Chers visiteurs,
La nouvelle adresse pour suivre l'actualité de Daniel Sibony est la suivante :
Bonne visite.
La nouvelle adresse pour suivre l'actualité de Daniel Sibony est la suivante :
Bonne visite.
24 juin 2015 | Lien permanent
|
Depuis ce texte, (Difficile Diversité, voir le blog) un compte-rendu du petit colloque des enseignants est paru dans la Tribune de Genève sous le titre : "Des enseignants n'osent plus parler d'islam et de judaïsme". Du coup, j'ai mieux compris le sens dudit colloque : les enseignants de cet établissement se coltinent depuis des mois et des années des élèves musulmans qui leur disent : "ça ce n'est pas dans le Coran" ou "ça ce n'est pas conforme à ce qu'on m'a dit dans la mosquée", etc. (ou d'autres exemples que je cite dans Le grand malentendu, comme celui de la prof qui informe sur les Trois Monothéismes et qui se fait interrompre quand elle les classe par ordre chronologique : "M'dame, vous avez tout faux, c'est l'islam le premier". Donc, ces profs supportaient sans rien dire, et pendant tout ce temps, ils ne se sont pas sentis autorisés à se réunir pour en parler. On les comprend, c'eût été "stigmatisant" pour l'islam, ou « discriminant ». (Discriminer, c’est aussi faire une différence lorsqu’elle s'impose dans le réel, et si c'est mal de distinguer ou de faire une différence, on file tout droit vers un monde d'indifférence, qu'on aura ensuite tout loisir de déplorer.) Il a fallu attendre qu'un élève juif "pète les plombs" devant un discours de l'enseignant, discours qu'il trouvait antisémite (et qui l'était par la simple omission du point de vue juif sur le conflit du Proche-Orient, de sorte que l’enseignant n’y endossait qu’un seul point de vue), il a fallu attendre cet esclandre pour se permettre de se réunir sous le signe qu'indique le titre : des profs n'osent plus parler de judaïsme et d'islam. Cet élève était donc une aubaine, c'est grâce à lui qu'ils ont osé évoquer leurs problèmes à eux, que le journal met sous ce drôle de chapeau, comme si les juifs étaient nombreux à protester contre un manque de "respect" pour leur religion. Ils n’en ont rien à faire, et ce cas ne se produit pas. Dans le cas de cet élève, il ne s'agit pas de judaïsme et d'islam, il n'a pas supporté un discours à sens unique qui délégitime Israël. Il n'avait pas tort, mais il ne savait pas que son cas servirait surtout à donner un peu de courage aux enseignants et à leur institution. Le courage de parler – une journée et entre soi - des problèmes qu'ils affrontent tous les jours. Courage qui a disparu sous la peur d'être taxé d'islamophobie.
Ce terme, lancé comme une peau de banane par des pervers, a permis toutes les glissades, et a faussé tous les débats ; il était fait pour ça. Néanmoins, cela prouve qu'il y a bel et bien une phobie de l'islam chez beaucoup d’enseignants et chez tant de responsables ; une peur qui évoque celle de l'homme BCBG, menant une vie sans histoire (ou qu'il aimerait telle) et qui se fait interpeller par un homme fougueux colérique, qui peut lui exploser au nez à tout instant.
Il y a dans la société européenne une peur de la violence, et c'est ce qui la rend incapable d'affronter la violence, et même d'être contre, quoi qu’elle en dise. Pour être contre la violence, il faut être capable de l'affronter. Cela demande un courage, physique et symbolique. Or si les corps se couchent, la violence devient un objet phobique, redouté et jouissif. Trop long à développer ici. Ce qui est sûr, c'est que la critique de la violence comme d'une substance mauvaise, alors que la violence est une relation, cette fausse critique a produit une phobie ; comme d’une substance mortelle qu'il faut à tout prix éviter. Et on y arrive grâce à un remède parfait : la lâcheté ; souvent déguisée en indifférence ; on s'efface, on fait le vide, mais quand on fait le vide devant des personnes qui elles veulent faire le plein, et occuper le terrain ou le discours, l'ambiance devient toxique. Et la dignité des individus, ne s'en porte pas très bien.
Or la réaction d'élèves musulmans se comprend, elle tient au fait que leur carcan identitaire est si susceptible envers les autres, que tout ce qui n'y entre pas peut leur paraîtra une objection radicale, une menace voire une attaque. Ce n'est bien sûr pas une atmosphère favorable à l'échange, encore moins à la critique. Et le double discours s'installe tranquillement dans l'opinion, dans le discours ambiant qui tisse une socialité.
Un autre détail confirme cet épisode. Si vous avez fait des recherches sur l'islam, et si vous en faites un livre, il est hors de question d’en parler dans les médias en l’absence d'un musulman ; il faut qu'il soit là pour répondre, pour corriger. Et vous risquez d’être critique ; or l’islam n’est pas critiquable, sauf par les siens[1]. Du coup, vous aimeriez discuter publiquement avec eux, mais s’ils se défilent, et ça arrive, il n’y aura pas de discussion. En revanche, on a beaucoup de « dialogues » où un musulman explique ce qu’est l’islam à des ignorants, qui objectent juste ce qu’il faut pour que la leçon soit édifiante.
Tout cela en dit long sur le niveau où se retrouve la liberté d’expression. Des gens s'obsèdent sur celle de faire des caricatures, mais elle est supprimée de facto (par la peur des dessinateurs pour leur peau ; qui peut la leur reprocher ? au contraire, leur peur accuse la société, et la lâcheté qu’elle diffuse). Mais on en oublie d'autres formes de liberté qui s'étouffe tout doucement ; comme la liberté de parler des problèmes qu'on se pose.
[1] On comprend la gêne de certains, de se voir soudain promus héros de la pensée dès qu’ils arrivent à dire qu’il y a problème ; c’est tellement audacieux, qu’il n’y a plus à l’analyser, encore moins à proposer des approches de solutions.
08 juin 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Une ONG qui porte ce nom en anglais a révélé le témoignage de soldats israéliens qui avouent avoir tiré sur des civils sciemment, et affirment que leur armée a perdu le sens moral (cela signale déjà qu'elle en avait un, du moins jusqu'à leur témoignage). Cela fait les titres des journaux, où l'autre point de vue n'est pas rapporté, selon lequel ces témoignages sont des faux, commandés et bien payés par une association islamique des droits de l'homme.
Que peut-on en penser ? Il est clair que s’il y a une poignée de tarés dans cette armée, on peut faire confiance aux médias pour les mettre en valeur, et leur donner la parole. Y compris les médias israéliens, car eux aussi ont besoin de se mettre en valeur, d’apparaître des combattants de la vérité - qui sera d'autant plus vraie qu'elle paraîtra plus contrariante ; ils sont comme ça. Et tel que je connais leur pays, ce n'est pas vraiment le lieu où l'on peut garder le silence ; tant mieux, et l’on peut faire confiance à leur justice : s’il y a des coupables ils seront punis, c'est aussi un des mérites de leur bureaucratie.
En fait, ils sont sans doute plus qu'une poignée, il doit y avoir dans cette armée un pourcentage de tarés comparable aux autres armées européennes, où l'on vient d'épingler des soldats violeurs en Afrique. Mais c'est la logique médiatique que de chercher l'information scandaleuse et de la diffuser si elle va dans le sens de l'opinion voulue, ou si elle crée une opinion que l'on croit maîtriser puisqu'on en est la cause. Il y a une lutte sur « l'info », où peu importe la vérité d’une information ou sa valeur indicative, ce qui compte c'est de la lancer et de paraître à la tête du mouvement qu'elle provoque. L'enjeu c'est la place de pouvoir que donnerait l'information. Elle donnerait à ceux qui la révèlent un pouvoir d’autant plus grand qu’elle serait plus scandaleuse. Mais de tels pouvoirs s'annulent, comme des « infos » qui se contredisent et se succèdent, l'une effaçant la précédente ; sauf si l'on gère les informations dans le même sens, en gommant d’autres points de vue. Et cela donne le discours de propagande qui nous enveloppe gentiment, et qui assène des propos allant toujours dans le même sens, fût-il contredit par d'autres réalités.
L'œuvre d'art exprime ces choses avec plus de finesse et plus de vraisemblance. Je pense au film Amrican Sniper, un grand Clint Eastwood, qui montre les dilemmes terribles d'un Marine en Irak, un tireur d'élite qui se demande s’il doit tirer sur cette femme accompagnée de sa fillette ; puis il la voit remettre à celle-ci un engin explosif et s'en aller ; et il tire et tue la fille. Ou encore, après avoir abattu un homme en civil qui tenait un lance-roquettes et montait au front, il voit qu’un petit garçon tente de reprendre l'engin et d'y aller lui-même – alors il le vise avec angoisse - mais l’enfant n'y arrive pas et lâche l’objet ; soulagement. ( En Israël, il y a un terme populaire sur les soldats dans ces cas : yorim oubokhim, ils tirent et ils pleurent). On imagine tant d'autres cas pour ce Marine, mais il a eu de la chance et a pu passer à travers, tout en étant assez abîmé psychiquement par ces tensions extrêmes. Et c’est de retour chez lui, heureux de se retirer et de retrouver sa famille, qu’il se fait tuer accidentellement par un vétéran d'Irak, qu’il essayait d'aider. (Le vétéran handicapé n’a pas dû aimer cet homme qui a vécu le même enfer et qui s’en est tiré, lui.) Mais l’accident est signifiant : l’homme s'était bien débrouillé avec ses ennemis, et c'est un des siens qui le tue.
Peut-être en va-t-il de même avec beaucoup de soldats israéliens qui ont fait ce qu'ils ont pu pour éviter les bavures, et c’est au retour, après la bataille, qu’ils sont « tués » en image par les leurs. Ils savent comme tout le monde qu'il n'y a pas de guerre propre, mais ils ignorent que leur guerre, on leur demande qu’elle soit morale, bien que les lignes de front ne soient pas des lieux propices aux leçons de morale.
Tout cela nous mène aussi vers d'autres mythes bien nourris par les médias, comme le mythe d'une guerre sans victime ; car une victime, habillée comme souvent en civil, pointe celui qui l'a tuée comme un bourreau. On veut donc des guerres sans victimes ni bourreaux, sans vaincus ni vainqueurs ; on veut pas-de-guerre-du-tout peut être ? Mais le monde qu'on fabrique ne s’y prête pas vraiment.
06 mai 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
J'étais invité à un séminaire d'enseignants suisses pour parler d'identités, de religion, des problèmes qu'ils ont avec des élèves issus d'autres cultures; car fréquemment, en cours d'histoire-géo, de lettres ou de philo, des élèves musulmans objectent que c'est faux, que le Coran dit le contraire, etc. Mais ce qui a fait déborder le vase et provoqué la décision de se réunir et d'en parler, c'est un cas rarissime, celui d’un élève juif qui a dit que le discours qu'il entendait sur le Proche-Orient était antisémite et visait à délégitimer Israël.
Parmi toutes les choses que j'ai dites, j'ai insisté sur la dignité de l'enseignant, sa liberté, son autorité - non pas formelle mais en acte, du fait qu'il est auteur de son discours, bien que celui-ci relève d’un programme. J'ai dit que sur des problèmes chauds, il pouvait transmettre chacune des positions en présence, par exemple, sur le Proche-Orient, la position européenne, occidentale, arabe, palestinienne, israélienne, et juive. C’est une vraie diversité, très bénéfique pour l'esprit, quand c’est bien fait, notamment avec un peu de sincérité. C'est d'ailleurs cette diversité que j'ai produite dans mon livre “Proche-Orient psychanalyse d’un conflit”.
