or ils le sont, s'ils refusent de reconnaître Mahomet.
En somme, il y a problème, mais ce qu'il a d'original, de singulier, c'est qu'il comporte l'interdit d'en parler. Pour l'instant. Voilà qui le rendra encore longtemps insurmontable.
C'est ce problème qui conditionne le fait que l'islam a peu évolué, et qu'on cite toujours les mêmes noms médiévaux, la même tolérance andalouse – qui en effet existe quand le pouvoir islamique est indiscuté, comme ce fut la cas, mais qui est très problématique quand il y a deux ou plusieurs souverainetés. Certains Occidentaux, assoiffés de culpabilité, imputeraient bien à l'Occident, c'est-à-dire à leurs pères, ce manque d'évolution; et ils seraient bien ennuyés de découvrir qu'il tient plutôt à la situation, à l'histoire initiale, paléo-logique. C'est souvent eux qui s'opposent au dialogue, confondant l'affectif et le rationnel, oubliant que c'est une posture paternaliste que d'éviter à l'autre toute critique contrariante.
Il s'ensuit que les mêmes ritournelles reviendront sur le fait que l'islamisme "n'a rien à voir avec l'islam"; bien que ses combattants ne cessent de citer le Coran. Dire qu'"il n'a rien à voir", c'est seulement dire que certains modérés se démarquent des islamistes; tant mieux; cela n'empêche pas les masses, elles, d'en être fières et de les protéger. Ni les grands Etats islamiques de les financer.
On attendra donc longtemps des interprètes du Texte qui nous expliqueront qu'il ne s'oppose en rien aux autres dès lors qu'ils sont "justes", c'est-à-dire qu'ils adoptent la vraie foi… Jusqu'à présent, on voit surtout des prosélytes qui tronquent les versets et qui nous lancent par exemple celui-ci: "Ne tuez pas votre prochain qu'Allah a sacré" (6, 151) - comme preuve qu'on n'a rien à voir avec les islamistes; sauf que ceux-ci invoquent le même verset dûment complété: "… sauf pour une cause juste" [ou: à bon droit – selon d'autres].
Quand à l'idée papale qu'il faut agir selon la raison pour être conforme à la nature de Dieu, idée de philosophe – pas seulement grec –la question commence lorsqu'on remarque que l'essentiel de ce qu'on fait échappe à "la raison". Le Dieu biblique, par exemple, différent d'Allah (puisqu'il est entre-deux: il fulmine et il aime, il maudit les siens et il les bénit), ce Dieu donc avait simplement posé: J'ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie afin que tu vives… Autrement dit, actualise, chaque fois que tu peux, tes choix de vie. Avec ou sans raison…
Il y a encore beaucoup à faire pour, non pas "dialoguer", mais mieux: rendre possible le fait de vivre ensemble, côte à côte, en osant se saluer, se parler de temps à autre, très légèrement… Une suggestion simple, allant dans ce sens, serait celle-ci: qu'au niveau de chaque pays, des représentants des trois monothéismes se réunissent (même s'ils ne sont pas totalement représentatifs) et décident officiellement d'écarter de leurs Textes les paroles désobligeantes pour les autres. C'est une question très concrète. N'oublions pas qu'un des faits majeurs de Vatican II fut d'interdire qu'on enseigne et qu'on diffuse que le peuple juif est perfide, ou déicide. Or la question va se poser concrètement: les paroles d'un Texte sacré qui traite les autres d'idolâtres, de pervers, de "maudits", seront-elles enseignées dans des institutions reconnues? financées par l'Etat? ou par des fonds étrangers? Ne seront-elles pas gênantes pour ceux qui les apprennent sachant qu'ils vont rencontrer, chaque jour, ces autres, et les regarder en face?
[1] . Notamment dans mes Lectures bibliques, à paraître en octobre.
Petite rectification
Quand à l'idée papale qu'il faut agir
Quant à l'idée papale qu'il faut agir
Rédigé par : BORIES | 05 octobre 2006 à 10:44
Vous omettez de dire que le pape est Allemand ! C'est pas bien ça ! Benoit XVI a dit simplement aux musulmans du monde : " ecoutez, nous, Chretiens , on a commis les pires crimes de l'Histoire ! Je peux vous assurer en tant qu'homme et en plus allemand , je sais de quoi je parle ! Alors evitez d'en faire autant , mes freres musulmans en humanité ! Je sais que vous ne voulez pas croire a l'inconscient .. parce que c'est un juif qui l'a decouvert .. Mais croyez moi, mes freres, vous en avez UN ( ! ) aussi , et il va vous revenir à la TETE , et ça fait mal ... et pendant longtemps ! Par exemple, François Mitterand , au moment de la reunification de l'allemagne , il a eu peur que mon pays se tourne vers l'est ( geo politique selon Napoleon .. ) ! Pas du tout !. L'allemagne a abandonné son " marque " et s'est tourné encore plus vers l'Europe de l'Ouest ! "
Alors lui repond le President Iranien : " quoi faire ? Vos democraties sont tellement compliquées !
Regardez dans vos democraties, vous discutez sans cesse pour savoir quelle peine infliger à un voleur ?? ça fait des années et des annees que vous discutez, que vous debatez , comme vous dites .. C'est trop complqué pour nous, vos democraties ! Nous, on a pris le Coran .. et comme depuis 15 siecles , on coupe les mains au voleur ! Come ça il ne peut plus voler ! "
Le Pape a alors souri...
Il s'est dit : " comment aider qq'un qui ne veut pas de mon aide ?? A quand le droit d'ingerence effectif ???
Rédigé par : bibinous | 07 octobre 2006 à 16:36
Mais que sont donc devenus vos deux dernières notes ?
Moi je trouvais cette version du....Ne pas critiquer l'islam mais le connaitre et théologocentrisme, plutôt intéressante, tout en me disant qu'il manquait cruellement un mot dans vos notes.....
Le mot : " PEUR"..... la peur de quoi ? chacun y mettra ce qu'il voudra, mais cette peur qui peut empêcher toute objectivité et discernement aux plus érudits !
Reste un autre mot, pourtant très simple, mais tout aussi dérangeant pour certains.... Pourquoi ?
Ce pourquoi obligeant tout un chacun a se pencher sur ces mêmes peurs.........pour pouvoir répondre.
Faut-il en conclure que votre PS. : "Nous ( au fait c'est qui nous ?) ouvrirons prochainement une rubrique : Citations du Coran dans l'esprit d'une meilleure connaissance des problèmes et symboliques qui se posent de toute façon....."
tombe aux oubliettes ? Comme se serait dommage !
Pourtant il me semble qu'elles partaient d'une réflexion sur la liberté d'expression si chère a tous... comme tout cela est étrange !!!!
Et avec une pointe d'humeur ou d' humour je me dis : une petite peur qui traine ? malgré cet immense avantage que donne la sérénité ( je vous cite )
Alors, Monsieur Sibony pouvez-vous m'expliquer "pourquoi" ces deux dernières notes ont subitement disparues de cet écran ?
Rédigé par : mikk.y | 17 octobre 2006 à 12:48
Monsieur Sibony, je voudrais vous envoyer des choses sans rapport avec ces chroniques... où peut-on vous écrire ? par avance merci
Rédigé par : Mevouchal | 18 octobre 2006 à 13:42