On vient de me montrer des tableaux
à exposer. Je regarde, c’est "pas mal", il y a de l’idée, de l’élan,
mais c’est raté. Vous me direz « soit, mais ça montre le ratage!" Eh
bien, c’est de ça que je commence à me fatiguer. J'aimerais que ce soit bien
raté, que le ratage lui-même soit assez réussi pour que, tout en rappelant le
ratage assez fréquent qui nous entoure, il appelle autre chose; il rappelle
qu’il y a toujours autre chose. Par exemple, que l’artiste l’a reçu en pleine
gueule, ce ratage, mais l’a surmonté par son art, par sa pensée qu’il met en
acte, par sa création. Et qu’y a-t-il d’autre pour nous "sauver"?
pour nous sauver de nous-mêmes, de la jouissance mielleuse où l’on risque de se
noyer comme des mouches, qu’y a-t-il d’autre sinon: nous donner des nouvelles
de la création ? L’artiste n’est-il pas fait pour ça ? Alors, ces
petits ratages exhibés comme symboles des ratages du monde, il faut qu’ils
soient à la hauteur du monde, à la hauteur de la création . Que ce soit
des très grands ratages qui nous prennent aux tripes, nous suffoquent dans
l’instant, nous retournent et nous aident à nous relever, à nous refaire.
Parfois j'ai envie - mais je me
retiens - de dire à l'artiste: "Mais réussis-le, ton ratage, bon sang!".