Au journal, ils pensaient travailler en France, sous la protection de la loi française. Erreur fatale : il y a la loi française et il y a aussi la charia, la loi islamique, qui aujourd'hui encore, dans des pays musulmans, punit de mort ceux qui se moquent de la religion, qui n'en parlent pas comme il faut, avec une dévotion sans réserve. Donc, un groupe d'islamistes qui est venu exécuter la charia sur ces journalistes qui, croyant vivre sous la loi française, ne pensaient pas transgresser, en faisant des caricatures de l'islam. Ils ont fait comme si, en France, la charia et la loi française n’étaient pas rivales. (Et dans certains territoires - que des historiens qualifient de perdus pour la République, puisque même la police n’y va pas - il n'y a qu'une loi, la charia.) Et les juifs, dans leur boutique hyper-cachère, croyaient que la France les protégeait du djihad ; du djihad français.
L'emprise de la charia en France, ne se réduit pas à des exécutions sommaires. Elle consiste plus largement à interdire toute critique sur l'islam, surtout chez les non-musulmans. (Et dire qu'il comporte la charia et le djihad, c'est une critique. Donc la charia en France consiste à empêcher qu'on la nomme.) Mais si des foules importantes sont prêtes à manifester quand la charia ordonne des exécutions, ou qu’elle appelle à la guerre sainte, très peu sont prêts à descendre dans la rue pour protester contre la censure. Et pour cause, la plupart ne s'en rendent pas compte. Les médias font le black out sur les agressions quotidiennes, et mènent un tir de barrage contre tout ce qui laisse entendre qu'il y aurait dans l'islam des appels à la violence envers les autres. Le Coran a beau maudire nommément les « gens du Livre » (juifs et chrétiens) parce qu’« ils se moquent de la religion des musulmans » (5,57), il ne faut pas en parler, car il y a risque d'amalgame, de stigmatisation, d'islamophobie (mon logiciel de dictée a écrit islam aux phobies…)
Ainsi on est chaque fois dans une pensée totale : une critique sur les aspects violents que comporte l'islam, dans son texte fondateur, est exclue car elle est prise comme un rejet de tout l'islam, et un rejet de type raciste. C'est sans doute là le véritable amalgame que font ceux qui dénoncent l'amalgame. C'est le fait de mélanger le tout et la partie, et de poser que chaque chose est ce qu'elle est totalement, ou alors elle n'est pas. Or l'objet du débat, qui est le contenu du Coran, est justement partagé : un bon tiers de ce Livre est violent envers les juifs et les chrétiens. Cette partie correspond à ce qu'on appelle les sourates médinoises, les dernières, où Mahomet se déchaîne contre eux parce qu'ils ne l'ont pas suivi. L'autre partie du Coran, plus pacifique, transmet ce qu’il a élaboré dans sa période mecquoise, à partir de ce qu'il a appris des marchands juifs et chrétiens.
Un problème majeur, c’est que la partie violente, qui demande que l'on combatte les injustes, les pervers, les infidèles que sont les juifs et les chrétiens, est édulcorée dans les traductions. On trouvera par exemple : Tuez les faiseurs de dieux partout où vous les trouverez. (9,5). Or aujourd'hui, personne n'est vraiment un faiseur de dieux, donc la phrase semble anodine. Mais ceux qui l’apprennent en arabe savent qu'il s'agit des chrétiens (moushrikines) parce qu’ils font de Jésus un Dieu. Ayant vécu en terre arabe, je peux témoigner que l'accusation suprême, qu’il faut à tout prix éviter, c'est celle d'avoir insulté la religion (la vraie, bien sûr, l’islamique) ou de s'en être moqué. On comprend que des croyants, soudain saisis par un élan d'enthousiasme pour leur texte, puissent le mettre à exécution. On peut dire que les extrémistes violents qui mettent en acte le texte dur, ont le mérite de le faire connaître aux autres musulmans, qui semblent l'ignorer et qui aimeraient s'en tenir aux parties calmes qu'ils connaissent. Ils refusent qu'on les amalgame avec ces extrémistes ; mais l'extrémisme est dans le texte, et nul ne peut dire à l'avance quelle personne ou quel groupe voudra soudain le mettre en acte. Des foules musulmanes nombreuses qui défileraient pour dénoncer cet extrémisme auraient le mérite de s'en démarquer réellement. Pour l'instant ce n'est pas le cas, la ritournelle obsédante qu'on répète est que la violence qui se réclame de l'islam provient de fous, de détraqués, de cas sociaux, mais qu'elle n'a rien à voir avec l'islam. On voit qu’elle a à voir de façon subtile : ce sont des gens calmes, discrets, comme tout le monde, qui soudain entrent en action. De braves psychologues s'échinent sur l’idée de passage à l'acte, mais elle est inopérante : un passage à l'acte, c'est quand les paroles manquent et que l’acte les remplace ; ici, les paroles sont déjà là, et demandent à être appliquées. Jusqu'à présent, très peu s’y essayaient, la présence islamique n'était pas assez importante dans le pays pour que l'idée d'appliquer la charia en France ait un sens. Mais s’il y a 6 millions de musulmans en France, il suffit que 2 % soient saisis de zèle pour qu’on ait 100 000 personnes décidées à agir. Or il suffirait de 10 000 pour que l’autocensure soit totale, et que la mise au pas dans les écoles, les cités, etc. soit vigoureuse.