Après ma conférence, que je ne rapporterai pas, une prof de droit a fait la sienne sur ce qui est permis ou non par la loi. Par exemple, est-ce que les caricatures de Mahomet sont insultantes pour “l'autre”? elle pense que oui, et qu'il faudrait les interdire, mais ce n'est pas encore dans la loi. Elle a évoqué un procès qu'une association pro-palestinienne a fait à l'entreprise Caterpillar pour avoir été “complice des crimes de guerre israéliens en Cisjordanie”. L'association fut déboutée car la complicité de l'entreprise de tracteurs n'a pas été établie, pour des actes israéliens qui consistaient à détruire par ces engins les maisons de ceux qui s’explosaient dans des lieux publics, faisant des victimes civiles. L'intérêt de cette information, c'est qu’en focalisant sur Caterpillar, elle soustrait à la discussion le point central, qui semble acquis, celui des crimes de guerre israéliens. J'ai dit à cette prof qu'un élève juif qui aurait entendu cela en classe aurait lui aussi” pété un câble” comme ils l’ont dit du précedent, celui qui est parti pour fuir un discours anti-juif; et que le remède, là encore, serait de transmettre les points de vue en présence : pour l'Europe et les palestiniens, c'est un crime de guerre; pour les Israéliens c'est la seule sanction possible contre des auteurs d'attentats- suicides, faute de quoi, ces hommes seraient une arme absolue, sans recours; qu’en outre, les Israéliens informent les habitants de la maison et les font sortir avant; que les accords de Genève qui définissent les crimes de guerre pointent comme un crime le fait de détruire une maison habitée. Erreur, répond la prof, la Cour de Genève a modifié ce point : détruire une maison qui n'est pas un objectif militaire, est un crime de guerre, même si elle est vide. J'ai répondu qu’en exposant les points de vue, ce serait bon d’intégrer aussi celui de la Cour de Genève. Réponse de la juriste : nous n'allons tout de même pas mettre sur le même plan le point de vue de la Cour de Genève et celui de l'État israélien !
Comme quoi, faire état des différents points de vue, suppose l'acte, difficile pour certains, de les considérer sur le même plan, non pour les égaliser, mais pour leur donner lieu, comme points de vue, dans la vision qu’on a de la chose. Et c'est difficile, pour ceux qui pensent que certains sont d'avance condamnés, et d'autres d'avance innocents.
Le point de vue de l'État hébreu, qui n’est en principe pas évoqué, considère que les hommes-bombes font la guerre, et que leurs maisons ont une valeur dans cette guerre, que les détruire a une valeur militaire dissuasive, qui peut amener les familles à être plus vigilantes sur les actes de leurs fils, à moins qu'elle ne soient unanimes pour soutenir l’acte de guerre sainte, d'aller exploser au milieu d'une foule juive.
La même juriste avait argumenté pour l'interdiction des caricatures, en avançant cet argument : “Écoutez, franchement, nous en étions là il y a deux siècles, à être révoltés si on touche à notre religion; alors, on peut leur accorder cela” (aux musulmans)… La condescendance, voire le mépris pour ces derniers, la dame ne les percevait pas; ni le mépris pour la fameuse liberté d'expression, celle dont les caricaturistes sont devenus le symbole; symbole difficile, puisque, par métier, ils ne peuvent parler d'une chose qu’en la caricaturant.
04 mai 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
On sait que la déprime, moyenne ou grave, est une formation narcissique où rien d’autre ne compte pour le sujet que lui-même… en train de dire et de penser que rien ne compte, que la vie n’a pas d’intérêt, ne mérite pas d’être vécue, etc. Mais il faut qu’il soit là pour le dire et s’entourer de la compassion de ses proches.
L’acte « suicidaire » du copilote allemand montre jusqu’où peut aller l’aspect narcissique, puisqu’il englobe littéralement le corps des autres qui l’entouraient. De son point de vue, il s’est tué tout seul, il n’a pas trouvé place dans sa tête, pour une représentation des autres, dans leur vie propre et leur autonomie. C’est comme s’il s’écrasait en étant enveloppé par l’avion plein de présences neutres, non-signifiantes, faisant partie de son décor. On sait que certains déprimés trainent pendant des années leur déprime et leur promesse de mourir, mais se contentent d’en « faire baver » aux personnes de leur entourage. Cet homme, lui, les a fait crever, presque en passant ; ces gens ne comptaient pas pour lui ; ils l’accompagnaient simplement ; il ne le leur a pas « demandé », puisqu’ils ne comptaient pas.
Mais il faut nuancer ces remarques, car la « descente » de l’avion fut assez longue, et l’on peut penser qu’il y a eu dans sa tête, sinon une lutte ou une longue hésitation, du moins une tentative de prise en compte, un effort hébété de se représenter ces êtres ; en vain, bien sûr, mais cela frôle la question de la jouissance qu’il a eue, et qui pour le coup, relève de la cruauté. Celle-ci se distingue du meurtre sauvage ou de la violence aveugle : c’est un acte pervers commis sur des gens qui ne le sont pas mais dont on cherche à ce qu’ils soient solidaires de l’acte qu’on leur impose ; à ce qu’ils en soient partie prenante, ou qu’ils en donnent les apparences. Histoire de mieux marquer sa toute puissance. Le viol en est un exemple, ou l’acte pédophile qui repose sur la confiance de l’enfant dans l’adulte ; le choix de Sophie en est un autre, où une mère dans un Camp nazi doit « choisir » lequel de ses deux petits se fera gazer en premier. Ici, les passagers sont solidaires du pilote, ils sont avec lui, en toute confiance, et c’est à sa mort qu’il les mène, les privant de leur mort à eux, celle de leur vie. C’est son flash qu’il leur impose.
Complément
Depuis le crash, on apprend toutes sortes de choses. Notamment que son acte était prémédité ; mais cela ne change rien au sens de cet acte, qui est d’inscrire sa loi narcissique, en ponctuant l'inscription par un bon paquet de vies sacrifiées en même temps, en guise d’accompagnement.
Cet acte n'est pas psychotique, il ne déforme pas la réalité, il la prend telle qu'elle est pour s'y inscrire comme décision ; une décision où il trahit son contrat, mais celui-ci n'est pas toute la réalité. Ceux qui parlent de bouffée psychotique veulent dire parfois que pour eux, cet acte est « fou », au sens où ce n'est sûrement pas eux qui le feraient. Ils refusent de s'identifier si peu que ce soit à l'auteur de cet acte ; c'est à leur honneur, mais cela ne suffit pas à faire de lui un fou.
Si l'on compare cet acte à ceux des terroristes qu’on a vus récemment, ils relèvent de la même logique, mais dans le cas du pilote, c'est une loi narcissique personnelle qui s'inscrit ; dans le cas des terroristes identitaires ou idéologiques, c'est une loi narcissique collective. Curieusement, dans ce dernier cas aussi, beaucoup s'acharnent à dire que ces terroristes sont des fous ; il peut y avoir des fous parmi eux, mais leur acte d’inscrire une loi narcissique collective n'est pas psychotique. C'est un acte pervers appliqué à des gens qui ne le sont pas, avec parfois un surcroît de cruauté comme je l'ai expliqué[1].
Par ailleurs, dire que ce pilote allemand est un Érostrate est inexact. Érostrate a brûlé le temple d'Éphèse pour avoir une renommée ; il ne s'est pas brûlé avec, il voulait être là pour jouir de cette renommée ne fût-ce qu'un moment, c'était sa principale motivation. Ce n'est pas le cas pour cet acte suicidaire qui accomplit la dépression du sujet. La renommée y intervient comme supplément d’une jouissance, dont le flux principal est le flash dépressif.
J’ai dit que cet acte ne manquait pas de cruauté ; il s’y ajoute celle-ci : c'est à cause du supplément de sécurité que l'autre pilote n'a pas pu regagner la cabine et sauver la situation. Autrement dit, la sécurité a été utilisée pour accomplir la catastrophe. Cela aussi n'est pas sans rapport avec les terroristes : ceux-ci utilisent les lois pour rester protégés jusqu'à l'accomplissement de l’acte. Et les tenants de la loi constatent alors amèrement qu’ils se sont fait avoir.
En fait de sécurité, la compagnie est coupable de négligence gravissime. Mauvais entretien de l'appareil, au sens large du terme. L'appareil comporte aussi ceux qui l’actionnent, les pilotes ; il faut qu'ils soient eux aussi en bonne forme. Quand on sait que l'un d’eux est gravement malade, c'est pire que de mettre une pièce défectueuse dans le moteur ; c'est un énorme ratage de l'entretien. Entretenir un objet aussi complexe qu'un avion en vol, c'est s'entretenir avec tous ces éléments, y compris humains, et s'entretenir avec eux de façon humaine, qui comporte si possible la rigueur et la grâce. Les deux ont fait défaut.
[1] Voir le texte : Comment devient-on un tueur pour la bonne cause ?
28 mars 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
À force de penser aux actes antijuifs se réclamant de l'islam, on en oublie la vieille vindicte antijuive distillée par le christianisme pendant des siècles, qui continue d'être enseignée au catéchisme. C'est ainsi qu'une maman d'élèves m'apprend que son petit de cinq ans est rentré de l'école en criant Dieu est mort ! Elle pensait qu'il citait Nietzsche, car il est très avancé, mais non, car il a ajouté et C’est les juifs qui l'ont tué ! Elle s'en est inquiétée, elle a parlé à une proche, catholique, qui en a parlé au curé de la paroisse, à Paris, et il n'a rien répliqué, lui suggérant de laisser tomber cette question ; plus précisément, de ne pas en parler.
Ce n'est déjà pas si mal, que la vindicte antijuive du christianisme, des chrétiens veuillent qu'on n'en parle pas, mais acceptent de l'enseigner aux enfants. De même, la vindicte antijuive de l'islam, les musulmans, surtout en Europe, invitent à ne pas en parler, et même à nier qu'elle existe dans leurs textes fondateurs, ce qui est une autre façon de la protéger et de continuer à l'enseigner ; c’est le cas dans toute école coranique qui se respecte. Ce désir de ne pas en parler indique au moins un tiraillement entre la fidélité à la tradition, et le sursaut d'honnêteté qu'imposerait l'évidence.
Car enfin, s'agissant du christianisme, quatre points évidents sont à rappeler :1) Ce ne sont pas les Juifs qui ont tué Jésus, mais les Romains ; car sous l’occupation romaine, les Juifs n'avaient pas droit de vie et de mort même sur des juifs ; et Jésus en était un (ce que bien des chrétiens ignorent) 2) Les Évangiles parlent de la foule des Juifs qui approuvèrent sa mise à mort. Mais ils parlent aussi des foules qui le suivaient pendant sa prédication qui a duré trois ans ; et ces foules, c'étaient des Juifs. N'est-il pas curieux que lorsque des foules suivent Jésus on ne dise pas qu’elles sont juives, mais quand une foule lui est hostile, elle soit juive et représente « les Juifs » ? Pourquoi ne pas reconnaître à ce peuple une certaine diversité ? 3) Dans leur grande majorité, les fidèles de ce qui allait devenir le christianisme étaient des Juifs. On peut même dire que ce sont eux qui, les premiers temps, ont donné corps à cette nouvelle religion, qui est née, rappelons-le, du cœur même de la juive, et qui ne cesse de se référer aux textes juifs. 4) N'est-il pas indécent que le christianisme retienne surtout - et enseigne – que « les Juifs » ont tué Dieu, quand c'est eux qui ont apporté ce Dieu ? Je parle non seulement du Dieu-homme que serait Jésus mais du Dieu de la Bible juive qui est aussi le Dieu des chrétiens ?
