Il doit y avoir un
certain affolement à l'approche du pouvoir; les fantasmes de toute-puissance,
les petits élans de "parano", ou de maîtrise globale… En général, il
ne faut pas très longtemps pour déchanter: on comprend qu'on va gérer les
affaires courantes, certes en ayant du pouvoir sur beaucoup de gens, mais assez
peu sur le réel. Cela donne aux "vrais souverains" une certaine
sagesse. Souvent le pouvoir "bonifie" ceux qui le conquièrent; ça les
calme un peu, ça leur permet d'être meilleurs que lorsqu'ils étaient candidats.
Quoique l'état de candidat soit fort intéressant. Il vous les scanne l'un après
l'autre, au scanner mystérieux qu'est le Regard public, regard implacable du
public.
La folie qui saisit
parfois ceux qui sont au pouvoir et leur fait perdre la tête est ancienne.
S'agissant de perdre la tête, la France en connaît un bout puisque lors de
sa vieille Révolution (de 1789-1793), il suffisait d'être proche du pouvoir, et
d'y pencher sa tête histoire de mieux voir la Scène, à droite et à gauche, pour que la
tête soit coupée assez vite. C'était comme ça, un petit effet mystérieux, qu'on
peu bien sûr analyser[1]. Mais
l'autre jour j'ai entendu ce mot du Maître de l'Iran: "L'Iran est un
train sans marche arrière et sans frein". L'intérêt de cette parole
est qu'elle assume sa propre folie. Car un train qui est dans cet
"état", c'est justement ce qu'on appelle un train fou. On peut même
entendre là un appel de détresse, du type: Arrêtez-nous! Le même appel
que lancent des malfaiteurs quand, par malchance, tout leur réussit; ils ne
voient plus la limite, plus de frein; ça les angoisse. En l'occurrence, ce chef
d'Etat semble crier: Gare au train fou! Arrêtez-nous! On est des
malfaiteurs! (au sens: on va (se) faire mal.
La même mortification
le confirme, de l'autre côté de la frontière, côté Irak: Regardez comme on
s'explose, comme on peut se faire mal. Et on a le projet de continuer, puisque
ça vous angoisse...
Mais ce chef d'Etat,
lui, peut le dire tranquillement. Cela prouve que l'effet mortifère qui balaie
la Oumma comme un vent mauvais, peut trouer
la tête des Chefs. C'est sous le même effet que des civils Irakiens se font
exploser, et qu'on exalte le martyr - qui se tue pour la "bonne
cause", c'est-à-dire pour tuer beaucoup de monde plus souvent des
"frères" que des ennemis…). Cette même mortification, effet de
l'identité totale, intégriste ou intégrale, monte à la tête d'un chef d'Etat et
s'exprime en paroles morbides, ou en mauvais projets.
Il est normal que des
Occidentaux, angoissés par tout ça (à quoi ils comprennent peu de chose) se
rabattent sur un affect plus sûr, la culpabilité: Tout ça c'est de
"notre faute"! Manière classique d'entrer dans le jeu par le
haut, de croire qu'on y peut quelque chose; de s'en convaincre.
Cela dit, cette
mortification est un effet narcissique, et celui-ci peut ailleurs faire des
ravages. Voyez une dirigeante de haute volée, Indira Gandhi, esprit mûr et
supérieur comme on en voit rarement: lorsqu'elle dû, à tort, réprimer la
révolte des Sikhs, elle s'est mise en tête qu'elle n'allait pas congédier ses
gardes du corps sikhs, parce que l'Inde étant un Etat laïc, il n'est pas
question de renvoyer des fonctionnaires en raison de leur origine. Et ses
gardes sikhs, en pleine fonction, l'ont simplement abattue, à bout portant. On
voit l'aspect narcissique de cette "folie": si moi (Indira), je
décide que leur citoyenneté l'emporte sur leur identité (sikh), c'est
qu'il en est ainsi.
Bref, quand ça leur
monte à la tête, ils décident de ce qu'est là réalité, au mépris de ce qui leur
échappe, c'est-à-dire de l'essentiel.
[1] . Voir Evénements I.