Repentance et fair play
A propos d'Obama, j'avais dit que des Américains pourraient être rétifs à son endroit car son second prénom, Hussein, pouvait rappeler certains souvenirs (Saddam Hussein) et que sa formation islamique brève en Indonésie, (dans une école publique de Djakarta où l'on donne de toute façon une formation fondamentale même "light"), pouvait être évoquée négativement. Quant à ce qu'enseignent ces formations, c'est un problème intéressant qui se posera de toutes façons même en Europe; on en reparlera[1].
Or les victoires successives d'Obama montrent que cet obstacle est largement balayé par un phénomène nouveau: un très grand nombre d'Américains semblent si surpris par l'émergence de cet homme, de son style franc et sympathique, qu'ils sont prêts à voter pour lui; comme s'ils prenaient conscience que par là, ils pouvaient désavouer tout le passé américain de racisme antinoir. Ce serait donc une façon de se rédimer, de se racheter, de racheter la faute des parents - par un acte généreux et gratifiant, où l'on jouit de balayer certaines réserves passéistes pour célébrer une valeur très américaine, simple et fondatrice: si un homme semble sincère, méritant, énergique, il ne faut pas le rejeter, il faut même, à l'occasion, faire table rase de préjugés obsolètes. Façon de montrer qu'on en est soi-même libéré.
Beaucoup n'ont pas d'autre raison que celle-là de le soutenir. Et l'on dirait que même sa rivale, Hillary, cède à cette pression, cet élan, cette tentation de l'acte juste et généreux. Face à ce désir d'absolution, le fait qu'elle ait ressassé sa "compétence", son "expérience", n'a pas tenu devant l'espoir de renouvellement soulevé par son rival, et la surprise qu'il suscite.
Certes, il a évoqué Kennedy; espérons que la partie "folle" de l'Amérique qui élimina celui-ci ne soit pas tentée de refaire le coup.
A propos de ce désir d'absolution conjugué au fair play qui semble prévaloir; cette sorte de repentance pragmatique. Ici, en France, la repentance est plus grinçante, et pour cause. En un sens, l'idée de Sarkozy pour transmettre la mémoire des élèves juifs déportés pourrait aussi, une fois travaillée, devenir plus "pratique" ou praticable: un groupe d'élève se charge de faire connaître l'histoire d'un groupe d'élèves déportés s'il y en a eu dans cette classe; le résultat du travail (et du débat) serait confié aux arrivants à la rentrée, qui à leur tour se chargent du dossier (ou de l'expo, bref, du matériel pédagogique) et à leur tour feraient un débat, etc. Chaque classe concernée aurait donc une histoire de la transmission concernant l'événement. Il n'y aurait ni adoption d'un mort, ni introjection de choses morbides que l'on a fantasmées. Outre que le niveau des connaissances - parfois consternant - en serait amélioré, il est bon que ce soient d'autres que des Juifs qui prennent part à la transmission de cette histoire; elle concerne (surtout?) les autres, elle a eu lieu dans l'espace où ils travaillent.
Mars 2008. Mais revenons à Obama, car entre-temps, son pasteur et conseiller spirituel depuis vingt ans a fait des déclarations dignes des pires intégristes. Aussitôt, Obama s'est désolidarisé… tout en restant fidèle à son ami pasteur (c'est déjà une prouesse, qui peut plaire à certains et en inquiéter d'autres). Et il a contre attaqué en prenant la défense des Blancs "déçus" par la discrimination positive envers les Noirs; donc en drainant vers lui des voix de Blancs agacés par l'attention, selon eux, excessive envers les Noirs. Les médias sont "impressionnés" - on les comprend, c'est assez fort.
Du coup, le risque de méfiance envers lui se repointe: n'est-il pas trop habile? Ne doit-il pas surmonter et sa courte formation islamique précoce de Djakarta, et sa longue amitié avec le pasteur extrémiste? C'est peut-être beaucoup. Il se peut que l'élan favorable, réparateur et expiatoire, venant d'une masse de Blancs retombe un peu comme une vague partie trop tôt, et qui arrive à son sommet avant le moment fatidique où elle pouvait - cette vague - le porter haut?
Il est vrai qu'entre temps, Hillary s'est fait prendre en flagrant-délit de mensonge plus que gênant: pour faire valoir son "expérience", elle a raconté une virée en Bosnie avec son époux, au temps de sa présidence, ils étaient sous les balles tant le danger était grand… Or les images retrouvées de cette même virée indiquent une arrivée paisible. Mensonge abrupt. S'il la dessert, cela veut dire qu'elle tomberait par où elle a péché: la fatuité sur l'"expérience" de first lady…
Bref, est-ce à dire que le troisième larron passera?
C'est dire en tout cas qu'il faut repenser un peu plus ces êtres singuliers qu'on appelle des candidats. Ils ne sont pas idéaux, c'est clair; ils sont là pour porter, véhiculer, sinon les idéaux des masses, du moins quelques uns des fantasmes et des espoirs qui animent une société.
[1] . Je renvoie là-dessus à mes deux livres "Les trois monothéismes" et "Nom de Dieu", (Seuil, Points-Essais).