28 mars 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Beaucoup ont du mal à comprendre qu'un homme puisse tuer et se tuer pour une grande cause, une religion, une idéologie. Pourtant le phénomène existe, mais leur résistance à le comprendre semble être leur façon de dire : nous n'avons, avec cet homme, aucun point commun, aucune identification. Voilà qui est peut-être à leur honneur, mais qui n'aide pas à y voir clair. On doit pouvoir identifier des choses avec lesquelles on n’a « rien à voir », a priori.
Donc, pour éclairer ce phénomène partons de la pulsion de lien[1], qui fait qu'un homme a besoin de liens pour vivre, de liens qu'il considère comme vivants, qui lui épargnent la sensation pénible d'être seul au monde, et qui nourrissent son être au monde par le contact avec un groupe qui lui donne un peu de chaleur, de présence humaine. Cet homme peut donc rejoindre un groupe qui lui fournit de l'appartenance, qui peut même le mettre en scène et en valeur. Imaginons qu'il ait rejoint dans les années 50 un parti communiste. Il en reçoit, à tort ou à raison peu importe, le sentiment de lutter pour abolir l'injustice, l'exploitation, etc. Tout en jouissant du coude à coude fraternel avec ses camarades, il accède à ce qui distingue son groupe des autres, par exemple à la haine qu'il nourrit envers « l'ennemi de classe », les « agents du pouvoir », etc. Il peut, s'il veut renforcer son appartenance, endosser ces affects, les nourrir de sa passion, suffisamment pour en faire une valeur qui éclipse toutes les autres. Sans aller jusqu'à tuer pour le parti, ce qui n'est pas à exclure, il peut sacrifier la vérité et la justice pour défendre le parti, qui est une cause supérieure. Les témoignages là-dessus sont innombrables. J'ai évoqué celui d’une intellectuelle communiste[2], qui lors du procès d’un rescapé d’URSS qui dénonçait le régime soviétique, lui a refusé tout soutien, alors même qu'elle le savait innocent et de bonne foi. Cet homme s'est suicidé faute de soutien. Elle a expliqué son refus par le fait que, devant la valeur du parti et l'immensité de sa cause, cette injustice semblait infime et nécessaire. Elle ajouta : « nous étions des croyants ». Mais la croyance est une forme simplifiée de l'amour. Elle aimait le parti, qui lui donnait une place, un rôle social gratifiant. Et cela suffit, même dans des contextes non partisans, dans une grande entreprise par exemple, à « flinguer » un collègue ou un gêneur pour avoir un plus d'amour, avec ses variantes : plus de poids, plus d’influence, de reconnaissance, etc.
En somme, on rejoint un groupe ou une idéologie par un transfert d'amour, d'amour narcissique au départ, qui se renforce et se sublime dans l'amour du groupe, de l'existence concrète du groupe plutôt que de son chef ou de son idéal. Ce qui porte le sujet, c'est l'existence des liens tissés par le groupe, au point que si on les coupait, il tomberait dans le vide ; c'est du moins ce qu'il pense. Si maintenant on suppose que le groupe est habité par la haine envers certains autres, le sujet peut vouloir la mettre en acte et gagner par la même une surdose d'admiration et d'amour. Le groupe communiste était habité par la haine de classe ; le groupe nazi par la haine des juifs ; le groupe islamique par la haine des insoumis juifs et chrétiens. Dans chacun de ces cas, la texture même du groupe, parfois renforcée par ses textes, fait que des sujets se dressent et mettent en acte la chose. Ils peuvent aller jusqu'à considérer qu'il n'y a pas de limite dans ce qu'on peut infliger à l'autre puisque cet autre représente le contraire même du groupe qui les porte. On dit qu'ils considèrent l'autre comme un objet, ce n'est pas sûr : il suffit qu'ils le considèrent comme un humain qu'il faut éliminer ; sachant que dans l’élimination, on peut se permettre un supplément de violence qui s'appelle de la cruauté et qui consiste à faire en sorte que la victime participe elle-même à son exécution ou à son avilissement. C'est là un supplément de jouissance que s'autorisent volontiers ces justiciers qui appliquent simplement la loi narcissique du groupe qu’ils aiment, et pas à tort, puisqu'il leur donne le cordon ombilical qui les relie à la vie.
On peut même dire que ces tueurs pour la bonne cause sont psychiquement plus atteints que l’est un serial killer. Celui-ci porte un jugement sur lui-même, et sur quelques autres, pour signifier : je suis plus important que tout, j'ai juste besoin de quelques corps pour combler ma fêlure insupportable ; alors que les tueurs pour la bonne cause portent un jugement sur la vie et sur l'être, qu'ils réduisent à cet être particulier qu'est leur groupe, leur religion, leur idéologie, leur Dieu… Ils diront que cet être particulier est en fait le plus universel qui soit, c'est encore un coup de force où leur tendance singulière se totalise pour absorber tout le monde. Ainsi, l'amour pour eux-mêmes, consolidé grâce à l'amour qui fonde le groupe, leur fait faire une double opération : restreindre la vie jusqu'à leur groupe singulier, auquel ils donnent ensuite une portée totalisante.
L’énigme de départ devient ainsi plus abordable: ce sont des gens totalitaires, pas toujours violents, mais qui projettent le tout de la vie dans telle entité, tel collectif que nomme leur idéologie. On peut dire que pour eux, l’être en tant qu’infini du possible se réduit à cet être là. Cette réduction peut faire d’eux des tueurs, et ce qui les distingue d’un sérial killer, c’est que celui-ci travaille pour son compte, celui de son narcissisme, et que ces gens travaillent aussi pour leur narcissisme mais « gonflé » par ladite Cause, jusqu’à s’identifier à elle.
[1] J’ai introduit ce terme dans mon livre Perversions, à propos des « maladies du lien ».
[2] Voir Islam, Phobie, Culpabilité p.120 et sq
28 mars 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Je l'ai dit, cette fête commémore l'idée que le destin peut faire une grâce énorme, radicale, existentielle, comme celle qu'il fit (dans cette histoire) à tout un peuple qui risquait l'effacement et qui soudain fut sauvé; par cette grâce, où se conjoignent hasards et nécessités. (Voir Anatomie d'un miracle). D'où la coutume de se faire des cadeaux, pour se donner l'occasion de dire merci les uns aux autres, façon d'invoquer la grâce (gracia en espagnol donne aux pluriels gracias : merci; merced, dont le pluriel est mercedes…). C’est une façon de la rendre présente, de prononcer son signalement : merci, grâce, on a plus qu'il n'en faut.
Une autre façon de mettre en acte le fait que le jeu du destin a été et peut donc être favorable, c'est de jouer, lors de cette fête. Dans le monde ashkénaze, il y a les fameux pourim-spiels, pièces de théâtre, déguisements, jeux dans le genre carnavalesque (il se peut même que la tradition du carnaval en Europe, donc au Brésil, emprunte à ce trait de Pourim).
Dans le monde maghrébin, par exemple au Maroc, on jouait…aux cartes. Le jeu le plus simple où l'on sollicite le hasard pour l'espérer favorable. Peu importe qui gagne et qui perd, l'important est de jouer, d’être ému en guettant la chance. On jouait sérieusement, on se prêtait au jeu du hasard pour sentir l'instant où il serait bon, où il ferait signe, de grâce.
06 mars 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Ici, c'est un moment de grâce, celle de la femme et du hasard; moment vital dans la détresse de l'exil. L'histoire a lieu en Perse, quelques siècles avant notre ère. Le roi Assuérus répudie sa femme, la reine Vashti, sur les conseils d'Haman son ministre. Elle avait refusé de répondre à sa demande et de se présenter devant lui et ses invités lors d'un banquet. (Elle avait aussi le sien, un banquet de femmes...) Pour recruter une nouvelle reine, on fait appel à toutes les belles vierges du Royaume. Esther est choisie. Elle a été élevée par son oncle Mordékhaï. Celui-ci, lorsqu'il vient prendre de ses nouvelles, ne se prosterne pas comme il se doit devant Haman; lequel décide d'en finir avec les Juifs, ce peuple qui "ne fait pas comme les autres". Le jour est fixé, la date tirée au sort (Pourim = les sorts). Le roi est très complaisant: "L'argent, garde-le et fais de ce peuple ce que tu veux". (Haman comptait verser une certaine somme au trésor public pour avoir les mains libres.) Mordékhaï apprend la nouvelle, il se met en deuil, déchire ses vêtements, fait appel à Esther pour qu'elle intervienne. Elle hésite: on risque sa vie si on se présente au roi sans y être appelée. Alors Mordékhaï lui envoie dire: "Ne crois pas te protéger en te détachant de ton peuple. Si tu te tais dans un tel moment, la délivrance viendra aux Juifs d'un autre lieu, et toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si tu n'es pas devenue reine pour un moment comme celui-ci". Mordékhaï qui, au début, lui demande de ne pas dire qu'elle est juive, l'adjure maintenant de le dire, d'intervenir en tant que juive et reine. (Ainsi le rapport aux origines ne doit pas être figé; on peut en jouer selon l'événement.) Esther accepte, elle demande qu'on jeûne pour elle trois jours, elle-même et ses suivantes vont jeûner, après quoi elle se présentera devant le roi. Entre-temps,celui-ci a une insomnie, il se fait lire la chronique du palais (le livre mémoire des faits du jour...) et il remarque que Mordékhaï avait un jour révélé un complot visant à tuer le roi, et n'a pas eu de récompense. (C'est par Esther qui avait informé le roi du complot.)
Haman est justement dans l'antichambre, il le fait entrer: "Que faut-il faire à un homme que le roi veut honorer?" Haman, sûr qu'il s'agit de lui, répond: Qu'on l'habille de la tenue royale, qu'on le mette sur le cheval du roi et que l'un des plus hauts dignitaires tienne la bride et le promène dans les rues de la ville en clamant: Voilà ce qu'on fait à un homme que le roi veut honorer. Le roi demande à Haman de le faire pour Mordekhaï. C'est le début de la fin car entre-temps Esther a pu voir le roi, l'a invité à un festin avec Haman, puis à un second festin où elle révèle qu'elle et son peuple, Haman veut les anéantir. Ici, on a un "miracle" (la situation se retourne, le peuple voué à l'effacement est sauvé); on peut en faire l'anatomie; mais on n'a pas la gestion religieuse du miracle sur le mode: ils ont supplié Dieu, il les a entendus et il les a sauvés. Dieu n'est pas mentionné dans ce texte, la prière non plus. Il y a un jeûne, il y a l'acte de mortifier son corps, non sans rappel symbolique: trois jours (trois, chiffre assez chargé; par exemple: les trois jours d'Abraham et son fils marchant vers le Lieu...).
