J'étais invité à un séminaire d'enseignants suisses pour parler d'identités, de religion, des problèmes qu'ils ont avec des élèves issus d'autres cultures; car fréquemment, en cours d'histoire-géo, de lettres ou de philo, des élèves musulmans objectent que c'est faux, que le Coran dit le contraire, etc. Mais ce qui a fait déborder le vase et provoqué la décision de se réunir et d'en parler, c'est un cas rarissime, celui d’un élève juif qui a dit que le discours qu'il entendait sur le Proche-Orient était antisémite et visait à délégitimer Israël.
Parmi toutes les choses que j'ai dites, j'ai insisté sur la dignité de l'enseignant, sa liberté, son autorité - non pas formelle mais en acte, du fait qu'il est auteur de son discours, bien que celui-ci relève d’un programme. J'ai dit que sur des problèmes chauds, il pouvait transmettre chacune des positions en présence, par exemple, sur le Proche-Orient, la position européenne, occidentale, arabe, palestinienne, israélienne, et juive. C’est une vraie diversité, très bénéfique pour l'esprit, quand c’est bien fait, notamment avec un peu de sincérité. C'est d'ailleurs cette diversité que j'ai produite dans mon livre “Proche-Orient psychanalyse d’un conflit”.
Après ma conférence, que je ne rapporterai pas, une prof de droit a fait la sienne sur ce qui est permis ou non par la loi. Par exemple, est-ce que les caricatures de Mahomet sont insultantes pour “l'autre”? elle pense que oui, et qu'il faudrait les interdire, mais ce n'est pas encore dans la loi. Elle a évoqué un procès qu'une association pro-palestinienne a fait à l'entreprise Caterpillar pour avoir été “complice des crimes de guerre israéliens en Cisjordanie”. L'association fut déboutée car la complicité de l'entreprise de tracteurs n'a pas été établie, pour des actes israéliens qui consistaient à détruire par ces engins les maisons de ceux qui s’explosaient dans des lieux publics, faisant des victimes civiles. L'intérêt de cette information, c'est qu’en focalisant sur Caterpillar, elle soustrait à la discussion le point central, qui semble acquis, celui des crimes de guerre israéliens. J'ai dit à cette prof qu'un élève juif qui aurait entendu cela en classe aurait lui aussi” pété un câble” comme ils l’ont dit du précedent, celui qui est parti pour fuir un discours anti-juif; et que le remède, là encore, serait de transmettre les points de vue en présence : pour l'Europe et les palestiniens, c'est un crime de guerre; pour les Israéliens c'est la seule sanction possible contre des auteurs d'attentats- suicides, faute de quoi, ces hommes seraient une arme absolue, sans recours; qu’en outre, les Israéliens informent les habitants de la maison et les font sortir avant; que les accords de Genève qui définissent les crimes de guerre pointent comme un crime le fait de détruire une maison habitée. Erreur, répond la prof, la Cour de Genève a modifié ce point : détruire une maison qui n'est pas un objectif militaire, est un crime de guerre, même si elle est vide. J'ai répondu qu’en exposant les points de vue, ce serait bon d’intégrer aussi celui de la Cour de Genève. Réponse de la juriste : nous n'allons tout de même pas mettre sur le même plan le point de vue de la Cour de Genève et celui de l'État israélien !
Comme quoi, faire état des différents points de vue, suppose l'acte, difficile pour certains, de les considérer sur le même plan, non pour les égaliser, mais pour leur donner lieu, comme points de vue, dans la vision qu’on a de la chose. Et c'est difficile, pour ceux qui pensent que certains sont d'avance condamnés, et d'autres d'avance innocents.
Le point de vue de l'État hébreu, qui n’est en principe pas évoqué, considère que les hommes-bombes font la guerre, et que leurs maisons ont une valeur dans cette guerre, que les détruire a une valeur militaire dissuasive, qui peut amener les familles à être plus vigilantes sur les actes de leurs fils, à moins qu'elle ne soient unanimes pour soutenir l’acte de guerre sainte, d'aller exploser au milieu d'une foule juive.
La même juriste avait argumenté pour l'interdiction des caricatures, en avançant cet argument : “Écoutez, franchement, nous en étions là il y a deux siècles, à être révoltés si on touche à notre religion; alors, on peut leur accorder cela” (aux musulmans)… La condescendance, voire le mépris pour ces derniers, la dame ne les percevait pas; ni le mépris pour la fameuse liberté d'expression, celle dont les caricaturistes sont devenus le symbole; symbole difficile, puisque, par métier, ils ne peuvent parler d'une chose qu’en la caricaturant.
Commentaires