Je lis dans un journal[1] un reportage sous ce titre, qui donne la parole à ces "terroristes pour les uns, résistants pour les autres". Très intéressant, car c'est à mesure qu'on avance dans les propos de ces militants qu'on les comprend. Sinon, au départ, cela semble très banal; ils dénoncent les Israéliens: ceux-ci "ne poursuivent pas que les militants, mais aussi leur famille, leurs amis, leurs voisins.", dit Salem, qui ajoute: "Les Israéliens ne veulent pas la paix". Les militants (du Hamas ou d'autres groupes) planifient des attentats suicides car "les Israéliens veulent la guerre".
Le même (qui " se définit comme un organisateur") ajoute: "La résistance est le seul moyen de forcer les Israéliens à faire la paix." Du coup on se demande à quoi peut ressembler cette paix, pour lui, qui est comme ses compagnons, décidé à se sacrifier et à sacrifier ses enfants, qu'il appelle des "cadeaux pour la résistance". Ils sont tous sous le signe d'une "guerre sainte", un jihad, ils veulent le paradis. "Et s'il n'y a pas de paradis?", questionne le journaliste. Réponse: "Dieu l'a confirmé. On n'a pas de doute. On sait que nous sommes l'outil islamique pour nous débarrasser des juifs." (Légère inexactitude, l'homme a parlé en arabe, il a donc dit: "Allah l'a confirmé", et non pas "Dieu". Il se peut qu'après tout l'Allah des uns ne soit pas le Seigneur des autres; mais bon.)
C'est vers la fin de l'interview que les espoirs et les projets se précisent: "Si on avait l'arme atomique, on ferait péter tout Israël, comme cela il n'y aurait plus de juifs." Ces militants sont sûrs que leur mépris de la mort (puisqu'ils vont au paradis) leur donne une grande supériorité sur "les juifs" qui, eux, "la craignent et font tout pour protéger leur vie."
En un sens, l'enquête ne nous apprend rien, mais elle révèle quelques failles dans un discours aussi total.
1/ Ils déplorent que les Israéliens ne veuillent pas la paix. Or il apparaît à la fin que cette paix ne peut être que la disparition d'Israël, en tant que souveraineté juive: "Nous voulons récupérer nos terres et nous sommes même prêts à cohabiter avec les Juifs dans un Etat islamique qui respectera la liberté de culte de chacun." C'est conforme au principe de la dhimitude pratiquée pendant des siècles en terre d'islam: on tolère les juifs, mais pas question qu'ils soient souverains sur une terre devenue islamique, même si elle fut, auparavant, "terre d'Israël", dont le symbole s'est transmis.
2/ "La résistance est un droit légitime. Il n'y a pas que les Juifs qui ont le droit à la légitime défense. Ce n'est pas à nous de payer pour l'holocauste", dit l'un d'entre eux. Il semble donc déplorer l'"holocauste", et même reconnaître qu'il faut payer pour ça, pour dédommager les Juifs; mais ce n'est pas aux Palestiniens de payer (sous-entendu, c'est à l'Europe). Or il vient de dire qu'ils sont prêts à en faire un, d'holocauste, puisque le but est de supprimer Israël, et que le "rêve est de tuer le plus grand nombre de juifs. Je suis prêt demain et à tout moment à faire un attenta-suicide". Donc légère contradiction. On en déduit que le "ce n'est pas à nous de payer pour l'holocauste" est un argument destiné aux Européens.
3/ L'un d'eux, qui a dit: "nous sommes l'outil islamique pour nous débarrasser des juifs", ajoute: "et il faut le faire car eux n'hésitent pas un seul instant à tirer des obus de char sur des civils pour nous exterminer". Or si les Israéliens tiraient avec leurs tanks sur des civils, sans hésiter, cela se saurait, et cela ferait de grands massacres. Donc, pourquoi avoir besoin de ce mensonge? et de l'idée que Israël veut "exterminer" ses ennemis?
De fait, un discours totalement mortifié ne peut pas être vrai. Du reste, lorsque l'homme conclut: "nous sommes sûrs de la victoire" et que le journaliste questionne: "Quand?", il répond: "Lorsque tout le peuple Palestinien se transformera en kamikaze", on sent l'excès mortifié. Un peuple tout entier ne se suicide pas. Mais il peut suicider son avant-garde à petit feu sur de très longues périodes. C'est ce qui arrive.
Pourtant, on sent dans ces excès un désir de vivre ensemble. Bien que ce désir plafonne sous la barre séculaire: il faut que ce soit sous une souveraineté islamique. Cette barre dit bien l'une des limites du conflit. Tant qu'elle n'aura pas bougé, le conflit durera, même si "les Territoires" sont rendus. Car il est clair aujourd'hui que si la Cisjordanie est rendue, comme Gaza, ainsi que le demandait l'OLP, il y aura des fusées sur Tel Aviv venant de Ramallah, comme il y en a sur Sdérot et bientôt sur Ashkélon venant de Gaza. C'est ainsi. Et à terme, les Juifs de là-bas seront à nouveau dans un ghetto. Les ghettos juifs, en terre d'islam, comme en Russie ou en Pologne, dépendaient du bon vouloir de l'entourage.
[1] . Le Monde 9/11/2006.
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