Et il y a surtout la grâce. Essentielle. On parle souvent de la grâce d'Esther, et il semble qu'elle l'ait transmise à son peuple, au destin de son peuple qu'elle a pu ainsi dévier. Destin d'où provient peut-être cette grâce elle-même: Esther a pu rejoindre le point de grâce enfoui dans le destin hébreu.Qu'est-ce donc que la grâce? Elle n'est pas l'effet d'un travail, d'une amélioration, d'une ascèse. La grâce, on l'a ou pas, à tels moments ou à d'autres. Elle vient d'ailleurs. Dire qu'elle est "divine", c'est dire qu'elle vient des confins de l'humain, des limites. La grâce, c'est l'émotion qui émane d'un être aux prises avec ses limites, et en même temps assez libre envers elles: beaucoup de tout petits sont pleins de cette grâce, sauf lorsqu'ils sont déjà pris et verrouillés dans le symptôme de leur mère. Autrement, ils rayonnent une présence, une certitude inconsciente de leurs limites, qui sont pourtant évidentes. Dans la grâce, la faille et les limites sont à la fois admises et surprenantes, productives de vie. Dans ce consentement, une présence inconsciente fait briller l'étincelle de la grâce. La grâce, c'est quand le narcissisme, qui ignore ses limites, s'en sert à son insu dans un sens de vie. Et cela confirme qu'on ne peut pas l'imiter: on ne peut pas faire exprès d'être inconscient de ses limites. Cette grâce se transmet ou plutôt, elle rayonne, mais ceux qui la reçoivent ou qui l'agréent ne restent pas gracieux si par ailleurs ils ne le sont pas. Ils gardent ce rappel de la grâce, et de ceci qu'elle est par essence un partage. Celui qui a la grâce la donne aux autres, à charge pour eux de la recevoir et de la "garder". En général, le mieux qu'ils font c'est de la reconnaître, de la respecter.
En tout cas, Esther trouve grâce aux yeux de ceux qui la voient; notamment de l'homme qui gère ce harem, cette masse féminine offerte au roi. Esther se distingue par cette grâce, où se croisent sans doute féminité et symbolique. Elle est, en un sens, l'ennemie absolue d'Haman, qui hait les Juifs et les femmes. (C'est lui qui a suggéré au roi de renvoyer Vashti, sa première épouse, parce qu'elle n'a pas répondu à son ordre.) La grâce signifie que l'être qui la "porte" n'est pas identique à lui-même, qu'il est porteur d'une certaine faille et fait vibrer cet écart, cet entre-deux qui l'ouvre sur l'être et sur la vie; même s'il peut être dans tel cadre ou telle place déterminée. Lorsqu'on dit qu'Esther a trouvé grâce, cela veut dire qu'elle a touché dans l'autre le point de grâce, d'ouverture, de fragilité, d'entre-deux où se passe la vie. En somme, elle donne à l'autre la grâce qu'il a sans le savoir. L'être qui a la grâce la donne sans la perdre, sans rien en perdre. C'est une question de contact: il donne à l'autre la possibilité d'avoir, comme lui, un contact avec l'être, avec la limite de l'humain qu'on appelle le divin.
Esther est orpheline; cette fragilité d'origine ne l'a pas affaiblie. Elle n'est pas dans l'inclusion familiale, elle appartient à un peuple qui ne s'appartient pas. Elle n'est pas dans l'identité mais dans l'histoire, l'événement, le devenir, la transmission. Bien sûr, c'est parce qu'Esther est prise au palais, et devient la femme du roi, que Mordékhaï son oncle se fait remarquer par Haman en ne s'inclinant pas. Si Esther n'avait pas été choisie, Haman n'aurait pas eu, peut-être, l'occasion de remarquer ce Juif insoumis et de retrouver sa rage ancestrale envers ce peuple, jusqu'à vouloir en finir. Mais Esther, devenue reine, est tentée de s'en tenir à son cadre, sa fonction: elle ne peut pas intercéder dans l'urgence. La réplique de Mordekhaï est cinglante et contient une allusion au divin, la seule dans ce Texte: Si tu restes dans le silence [si tu caches ton origine et ne fais pas savoir au roi, très vite, que le peuple qu'on veut détruire c'est le tien], la délivrance viendra aux Juifs d'un lieu autre (mi-maqom ahér). Car Dieu, c'est aussi le Lieu (maqom): là où ça se tient; là où les choses et les êtres prélèvent de quoi tenir). Ce lieu autre se réfère au divin d'une façon qui semble vague; en fait, c'est dans sa fonction de lieu, comme source d'événements qui ont lieu; et sur le mode de la pure altérité: du tout autre peut avoir lieu sans toi, si tu restes en dehors.
Et il y a les coups du hasard. Celui de l'insomnie royale: est-ce qu'inconsciemment le roi a été "travaillé" par ce qu'il a signé - rien de moins que l'effacement d'un de ses peuples? En tout cas, il découvre dans la chronique une parole salvatrice de Mordékhaï sur lui - parole qu'Esther avait transmise en mentionnant le nom de sa source, Mordekhaï. De là le Talmud déduit que quiconque, lorsqu'il tient une parole forte, dit de qui il la tient, apporte la délivrance au monde; tout comme Esther a apporté la délivrance à son peuple en disant de qui elle tenait cette parole. (On pointe ainsi l'universel du singulier: ce qui arrive au peuple juif, en tant qu'il est singulier, a valeur universelle.) Encore faut-il que cette parole soit forte et bonne. On n'a pas à nommer quelqu'un dont on évoque une bêtise ou une parole indifférente.
Voilà donc plusieurs hasards qui convergent: Mordekhaï a éventé un complot; le roi Assuérus a une insomnie et se fait lire la chronique; Haman passait par là... Le tout sous le signe de la grâce qu'Esther a trouvée en devenant reine. Cette grâce, elle va la retrouver deux fois, lorsqu'elle invite le roi avec Haman et que, la complaisance du vin aidant, le roi est prêt à lui donner "ce qu'elle veut, même la moitié du pouvoir".
La grâce est liée à l'identité partagée, incertaine mais vivante, qui maintient problématique la question de l'origine, et la laisse non résolue, ouverte à l'événement. Dans le cas d'Esther, ce moment où elle se fait connaître et où elle sauve son peuple (après tout, le roi aurait pu la sauver, elle, et laisser faire Haman), ce moment de grâce ultime porte sur son identité: partagée en elle-même et partagée avec son peuple.
Ce qu'elle transmet au roi dans cet instant de grâce, c'est un appel de vie: pour quelle sécurité un peuple tout entier doit-il être effacé? pour quel confort identitaire? Cet appel, le roi l'avait refoulé en écoutant Haman, et voilà que la reine vient rouvrir le possible: certes, il y a une faille, il y a un peuple singulier, mais faut-il le détruire pour que tout soit régulier? Ce n'est pas explicite mais c'est là; c'est l'arrière fond sur lequel la grâce opère. Esther fait une entorse à la loi du palais et son peuple est une entorse à l'ordre de l'Etat renforcé par Hama. L'acte d'Esther trouve grâce et la transmet au peuple - qui est comme gracié.
Les lettres ordonnant la mort vont donc s'inverser en lettres de vie. Vengeance sera tirée de ceux qui préparaient l'Extermination. La grâce s'infiltre dans un ordre totalisant, - perturbé par un peuple non conforme; peuple symbole de la petite entame qu'il faut pour relancer la vie. Autre symbole de cette entame sacrificielle: le jeûne de trois jours imposé à tout son peuple. Puisqu'on est menacé de mort, on va se mortifier, se donner une mort symbolique (avec des accents réels - on défaille) pour se mettre en demande de renaissance. Se mettre en état de manque pour mieux faire voir le manque-de-vie menaçant, avec l'espoir de le surmonter.
La grâce, transmission involontaire d'une vie autre, est portée par le hasard et elle s'incarne, elle prend corps. De là une certaine beauté, qui somatise l'amour de l'être - pour la vie qui se redonne. La grâce rencontre la féminité - comme faille qui laisse passer la vie - mais la grâce n'est pas uniquement féminine. Dans la Torah, Moïse dit à YHVH: "Si j'ai trouvé grâce à tes yeux...". Si avec nos défaillances tu nous acceptes, alors marche toi-même devant nous... Autrement dit, les défaillances du peuple hébreu, dans le désert et ailleurs, font partie de son rapport au divin. On peut les déplorer, mais c'est parce qu'elles sont là, et qu'elles sont humaines, qu'une grâce est possible ou nécessaire pour fonder cette relation entre le peuple et son Dieu. Toutes les fois que YHVH a voulu exterminer son peuple après un grave manquement, c'est la grâce qui le sauve, et Moïse l'obtient chaque fois - en demandant que la faute soit oubliée; tout en sachant qu'il y en aura une nouvelle, et que la vie fait faux-bond à la perfection.
La grâce implique donc que l'Autre aussi révèle sa faille: en l'occurrence, Dieu doit se contredire, décider une chose et en faire une autre. Cette aptitude à se contredire n'est pas à mettre au compte de sa toute-puissance (puisqu'il peut tout, il peut aussi pardonner, oublier, se rappeler et... se contredire); elle n'est pas dans une liste complète de ses attributs. Au contraire, c'est une fois la liste établie que l'aptitude à se contredire viendrait la déchirer, la barrer; prouvant par là-même qu'une telle liste est absurde. (Qu'est-ce qu'une liste d'attente dont le dernier dirait qu'elle peut être annulée?).
C'est pourquoi le rapport entre ce peuple et ce Dieu est singulier sur un mode universel: rapport à l'être qui implique la grâce récurrente et qui s'oppose à toute idée d'en finir avec la faille; à tout projet qui, dénonçant les turpitudes de "ce peuple", voudrait fonder enfin quelque chose de solide qui n'aurait pas tous ces défauts; projet qui totaliserait ces défauts, les fixerait sur ce peuple (ou sur un autre) pour en finir avec.
Le peuple est donc sauvé par la grâce - qui passe par le hasard dans ses moindres nuances - et non pas grâce à son mérite. Le mot pour dire "sauvé" (hatsél) comporte, on l'a dit, le signifiant de l'ombre (tsél): quand le peuple ou le sujet est pris dans une lumière totale, où l'on voit pleinement ses défauts et les dangers qui le guettent, la grâce qui le sauve consiste à lui donner un peu d'ombre. Gracier, c'est arrêter la pleine lumière qui aveugle et menace de tout brûler. L'autre mot pour "délivrance", employé par Mordekhaï (lorsqu'il dit à Esther: la délivrance et le salut viendront d'un lieu autre), c'est révah, qui prend racine dans ruah, le souffle. La délivrance, c'est retrouver un souffle, un espace dans le jeu de la vie. Et on le retrouve par l'acte de grâce qui assume la faille et déjoue la prétention totalitaire, fût-elle orientée vers un projet de perfection.
