Le jour de la "fête du mouton", le journal de TF1 a fait son travail - d'expliquer aux Français le pourquoi de cette fête musulmane. Le journaliste a dit qu'elle commémore le sacrifice d'Abraham à qui Dieu avait demandé de "sacrifier son fils unique Ismaël". Or l'expression "unique" pour Ismaël fils d'Abraham ne figure pas dans le Coran. En revanche, elle figure dans la Bible mais pour Isaac : dans la Bible, Dieu dit à Abraham : "Prends ton fils, ton unique, que tu aimes, Isaac, et va [le sacrifier]…"
L'info de TF1 est donc fausse. Mais on ne peut lui en tenir rigueur car un "anthropologue spécialiste de l'islam", Malek Chébél, explique[1] ainsi la signification de la fête de l'Aïd-el-kébir : "C'est une fête religieuse, musulmane, qui relève d'un symbolisme remontant à Abraham. Celui-ci avait failli sacrifier son fils, Ismaël, sur ordre de Dieu". Jusque-là, pas de problème, il adopte la version coranique. Mais il ajoute : "Ce passage du Coran se retrouve, par ailleurs, dans la Bible". Là, le spécialiste fait preuve d'ignorance, car ce passage sur le sacrifice d'Ismaël ne se retrouve pas du tout dans la Bible: celle-ci ne parle que du sacrifice d'Isaac. Précisons que le Coran - ou le Dieu qui l'a dicté - a pris la plupart de ses récits dans la Bible et qu'il mentionne Isaac, fils d'Abraham, mais il raconte le sacrifice biblique d'Abraham-Isaac en mettant Ismaël à la place d'Isaac.
En somme, TF1 prête au Coran ce qui n'y est pas, le fils unique, Ismaël; et Malek Chébél prête à la Bible ce qui n'y est pas : le sacrifice d'Ismaël. En outre, l'expression qu'il emploie: "ce passage du Coran se retrouve dans la Bible" laisse entendre que la Bible l'a emprunté au Coran. Cela ne choque pas des ignorants, mais ceux qui savent que le passage biblique sur le sacrifice d'Abraham précède d'au moins un millénaire le récit coranique - seront surpris.
A moins de supposer, comme c'est le cas dans les milieux intégristes, que le texte du Coran, étant la parole de Dieu incréée, dite en direct à Mahomet, c'est la Bible qui a pris ses histoires dans le Coran. Mais cette "parole incréée" c’est-à-dire originelle d'Allah, n'est venue au jour, sous forme dite ou écrite, qu'au VIIème siècle après Jésus-Christ, donc bien après la Bible.
Ces erreurs ou ignorances que je signale auraient pu être facilement évitées. Si elles ne l'ont pas été, c'est qu'elles correspondent à des blocages plus profonds, que j'analyse dans mes deux livres sur les trois monothéismes[2].
L'autre problème qu'elles posent, c'est qu'on voit mal à quel niveau, dans quelle instance elles pourraient être rectifiées: quel journal accepterait de publier cette mise au point? Ne vaut-il pas mieux rester sur des petits mensonges plutôt que de faire de petites vagues?
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