La réalité semble montrer que l'islam s'intègre à la France si la France s'intègre à l'islam, c'est-à-dire s’aligne sur lui sans objecter.
En somme, les musulmans modérés, qui dénient tout simplement l'existence de la partie violente du Coran, pensent que leur déni couvrira cette partie violente sous des versets pacifiques ; en fait, leur déni protège cette partie violente et donc la transmet. De sorte que la partie dure de l'islam, celle qui en veut aux autres, se transmet efficacement par deux voies : le déni venant des modérés et l'action directe venant des extrémistes.
Du reste, après l'exécution des journalistes, l'écart n'était pas si grand dans les discours entre : ils l'ont bien mérité, ils ont insulté le Prophète, et ils ont insulté le Prophète mais c'est une punition trop dure. La même nuance qu'on a connue après le 11 septembre 2001.
Si les modérés veulent se démarquer de la charia et du djihad, ils ont tout loisir de les dénoncer comme tels. Pour l'instant, ils nient que cela existe dans le Coran.
Mais tout cela est secondaire par rapport à l'attitude de l'Etat français. Il ne changera pas l'islam, mais peut-il empêcher que l'islam le change? Jusqu'ici, il a repris à son compte ce même déni, il s'interdit de traiter les intégristes violents comme les combattants d'une idéologie voire d'un pays, l'État islamique. Donc, il leur applique les mesures légales qui protègent l’accusé dans un Etat de droit. Il connaît les réseaux, et il les « suit » de près jusqu'à ce que le meurtre soit commis moyennant quoi il a la preuve que tel et tel, dont on ne l'aurait vraiment pas cru, a tué. Ce fut le cas pour Mérah comme pour les deux frères qui ont « tué Charlie hebdo » On n’avait pas de preuves suffisantes pour les arrêter, jusqu'à ce que la preuve soit inutile. Bref, on traite des soldats d'un État et d'une Cause très précise comme des fous, des délinquants qui dérapent, des criminels de droit commun ; et c'est logique puisqu'on ne veut pas reconnaître l'existence d'une partie violente de l'islam, qui est endossée et prise en charge par un nombre important de personnes.
Il y aura donc régulièrement des sacrifices humains pour payer ce déni qui se révèle confortable. À long terme, ce déni fait tort à l'islam, puisqu'il le pose comme une entité totale, sans faille, faite d'amour et de tolérance. Il faudra beaucoup d'ignorance et un fort matraquage idéologique pour faire croire qu'il n'y a pas de djihad dans l'islam, sachant que le vaste empire islamique s'est formé au fil des siècles par des djihads successifs.
En analysant la question des caricatures, comme symbole[1], j'ai montré la difficulté d'auteurs musulmans éclairés à admettre réellement la liberté d'expression. C’est qu'elle entrave leur déni des parties violentes. Donc, à moins d'un réel sursaut (mais d'où viendrait-il ?), c'est cette liberté que l'on va enterrer en grand cortège. Pourtant l'immense majorité de ceux qui vont défiler sont contre la charia et contre le djihad - qui a encore tué des juifs. Ce sera dur, d’entendre répéter qu'on est contre cette violence qui n'a rien à voir avec l'islam, qu’elle est importée du dehors, de l'étranger (l'idée que le Coran est importé de l'étranger semble bizarre alors que des écoles coraniques en France enseignent sagement les versets en question.) Ce sera pénible à entendre, parce que Charlie Hebdo touchait à l’islam (qui doit rester intouchable), et qu’il a été tué par des gens qui appliquaient les parties dures de l’islam. Et les autres sont morts parce que « juifs », symbole de ce qui est à la source du Coran, et que le Coran s’acharne en vain à réduire.
[1] Voir Islam, Phobie, Culpabilité
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