Dans l'histoire d'Esther, le projet totalitaire obtient l'aval du roi, mais celui-ci est entamé par son désir pour Esther, par la grâce qu'elle trouve à ses yeux. Ainsi, il y a un ver dans le fruit empoisonné - qui le rend non comestible. Le projet de meurtre ne passe pas. C'est pourquoi la grâce rappelle la transmission de vie humaine dans son essence symbolique. D'où son lien essentiel avec le féminin. En somme, l'humanité a inventé un petit peuple pour symboliser une entame aux projets totalitaires. Ce peuple aurait pu être un autre, il se trouve que c'est celui-là; l'important c'est le jeu ou plutôt la dynamique que cela permet. (On peut même dire que ce peuple s'est inventé pour occuper cette place, cela ne change rien au problème.) Cette dynamique comporte pour ce peuple des risques d'extermination, et dans ces cas, des risques d'abêtissement pour ladite humanité. C'est ce qui fait de ce peuple, je l'ai dit, un baromètre de la maturité ambiante. Mais ce peuple aussi, s'il avait plus de pouvoir, pourrait exprimer des prétentions totalitaires. Rien n'est joué; il semble que l'humanité a besoin, régulièrement, de se poser ou de revivre le problème de sa faille identitaire, et du fantasme de la combler. C'est le problème de l'entame, donc aussi de la grâce. Au-delà de la faute qu'on pardonne, c'est le défaut qu'on intègre. Ce peuple est fait pour le rappeler, et parfois c'est à lui d'en répondre: si le monde ambiant supporte mal l'entre-deux, il en impute l'impossible à ce qui lui semble singulier, à ceux qui ne font pas "comme tout le monde". L'humanité oscille entre deux pôles pour sa question d'identité. Et il n'y a pas de loi qui prévienne contre ces risques totalitaires. (Comme pour la liste des attributs divins entamés par la grâce.) Il y a bien le fantasme d'un tribunal planétaire, qui ferait acte quand certaines lois sont violées et qu'on passe à la barbarie. Mais on connaît les problèmes de sa mise en place et de sa grande impuissance.
04 mars 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Ghetto.
Le langage courant, surtout médiatique mais pas seulement, charrie des mots et impose leur évidence. Des mots comme ghetto, apartheid, discrimination, ségrégation etc. Ghetto est un mot qu'il faut respecter, car il désignait en Italie (avec son équivalent modulable en Europe centrale, et en terre d'islam) un lieu où les Juifs étaient littéralement enfermés, contrôlés. À Venise, la cloche sonnait à 7heures du soir et tous les Juifs devaient être rentrés dans le ghetto. Dans la journée, ils en sortaient pour aller vaquer à leurs affaires tout en essuyant les insultes ou les agressions du milieu ambiant selon son humeur et selon l'époque. Aujourd'hui on appelle ghetto, bizarrement, des quartiers ou cités de banlieues dans lesquels les habitants, venus du Maghreb ou d'Afrique, ont des appartements corrects, avec des ascenseurs, des espaces communs normaux, mais qui au fil des temps se dégradent par le vandalisme, la grossièreté et le fait que des parents sont débordés par des jeunes qui ne comprennent pas leur histoire ; qui éprouvent la rancœur des parents – que ceux-ci ont pourtant bien refoulée - et leur propre rancœur de ne pas mieux posséder les règles du jeu social, ce qui leur permettrait d'être gagnants ; c'est du moins ce qu'ils croient. Toujours est-il que des non-musulmans dans ces cités prennent leurs distances et vont ailleurs, ce qui rend ces cités plus homogènes et fait penser à des ghettos comme si on les avait parqués. Les habitants, jeunes ou moins jeunes, ont donc une part active dans cette ghettoïsation ; elle exprime leur agressivité envers les autres qui n'auraient pas demandé mieux que de rester là. S'ils partent, c’est sur le constat effectif que c'est difficile à vivre, et non pas sous l'effet de préjugés, comme Monsieur Rosanvallon, professeur au Collège de France, qui nous assure que lorsque des parents retirent leurs enfants d'une classe parce qu'il y a trop d'enfants musulmans, « c'est sous l'effet de préjugés ». On voit qu'il n'a jamais parlé à des parents juifs qui reçoivent quotidiennement leurs enfants victimes d'agressions, et qui à la fin en ont assez puisque l'école leur affirme en aparté qu'elle ne peut pas assurer la sécurité de leurs enfants. Ils les mettent donc ailleurs. Ce ne sont pas des pré-jugements mais des post-constats.
Apartheid.
Que le gouvernement français s'accuse d'apartheid envers ses populations musulmanes, cela fait partie de sa toilette narcissique : on sait que la plus haute éthique en Europe est celle de l'auto-flagellation, supposée témoigner d'une certaine hauteur de vue. J'ai montré ce qu'il en était de cette culpabilité perverse. Si les gens acceptent officiellement la présence de musulmans agressifs, c'est que le politiquement correct leur enjoint de le faire et qu'ils ne veulent pas d'histoires. Cela peut les amener à se protéger, à prendre des distances. L’apartheid, c'est autre chose, c’est écarter l’autre ou le fustiger, alors qu’ici on s’écarte soi-même parce que l’autre vous fustige.
Mixité.
En revanche, on nous indique qu'il faut forcer la mixité, c'est-à-dire construire des logements sociaux là où le mètre carré vaut dix mille euros, au cœur de Paris et des villes. Ce forçage, qui coûtera cher créera aussi des rancœurs, il sera moins productif que des mesures de réhabilitation de ces cités et quartiers, mesures surtout éducatives qui poussent leurs habitants à en prendre soin. Je peux dire, en tant qu'immigré en France en 55, que j'aurais trouvé superbe un appartement à Saint-Denis avec 3-4 pièces, cuisine, salle de bain et balcon, comparé à ce que nous habitions en médina, dans des rues poussiéreuses et souvent hostiles.
Je déjeune avec X qui est psychologue dans un grand hôpital parisien. Elle me parle des consultations, dont la surveillante dit qu'elles accueillent « le Maghreb et l'Afrique » principalement. Cette fois, elle me dit que le docteur B. a décidé de partir : "Il craque, il en a marre, il veut un peu de mixité". Elle ajoute "Moi aussi, j'en ai marre, je veux de la mixité. Je veux qu'il y ait un ou deux blancs de temps en temps. Là, il n'y en a plus, ou presque".
À la même table, il y a C., une autre psychologue qui elle aussi a eu des problèmes par manque de mixité. Ses deux garçons étaient les seuls blonds aux yeux bleus dans une classe où il n'y avait que des noirs et des maghrébins, à Paris. Si encore ils intégraient son petit garçon à leurs jeux dans la cour, mais non, "ils préfèrent jouer entre eux". Elle s'est d'abord désolée qu'il n'y ait pas plus de mélange. Puis, elle est intervenue à la mairie, où la conseillère socialiste a été intraitable : pas de changement de classe ou d'école. De la mixité, bon sang. C'est bien ce que l'autre venait demander. C. a bien tenté de la fléchir, de la faire réfléchir sur la situation, sur l'écart entre son discours et la réalité. Mais justement, cet écart, l’élue y tenait, c’est ce qui donnait à son discours sa vibration d'idéal. Désespérée, C. a dû faire comme beaucoup d'autres : délocaliser ses enfants, leur donner une adresse fictive pour qu'ils soient dans une classe un peu plus mixte.
On imagine des élus de la gauche caviar ou de la droite vertueuse qui décident de faire avaler à très haute dose de l’ « autre » à leur public, et s’il fait la grimace et si ce n’est pas à son goût, l’accusation de racisme a beau être usée, elle procure à ses auteurs une jouissance intacte.
Dans le cas de classes plus élevées, devant les agressions, beaucoup s'excluent d'eux-mêmes et vont vers des écoles privées. Parfois, certains d'entre eux se convertissent, ce qui facilite les choses et permet de rester sur place.
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Chaque fois qu'une pensée projette de supprimer la mort, elle se met à débloquer. Un auteur aurait même dit : « la suppression de la mort nous éviterait de procréer. Il faut remplacer la procréation de nos enfants par la résurrection de nos pères ». Quelle que soit la bêtise du propos, on y remarque une logique narcissique très précise : l'auteur serait le dernier procréé. En somme, que la procréation ait lieu, soit, mais de mon père à moi, pas plus loin. On voit en effet que cette pensée ne va pas loin.
Ce cas, sans doute extrême, nous rappelle que de temps à autre, le prurit saisit des « penseurs » sur la perte ou l’absence des limites, due à la technique déferlante, au gigantisme qu'elle implique, à la démesure des structures mises en place, etc. Avec toujours un faux frisson : et si notre transgression des limites allait encore plus loin, oui, jusqu'à supprimer la mort par exemple ? On peut leur rappeler que si loin que vont l'audace et la technique, elles n'ont encore jamais créé de la vie sur un mode qui puisse concurrencer la nature. Autrement dit, la nature est le plus grand géant technologique qui soit. Et l'on remarquera s'agissant d'intégrer les techniques à l'humain, que ce sont plutôt les lubies de ce dernier qui créent des problèmes inquiétants, comme par exemple la suppression de la différence sexuelle, ou la suppression des frontières, etc. Choses qui n'étaient pas impliquées sous leur forme extrême, et que seule l'enflure humaine a imposées.
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Certains commencent à reconnaître qu'il y a dans le Coran des appels à la violence contre les autres, contre les non-musulmans. Que ces appels forment une strate assez dense et prégnante du Texte. Que ceux qui dénient cette partie violente ou qui l'ignorent n'ont rien compris au Coran et à leur religion, mais ont simplement décidé, quand ils vivent en Occident, de ne pas s'y référer. Pour eux, le plus urgent c’est d’être en paix avec les autres, d’installer l'idée que l’islam c’est la paix.
Houellebecq y voit malice : dans son roman Soumission, il suggère que l'islam modéré se posera comme seul capable de contrôler ces extrémistes; il a donc besoin que ceci se manifeste pour pouvoir en triompher, tout en leur laissant la bride sur le cou pour ce qui est de rappeler aux Juifs cette évidence : là où règne l'islam, la place des Juifs est comprise. Celle des femmes reste honorable mais secondaire, ce qui résout les problèmes de chômage (elles seront plutôt au foyer); pendant que les problèmes d'investissement seront massivement résolus par les milliards des pétromonarchies. Cela semble farfelu et vraisemblable, surtout si l'on cède sur la critique des strates guerrières et conquérantes de l'islam.
Un des arguments qu'on invente pour « expliquer » les djihadistes, (outre la folie ou la misère - facteurs que l'évidence contredit , mais on y tient, surtout à la misère, c’est clair et c’est culpabilisant), un argument que l'on croit très éclairant, c’est qu’ils ne savent pas lire ; il lisent mal le Texte, ils en ont une lecture figée. L'ennui, c’est que personne pour l'instant ne leur donne la bonne lecture des malédictions insistantes envers les juifs et les chrétiens, et des appels à les combattre. En attendant de leur apprendre à lire, à lire comme nous voulons qu’ils lisent, j'ai montré que le Texte est un être vivant, et que les appels qu'il lance contre les autres, appels qui se transmettent à l'identique depuis des siècles, trouvent forcément des gens zélés et sincères qui les endossent, et qui les mettent en acte. Ces mises en acte sont faites pour honorer la partie par laquelle le Coran se défend des judéo-chrétiens en les dénonçant, comme pour mieux s'approprier leur message, pour mieux montrer que ce n'est pas leur message puisqu'ils refusent de s'y soumettre. Ces actions sont aussi une claque pour les modérés qui, face à l'Occident, maintiennent un déni pure et simple sur l'existence de cette violence. Les extrémistes (c'est-à-dire ceux qui défendent les extrémités, les bordures de l'islam, ses frontières idéologiques avec les autres, frontières qui sont forcément extrêmes), les intégristes violents, sont comme tels un appel aux modérés pour qu'ils prennent leurs responsabilités, pour qu'ils cessent de croire qu'en s'affichant pacifiques, ils rendent l'islam pacifique. Bien sûr, ce serait sympathique de guérir les djihadistes, lecteurs extrêmes, en leur montrant l'énorme richesse de la littérature, en tant qu'elle « lit » et réécrit à sa façon la texture de nos vies, en leur montrant aussi d'autres livres, comme la Bible, nettement plus nuancée, capables de s'en prendre à leurs propres fidèles, etc. Peut toujours leur apprendre la lecture complexe, mais le Texte suscitera toujours des lectures directes, tant qu'on n'a pas affronté cette simple question : les appels violents que lance le Texte envers les autres, comment faire pour les déclarer obsolètes, ayant fait leur temps, sans que les musulmans qui les absorbent (modérés ou radicaux) aient l'impression de les trahir ?
Les versets pacifiques du Coran, qui ne s'en prennent pas aux juifs et aux chrétiens, sont puisés dans les textes judéo-chrétiens. (La plupart des phrases qui parlent de la bonté de Dieu, de sa miséricorde, de sa toute puissance etc., viennent des Psaumes.) Mais la partie violente du Coran, c'est sa frontière idéologique avec les autres, avec les juifs et les chrétiens Il est normal que cette frontière soit agressive : empêcher les autres de pointer les emprunts ou le plagiat, les empêcher de s'expliquer sur leur texte : telle a été la politique des États musulmans envers leurs minorités juive et chrétienne qu'ils ont confinées dans un statut inférieur et dans un silence total concernant l'islam. Il fallait aussi obtenir que les "vrais croyants", les musulmans, n'aient pas la moindre tentation de se convertir au mode de vie de ces autres. Or c'est ce risque qui, aujourd'hui en Europe, est victorieusement empêché ; l'affirmation identitaire musulmane est au contraire très forte, face aux autres identités plus discrètes, retirées, malléables, indéfinies, incertaines... Elle offre une solide appartenance, dont la frange avancée est le djihad. Mais c'est sur les deux plans que l'islam recrute : sur le plan pacifique, par l'adhésion à une identité parfaitement définie et chaleureuse ; et sur le plan plus agressif par la tentation du djihad.
Cette situation, les Européens standard n'ont pas moyen de la comprendre, avec leur pensée rationnelle. S'ils vont dans des pays arabes ou islamiques, ils sont généralement bien reçus, hospitalité oblige, sur le mode personnel ou touristique. Ils n'entrent pas dans la texture, et n'ont aucun moyen de parvenir jusqu'au texte qui parle d'eux. Et quand ils observent des musulmans en Europe, ils voient plutôt des gens qui triment, qui essaient de s'en tirer, qui travaillent, qui sont humbles, qui essaient de donner d'eux une bonne image et qui souvent y arrivent. Ils ignorent que le réacteur textuel sur lequel beaucoup sont branchés, charrie des appels à la haine pour les autres.
On confond deux tolérances : l'une envers l’étranger qu'on peut aider, respecter (la Bible va jusqu’à dire qu’il faut l’aimer, pour se rappeler l’étranger qu’on a en soi ; l’autre envers des textes menaçants qui se transmettent et induisent des lectures agressives.
Jusqu'à présent, la propagande pour éluder ces aspects consiste à dire : « Mais dans la Bible aussi il y a beaucoup de violence. » J'ai déjà dit que la Bible des Juifs est très violente contre les Juifs, pour à la fois les dresser et les maintenir, comme peuple porteur non pas tant d'un message que d'un certain rapport à l'être. La violence guerrière qu'elle soutient concerne la conquête par ce peuple de sa petite terre promise, grande comme un département français ; il fallait bien un pays, un lieu d'être à ce peuple d'esclaves à peine libérés. En outre, cette violence a eu lieu il y a plus de 3000 ans. Depuis, toutes les guerres menées par les royaumes hébreux (Israël et Judah) étaient des guerres défensives, des alliances pathétiques pour sauver leur souveraineté, en vain.
En revanche, aujourd'hui, Israël mène des guerres défensives, et ce n'est pas de sa faute si ses adversaires s'effondrent et lui laissent sur les bras des territoires dont il a rendu une partie, Gaza (devenu un bastion furieux plein de haines et de roquettes) et la Cisjordanie dont il aurait bien rendu la plus grande partie s'il était sûr que ça ne sera pas un autre Gaza, encore plus dangereux, sachant qu'au Nord, le Hezbollah pro-iranien et surarmé s'impatiente d'attaquer. On ne peut pas dire qu'Israel, les Hébreux ou les Juifs veuillent faire leur guerre sainte et ramener le plus de monde dans le giron de leur croyance. Ce n'est pas le genre.
La vérité d'un sujet, qu'il soit individuel ou collectif apparaît dans son exposition à l'autre ; elle excède sa position et la met à l’épreuve. Le monde arabe qui a reçu les intrus européens, les colonialistes, ne s'est pas vraiment exposé à eux, il les a vu comme des intrus, il était en retrait de leur présence, dont il a à la fois profité et souffert. C'est maintenant, en allant en Europe, qu'il s'expose au regard des autres. Même les musulmans restés chez eux, dans leur pays, sont exposés au regard occidental qui se questionne sur leur histoire, leur culture, leur religion. Mais ce regard, brouillé par les larmes de la culpabilité, ne voit pas grand-chose.
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Il y a des choses et des actes indécidables parce qu'ils dépendent, notamment, de la manière dont on en parle.
L'embryon, son statut est indécidable, il dépend de la manière dont la femme ou les parents parlent de sa gestation.
De même, l'instant de la mort est indécidable. Mais voilà que les décideurs veulent à tout prix en décider. Alors ce sera au prix d'une escroquerie où ils remplacent la mort par le sommeil. On décidera du sommeil, pas de la mort ; juste du sommeil sans réveil. Les hôpitaux seront des cliniques du sommeil.
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Étonnant, l'esprit humain, lorsqu'il cherche à trouver et que sa recherche comporte l'interdit de trouver. Interdit pour des raisons affectives, idéologiques ou sociales. J’y pense en écoutant des auteurs, journalistes, enquêteurs qui cherchent passionnément ce qui a fait partir ces jeunes de France pour le djihad en Irak et en Syrie; ces jeunes musulmans, qui ont parmi eux quelques convertis, laissent leurs parents sidérés, leur entourage étonné. Ce n'étaient pas des jeunes à la dérive ou dans la misère comme tiennent à l'affirmer des analyses qui aimeraient bien « relier tout ça » à l'exploitation de classe, au colonialisme, à l'impérialisme, à tout ce qui peut nourrir la culpabilité forcée, celle qu'on doit afficher pour avoir une hauteur éthique.
Tant d’ignorance et de contorsions pour ne pas voir que ces jeunes s'introduisent au Texte coranique qui comporte de la violence et du calme tout comme une forteresse comporte des canons sur ses murailles et de grandes salles à manger à l’intérieur. Le Texte a dans sa trame des nœuds cruciaux touchant les autres, ceux qui résistent au vrai islam, ces autres étant les juifs, les chrétiens. (Par extension, on vise les mauvais musulmans, mais l’extension est tardive, car si on écarte les « païens » de l’époque, le Coran s'attaque surtout aux juifs et aux chrétiens ; ce qui correspond aujourd'hui à Israël et l'Occident).
Telle est la réponse : ils y vont car c'est dans le texte dont ils exaltent l'idéologie, non sans raison puisqu'elle les porte, elle les soutient, elle leur donne un idéal qui permet d'écraser les petits idéaux ambiants. Mais cette réponse, il ne faut pas la trouver, car elle entamerait l'image qu'on veut donner de l'islam, (paix, amour…), qu'on veut feindre de donner, car ceux qui organisent ce maquillage savent de quoi il retourne; c'est ce qui justifie le maquillage et le déni. Et plus on nie le problème, plus il persiste car il attend d'autres réponses, qu’on ne pourra pas lui donner puisqu'on fait tout pour le masquer.
Tout discours social comporte une part d'hypocrisie, nécessaire à la survie quotidienne. Mais ces temps-ci le discours convenu bat les records de l'hypocrisie, car la réalité ne cesse de le démentir, et l'on a beau se tordre pour la comprendre dans le bon sens, pour la ramener à son « vrai » cadre, elle insiste, elle déborde, et ça en devient presque drôle.
En tout cas cela mérite analyse, et c'est l'objet de mes deux livres : Islam, phobie, culpabilité et Le grand malentendu Islam, Israël, Occident (qui paraît le 25 février 2015)
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
On sait que les nazis ont fait de gros efforts pour effacer les traces des camps de la mort, notamment des chambres à gaz. Ils y ont en partie réussi, puisque des camps d'extermination massive ont été rasés, qu'il n'en reste rien. Cette obsession de la trace à effacer semble indiquer que vers la fin ils comprenaient que c'était un crime dont il y aurait à rendre compte. Mais fallait-il l'approche de la défaite pour avoir cette idée là ? Ils devaient savoir, dès le début, que c'était là un crime énorme mais, pour eux, nécessaire.
Toujours est-il qu'à force de penser à effacer, ils ont oublié qu'eux-mêmes avaient produit des traces et continué d'en produire. De petits films, réalisés par eux, les montrent en train de tyranniser des corps décharnés, des fantômes vivants dans les ghettos de Pologne. Avec leurs propres traces, on a de quoi reconstituer leur crime. Mais il y a plus : on a retrouvé un enregistrement d'Eichmann après la guerre, en Argentine, dans une réunion de nazis où il proclamait qu'il avait fait gazer 6 millions de juifs, mais qu'il aurait voulu en tuer 10 millions, que lui et ses amis avaient donc failli à leur tâche, et il conclut : "les générations futures nous maudiront pour cela" (sic)[1]. Donc même après le grand massacre et les efforts pour en effacer les traces, les nazis produisaient d'autres traces confirmant leur action. Au fond, l'être humain a besoin de laisser une trace de ce qu'il a fait. Même un criminel ordinaire, si l'on peut dire, trouve toujours moyen de laisser une trace, ne serait-ce qu’un aveu confus à un ami retrouvé. Il y a une pulsion de trace chez l'être humain, comme un prolongement de son corps et de sa mémoire. Et cette trace qu'il tient à laisser, même si elle travaille contre lui, c'est la signature de son acte, sa présentation au monde. En l'occurrence, cette trace laissée par Eichmann prouve qu'Hannah Arendt, qui l'a observé quelques jours à Jérusalem lors de son procès et qui est repartie à New-York avec de quoi faire son bouquin, a été bernée par lui, par son attitude au procès, exhibant un modeste exécutant, un peu perdu dans ses comptes et ses repères. C'est là-dessus qu'elle a bâti sa "théorie" de la « banalité du mal ». Théorie d'autant plus fausse qu'elle comporte une idée juste : le mal n'est pas toujours extraordinaire, il participe des textures de nos vies. Mais l'acte d'orchestrer des déportations géantes et un énorme génocide, en décidant que les victimes n'étaient pas vraiment humaines, que c'étaient des monstres dont il fallait débarrasser l'humanité, une telle décision n'est pas banale, pas plus que sa mise en acte. Prendre part à cette mise en acte n'est pas banal du tout. Même le dernier exécutant, qui fermait la porte des wagons bondés sur des femmes et des enfants hurlant de détresse, même lui pouvait banaliser son geste puisqu'il était quotidien, mais quelque chose par devers lui savait que ce geste n'était pas vraiment banal.
La même Hannah Arendt m'a paru faire preuve de prétention et de fatuité en intitulant un livre L'antisémitisme alors qu'elle y parle de l'affaire Dreyfus et d'autres moments antisémites du 19e siècle, comme si la haine antijuive datait du mot « antisémite » qui est né au 19e en effet. Bref, elle a mesuré le nazisme et la haine antijuive à l'aune de sa compréhension, pourquoi pas ? C'est banal, mais pourquoi la suivre? Y compris dans son affirmation péremptoire qu'Heidegger n'avait rien à voir avec tout cela ?
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
La plus grosse bévue sur la vindicte anti-juive des musulmans, c’est de croire, notamment en France, qu’elle est due à l’importation du « conflit israélo-palestinien ». J’ai montré que c’est l’inverse, que les racines profondes de ce conflit sont dans la même vindicte anti-juive islamique que celle qui s’exprime en France quand la présence des musulmans est devenue plus massive. Là-bas comme ici, cette vindicte est puisée aux mêmes sources, dans la tradition islamique.
De sorte que quand Cyrulnik dit qu’il y a « des musulmans en France séduits par l’antisémitisme en France », il pense à l’antisémitisme de type nazi ou vichyste dont lui-même a été victime. Les gens n’arrivent pas à bouger des repères qui les ont marqués et ils tendent à les universaliser. On obtiendra difficilement d’un Juif européen qu’il comprenne que la vindicte anti-juive chez les musulmans n’est pas due à l’antisémitisme classique européen, version extrême-droite ou nazie. Il ne peut pas comprendre cela car pour lui l’antisémitisme, c’est celui qu’il connaît par sa tradition. C’est ainsi que Cyrulnik écrit : « les sépharades ont côtoyé des musulmans pendant des siècles et même s’ils étaient dhimmis, ils n’avaient pas de mauvais rapports entre eux ». Il ajoute : « depuis le début du XXème, des tensions se sont produites entre les musulmans et les juifs sépharades à cause de la montée du nazisme qui a fait que la plupart des pays arabes ont choisi de s’engager dans les armées nazies ». Donc selon lui, les positons antijuives dans les pays arabes sont dues au nazisme. Sans l’antisémitisme européen, il n’y aurait pas de violence antijuive chez les musulmans. C’est stupéfiant pour qui connaît les faits et les Textes[1].
Il ajoute que si la plupart des pays arabes ont choisi de s’engager dans les armées nazies, « cela n’a pas été le cas des maghrébins qui se sont engagés dans l’armée française sans en empêcher certains de devenir antisémites progressivement. Ce sont des mouvements d’opinion qui sont fluctuants ». Étonnant.
Et quand on lui dit que des enfants musulmans en France considèrent que Charlie Hebdo était fautif et que c’est pour ça qu’il y a eu des morts, il répond : « les nouvelles structures familiales larguent un grand nombre d’enfants ». Mais c’est exactement le contraire : ces enfants expriment ce qui se dit et se pense dans leurs familles musulmanes. Quant à savoir, si de telles familles sont ou non la majorité, il est bien malin ou bien informé de dire que ce n’est pas le cas.
[1] Voir là-dessus Proche-Orient psychanalyse d'un conflit, ou bien Islam phobie culpabilité, ou encore mon dernier livre Le grand malentendu Islam, Israël, Occident.
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Bien que je connaisse et que j'aime le désert africain, celui-ci m'a plu, avec ses dunes, ses grands espaces, son désespoir intrinsèque, ses tentes, et cette petite ville où l'on dirait qu'il n'y a personne parce que les gens sont chez eux et n’ont pas de raison de traîner dans la chaleur ; la ville de Tombouctou, tenue par le djihad, dont les forces ne semblent pas excéder une trentaine d'hommes armés, mais apparemment ça suffit. Bien sûr, j'ai été sensible à l'aspect témoignage sur un phénomène si connu : une bande de fanatiques (pas si fanatiques que ça, assez tranquilles en fait, assez paisibles mais sûrs d’eux) qui font la loi au nom d’Allah et de son Prophète, à une population passive, qui déserte les lieux, qui n'a aucun moyen de se battre ou de résister. Ils ne sont pas méchants, ils sont juste rigoureux, et n'oublient pas de faire servir la loi à leurs pulsions personnelles. Dans tout le film on tremble à l'idée que le chef islamiste, un salaud avéré, ne prenne la femme de l'éleveur qui s'est fait coincer bêtement ; et on est presque rassuré (c’est affreux) de la voir mourir avec son homme.
Mais revenons à l'éleveur, qui va subir une loi islamique en bonne et due forme. L'affaire, c’est qu’une de ses vaches à dérangé les filets d'un pêcheur sur le fleuve, celui-ci la tue d'un coup de javelot, l'éleveur furieux vient l'engueuler, mais il vient avec son arme ; ils se battent, le coup part, alors que le pistolet était caché, le pêcheur est tué, l'éleveur arrêté. On lui applique la loi d’Allah ; il doit payer le prix du sang, soit 40 vaches, et/ou obtenir le pardon de la femme du mort. Il n'a que six vaches, et ladite femme convoquée, devant la question : veux-tu lui pardonner ? répond, bien sûr: Non, pas aujourd'hui ; peut-être demain, mais pas aujourd'hui. Elle a donc, selon la loi, refusé le pardon. L'homme doit mourir. (Passons sur sa souffrance de ne pas revoir sa fille, et sa femme, qui par miracle le rejoint au moment de l'exécution : il court vers elle pour l'étreindre, on leur tire dessus, il meurent ensemble). On a vu aussi un couple lapidé pour adultère ; loi excessive. Mais ce qui m'a retenu c'est cette loi, qui semble raisonnable : tu as tué, tu payes, si tu ne peux pas, tu obtiens le pardon, sinon tu meurs. Cette loi, on imagine bien le « penseur » qui l'a produite, il a cherché l’équité, il a juste oublié une donnée affective évidente : on ne peut pas pardonner sur-le-champ au meurtrier ; il faut du temps. Et cette loi, si impatiente de faire justice, n'a pas le temps et n'en laisse pas.
Cela m'a intéressé, car dans la Bible, un livre qui a pris son temps pour s’écrire (plusieurs siècles), on évoque celui qui tue par accident : des villes refuges sont prévues, où il peut fuir et où la famille de la victime ne peut pas le poursuivre. La ville refuge sera son exil. C’est là une prise en compte de l'accident, une façon de ne pas tenir l'homme pour totalement et aveuglément responsable de son acte. Quelque chose a pu lui en échapper ; une loi qui ignore cela est folle de justice, donc folle tout court. C'est cette folie tranquille et sereine qui m'a touché dans le film ; au-delà des excès de ces hommes du djihad, comme d'interdire la musique, d'imposer des gants aux femmes, etc. La force du film tient dans cet épisode : c'est quand ils sont normaux qu'ils sont monstrueux, eux et leur loi.
24 février 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Au journal, ils pensaient travailler en France, sous la protection de la loi française. Erreur fatale : il y a la loi française et il y a aussi la charia, la loi islamique, qui aujourd'hui encore, dans des pays musulmans, punit de mort ceux qui se moquent de la religion, qui n'en parlent pas comme il faut, avec une dévotion sans réserve. Donc, un groupe d'islamistes qui est venu exécuter la charia sur ces journalistes qui, croyant vivre sous la loi française, ne pensaient pas transgresser, en faisant des caricatures de l'islam. Ils ont fait comme si, en France, la charia et la loi française n’étaient pas rivales. (Et dans certains territoires - que des historiens qualifient de perdus pour la République, puisque même la police n’y va pas - il n'y a qu'une loi, la charia.) Et les juifs, dans leur boutique hyper-cachère, croyaient que la France les protégeait du djihad ; du djihad français.
L'emprise de la charia en France, ne se réduit pas à des exécutions sommaires. Elle consiste plus largement à interdire toute critique sur l'islam, surtout chez les non-musulmans. (Et dire qu'il comporte la charia et le djihad, c'est une critique. Donc la charia en France consiste à empêcher qu'on la nomme.) Mais si des foules importantes sont prêtes à manifester quand la charia ordonne des exécutions, ou qu’elle appelle à la guerre sainte, très peu sont prêts à descendre dans la rue pour protester contre la censure. Et pour cause, la plupart ne s'en rendent pas compte. Les médias font le black out sur les agressions quotidiennes, et mènent un tir de barrage contre tout ce qui laisse entendre qu'il y aurait dans l'islam des appels à la violence envers les autres. Le Coran a beau maudire nommément les « gens du Livre » (juifs et chrétiens) parce qu’« ils se moquent de la religion des musulmans » (5,57), il ne faut pas en parler, car il y a risque d'amalgame, de stigmatisation, d'islamophobie (mon logiciel de dictée a écrit islam aux phobies…)
Ainsi on est chaque fois dans une pensée totale : une critique sur les aspects violents que comporte l'islam, dans son texte fondateur, est exclue car elle est prise comme un rejet de tout l'islam, et un rejet de type raciste. C'est sans doute là le véritable amalgame que font ceux qui dénoncent l'amalgame. C'est le fait de mélanger le tout et la partie, et de poser que chaque chose est ce qu'elle est totalement, ou alors elle n'est pas. Or l'objet du débat, qui est le contenu du Coran, est justement partagé : un bon tiers de ce Livre est violent envers les juifs et les chrétiens. Cette partie correspond à ce qu'on appelle les sourates médinoises, les dernières, où Mahomet se déchaîne contre eux parce qu'ils ne l'ont pas suivi. L'autre partie du Coran, plus pacifique, transmet ce qu’il a élaboré dans sa période mecquoise, à partir de ce qu'il a appris des marchands juifs et chrétiens.
Un problème majeur, c’est que la partie violente, qui demande que l'on combatte les injustes, les pervers, les infidèles que sont les juifs et les chrétiens, est édulcorée dans les traductions. On trouvera par exemple : Tuez les faiseurs de dieux partout où vous les trouverez. (9,5). Or aujourd'hui, personne n'est vraiment un faiseur de dieux, donc la phrase semble anodine. Mais ceux qui l’apprennent en arabe savent qu'il s'agit des chrétiens (moushrikines) parce qu’ils font de Jésus un Dieu. Ayant vécu en terre arabe, je peux témoigner que l'accusation suprême, qu’il faut à tout prix éviter, c'est celle d'avoir insulté la religion (la vraie, bien sûr, l’islamique) ou de s'en être moqué. On comprend que des croyants, soudain saisis par un élan d'enthousiasme pour leur texte, puissent le mettre à exécution. On peut dire que les extrémistes violents qui mettent en acte le texte dur, ont le mérite de le faire connaître aux autres musulmans, qui semblent l'ignorer et qui aimeraient s'en tenir aux parties calmes qu'ils connaissent. Ils refusent qu'on les amalgame avec ces extrémistes ; mais l'extrémisme est dans le texte, et nul ne peut dire à l'avance quelle personne ou quel groupe voudra soudain le mettre en acte. Des foules musulmanes nombreuses qui défileraient pour dénoncer cet extrémisme auraient le mérite de s'en démarquer réellement. Pour l'instant ce n'est pas le cas, la ritournelle obsédante qu'on répète est que la violence qui se réclame de l'islam provient de fous, de détraqués, de cas sociaux, mais qu'elle n'a rien à voir avec l'islam. On voit qu’elle a à voir de façon subtile : ce sont des gens calmes, discrets, comme tout le monde, qui soudain entrent en action. De braves psychologues s'échinent sur l’idée de passage à l'acte, mais elle est inopérante : un passage à l'acte, c'est quand les paroles manquent et que l’acte les remplace ; ici, les paroles sont déjà là, et demandent à être appliquées. Jusqu'à présent, très peu s’y essayaient, la présence islamique n'était pas assez importante dans le pays pour que l'idée d'appliquer la charia en France ait un sens. Mais s’il y a 6 millions de musulmans en France, il suffit que 2 % soient saisis de zèle pour qu’on ait 100 000 personnes décidées à agir. Or il suffirait de 10 000 pour que l’autocensure soit totale, et que la mise au pas dans les écoles, les cités, etc. soit vigoureuse.
La réalité semble montrer que l'islam s'intègre à la France si la France s'intègre à l'islam, c'est-à-dire s’aligne sur lui sans objecter.
En somme, les musulmans modérés, qui dénient tout simplement l'existence de la partie violente du Coran, pensent que leur déni couvrira cette partie violente sous des versets pacifiques ; en fait, leur déni protège cette partie violente et donc la transmet. De sorte que la partie dure de l'islam, celle qui en veut aux autres, se transmet efficacement par deux voies : le déni venant des modérés et l'action directe venant des extrémistes.
Du reste, après l'exécution des journalistes, l'écart n'était pas si grand dans les discours entre : ils l'ont bien mérité, ils ont insulté le Prophète, et ils ont insulté le Prophète mais c'est une punition trop dure. La même nuance qu'on a connue après le 11 septembre 2001.
Si les modérés veulent se démarquer de la charia et du djihad, ils ont tout loisir de les dénoncer comme tels. Pour l'instant, ils nient que cela existe dans le Coran.
Mais tout cela est secondaire par rapport à l'attitude de l'Etat français. Il ne changera pas l'islam, mais peut-il empêcher que l'islam le change? Jusqu'ici, il a repris à son compte ce même déni, il s'interdit de traiter les intégristes violents comme les combattants d'une idéologie voire d'un pays, l'État islamique. Donc, il leur applique les mesures légales qui protègent l’accusé dans un Etat de droit. Il connaît les réseaux, et il les « suit » de près jusqu'à ce que le meurtre soit commis moyennant quoi il a la preuve que tel et tel, dont on ne l'aurait vraiment pas cru, a tué. Ce fut le cas pour Mérah comme pour les deux frères qui ont « tué Charlie hebdo » On n’avait pas de preuves suffisantes pour les arrêter, jusqu'à ce que la preuve soit inutile. Bref, on traite des soldats d'un État et d'une Cause très précise comme des fous, des délinquants qui dérapent, des criminels de droit commun ; et c'est logique puisqu'on ne veut pas reconnaître l'existence d'une partie violente de l'islam, qui est endossée et prise en charge par un nombre important de personnes.
Il y aura donc régulièrement des sacrifices humains pour payer ce déni qui se révèle confortable. À long terme, ce déni fait tort à l'islam, puisqu'il le pose comme une entité totale, sans faille, faite d'amour et de tolérance. Il faudra beaucoup d'ignorance et un fort matraquage idéologique pour faire croire qu'il n'y a pas de djihad dans l'islam, sachant que le vaste empire islamique s'est formé au fil des siècles par des djihads successifs.
En analysant la question des caricatures, comme symbole[1], j'ai montré la difficulté d'auteurs musulmans éclairés à admettre réellement la liberté d'expression. C’est qu'elle entrave leur déni des parties violentes. Donc, à moins d'un réel sursaut (mais d'où viendrait-il ?), c'est cette liberté que l'on va enterrer en grand cortège. Pourtant l'immense majorité de ceux qui vont défiler sont contre la charia et contre le djihad - qui a encore tué des juifs. Ce sera dur, d’entendre répéter qu'on est contre cette violence qui n'a rien à voir avec l'islam, qu’elle est importée du dehors, de l'étranger (l'idée que le Coran est importé de l'étranger semble bizarre alors que des écoles coraniques en France enseignent sagement les versets en question.) Ce sera pénible à entendre, parce que Charlie Hebdo touchait à l’islam (qui doit rester intouchable), et qu’il a été tué par des gens qui appliquaient les parties dures de l’islam. Et les autres sont morts parce que « juifs », symbole de ce qui est à la source du Coran, et que le Coran s’acharne en vain à réduire.
[1] Voir Islam, Phobie, Culpabilité
11 janvier 2015 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
PSYCHANALYSE ETHIQUE
Le séminaire de Daniel Sibony
2014-2015
Le séminaire reprend et fêtera sa 4Oème année.
Le "Dictionnaire vivant", dont c'est la troisième année, sera achevé : les mots restants, seront traités au fil des séances thématiques.
Thèmes des séances successives :
4. L'Europe dans l'avenir ; valeurs et nihilisme (le 21 janvier)
5. Rapports singuliers à la langue. Effet d'exil et d'entre-deux; la langue comme refuge
6. Textures de vie et littérature
7. La force de l’image. Le cinéma
8. Entre Bible et Heidegger, l’existence
9. Le voyage
Le séminaire aura lieu à la Faculté de Médecine, 15 rue de l’École de Médecine, Pavillon 1 à 19h; aux dates suivantes: 18 février, 18 mars, 22 avril, 20 mai, 17 juin. Pour être sûr de recevoir un rappel, envoyer un mail à [email protected]
Entrée: 15 euros, étudiants: 5 euros
Gratuit pour les étudiants de la Faculté de Médecine
25 décembre 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
|
Ces agressions sur des passants au cri de Allahou akbar sidèrent l'opinion occidentale et sont un vrai casse-tête pour les experts, car ils doivent, dans leurs analyses, respecter le principe devenu fameux : ça n'a rien à voir avec l'islam.
Mais le phénomène n'est pas étonnant pour qui a vécu en terre arabe, entouré par l'islam traditionnel ; et c'est mon cas. Là-bas, les attaques contre les juifs (et les chrétiens, jusqu’à l'arrivée des Européens) étaient fréquentes, et surtout dans l'ordre des choses. Pendant 13 siècles elles ont eu lieu à peu près impunément, elles pouvaient être l’œuvre de fous, de moins fous, ou de pas fous. Le fait qu'elles expriment une vindicte inscrite dans les Textes, une vindicte légitime puisque orientée contre les ennemis d'Allah, les soustrayait à l’analyse pathologique. D'ailleurs, à ces époques, jusqu'au milieu du XXe siècle, quel psychiatre aurait osé s'atteler au problème de savoir si la vindicte d'une identité envers les autres peut avoir, ou non, un caractère pathologique ?
Mais l'histoire est parfois cruelle : en amenant l'islam plus au fond de l’Europe, elle amène aussi devant un public médusé des coutumes ancestrales, millénaires, que seules ont connues, pour les avoir endurées, les minorités juives ou chrétiennes dans ces pays. Les souverains, moyennant un impôt lourd et complexe, protégeaient ces minorités des agressions aléatoires venant de la foule musulmane, autant dire de n'importe qui, individus ou petits groupes. Ils avaient tout intérêt à les protéger, s’ils voulaient les rançonner efficacement. Mais aujourd'hui, la minorité juive a presque disparu des pays arabes, la chrétienne est en train de fondre, et les croyants zélés, naïfs ou fragiles sont en libre circulation sans que personne ne leur explique que ça ne se fait pas là où on n’a pas le pouvoir. Mais « le djihad » leur explique que ça doit se faire, même sans être organisé, embrigadé, ou efficace. Or le djihad est important dans [1] « l’islam », qui a bâti son vaste empire par des djihads successifs, tout en étant, bien sûr, une « religion de paix ». Le djihad est un effort intérieur qui peut vouloir s'extérioriser en exprimant la vindicte envers les autres, qui ne font aucun effort pour se rapprocher de la vérité.
Devant ces actes agressifs, dont on ne voit que les plus « fous », les médias sont très gênés ; au point qu'aujourd'hui, lorsqu’il y a une agression, et qu'on ne nomme pas l'agresseur, les gens comprennent qu'il s'agit d'un musulman ; surtout si l'on ajoute qu'il ne faut pas faire d'amalgame. Les experts officiels sont aussi très gênés. Ils pointent la folie clinique, mais ça les coupe de la réalité, celle non pas tant du « terrorisme » que du djihad ; (deux notions distinctes, bien qu’elles se recoupent). Ils invoquent le mimétisme induit par les Palestiniens ; sous-entendu : ceux-là, c'est normal qu'ils foncent dans la foule, avec couteau, voiture ou tracteur, et avec le même cri Allahou Akbar, qui dans leur cas, serait juste un petit plus, n'indiquant nullement une guerre sainte interminable jusqu'à la défaite de l'ennemi. Or ce cri signe toute sainte agression envers des non-musulmans, car c'est la mise en acte de la vindicte inscrite. (D'autres paroles plus pacifiques sont inscrites, mais celle-là l’est aussi, et on espère la recouvrir par les paroles pacifiques). Il y a une grande variété d'actes ; par exemple, l'enlèvement des jeunes femmes au Nigéria s’est fait sous le même signe : c'étaient des chrétiennes à convertir. Et un « effort » de ce genre s'est accompli périodiquement pendant des siècles, mais c'est maintenant que le grand public peut en prendre connaissance.
Il n’est pas dit que notre pensée européenne « des lumières » puisse affronter ces phénomènes ; elle est assez totalitaire, elle n'imagine pas que des gens puissent être pacifiques, sympathiques, et saisis de temps à autre par l'impulsion vindicative qu'ils chantent quotidiennement dans leur texte sacré. Quand des personnes sont très saisies, ou le sont fréquemment, elles formalisent leur djihadisme. Mais celui-ci peut aussi se pratiquer ponctuellement, isolément, comme un acte pieux, certes incongru en pleine Europe ; la fréquence des cas-limites et même leur dispersion leur donne consistance, et relie toutes ces personnes, qui sont par ailleurs des braves gens, que l’on pourrait appeler des Allahouakbars. (Rappelons ce terme ne veut pas dire Dieu est grand comme on nous le répète, mais Allah est le plus grand ; sous-entendu : plus grand que les Dieux des autres ; il s'agit d'un comparatif, qui est en l'occurrence, un superlatif.)
L’islam a du mal à penser sa division, mais l'Europe aussi y a du mal, à supposer qu'elle puisse penser la sienne. Il n’est pas facile de penser que tout être parlant est partagé, que toute pensée vivante est divisée, que c’est même par cette division que passent la vie et l'épreuve de vérité.
En ce sens, l'islam, à son insu, donne à l'Europe une leçon de philosophie pratique ; à charge pour elle de se montrer à la hauteur, notamment de ne pas faire la politique de l'autruche.
[1]Il y a un insécable, un guillemet et une virgule intempestifs
25 décembre 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
|