J'avais écrit le texte qui suit en pleine "guerre de Gaza", et la personne chargée de le mettre sur le blog a oublié de le faire. Ce n'est pas plus mal qu'il paraisse aujourd'hui tant les événements de cette région semblent être l'éternel répétition de la même chose. Le voici donc, surtout pour ceux qui me disaient: "Alors? vous n'avez rien à dire sur tout ça?"
10 janvier 2009
La paix est si proche
Les épisodes du conflit du Proche-Orient, plus ils sont différents (le Liban tout récent du Hezbollah n'est pas le Gaza du Hamas) et plus ils se ressemblent. Non pas au sens où ils ramènent aux racines du conflit; car ces racines, personne n'ose en parler, ça fait trop peur, alors que ce serait bien passionnant. On est surtout très absorbé par l'enchaînement du phénomène: 1/ fusées ou attentats-suicides contre Israël, 2/ ripostes de celui-ci, 3/ elle est "disproportionnée" mais on la supporte un certain temps, 4/ puis, les "bavures", on exhibe les victimes, de préférence des enfants, 5/ un cessez-le-feu "s'impose", plutôt bénéfique pour les deux parties; des forces internationales arrêtent le lancement des fusées en échange du retrait des tanks.
Entre-temps, certains se noient dans l'indignation comme une mouche dans le miel, d'autres méditent sur la nouvelle "nature" des guerres, alors que le constat est clair: les humains ont besoin d'en découdre violemment pour que les deux parties puissent être enfin séparés par des tiers. Les raisons affichées par chacune des parties sont une façon de s'intoxiquer ou d'intoxiquer les autres. Ainsi, il est clair que l'invasion israélienne, mieux ciblée ou pas, n'arrêtera pas les fusées, puisque les lieux de tir sont dans des maisons et qu'on ne peut pas les détruire toutes. De même, en face, ceux qui appellent au djihad et à l'extermination ou qui exhibent les "martyrs" savent bien qu'ils n'iront pas très loin et que c'est une façon de célébrer leur foi et de consolider leur pouvoir.
Quant au Tiers, qui observe par la lucarne de la télé, il sait prélever sa jouissance dans l'indignation; chacun veut montrer qu'il a plus de cœur que l'autre, mais tous savent qu'il faut un certain avancement dans la violence pour qu'on puisse imposer son arrêt. De sorte que la couverture médiatique commence par être lucide et finit par de l'affolement organisé, oubliant non seulement les causes lointaines - il est dit qu'on n'en parle pas - mais les causes immédiates. Et c'est logique, les Tiers et leurs médias doivent aussi prélever leur petite part de jouissance.
Pour ma part, en analysant les racines inconscientes du conflit*, j'ai montré qu'il y aura souvent la paix, mais que l'idée de paix définitive est un fantasme ou un "but" - très - lointain. Car même si cette paix est un jour affichée, il suffira qu'une petite bande de jeunes qui ont bien bu veuillent exalter leur Allah pour qu'ils cèdent à l'envie de lancer en face de mauvais pétards. La faille inconsciente qui nourrit ce conflit est si profonde, que même si on trouvait des radars pour dévier toutes les fusées, on trouvera vite d'autres gadgets mortels pour les tromper et ainsi de suite…
Mais ces phases du conflit sont aussi une épreuve: elles mettent à l'épreuve la maturité des gens, des publics, des sociétés. La nôtre est assez mûre, mais elle a besoin de contempler - de consommer - des sacrifices humains, dûment organisés. Cela ne l'aide ni à penser ni à se questionner sur les causes. Elle donnera toujours (pour un temps) sa sympathie au plus apparemment victimisé; en attendant de se ressaisir, jusqu'à la prochaine fois. Or il est clair que les intégristes de Gaza, comme naguère ceux du Liban, jouissent d'être victimisés (ou plutôt de victimiser leurs proches), plutôt que de chercher de meilleures conditions de vie pour leur population.
Le Tiers, lui, est vraiment interpellé; en voici un exemple que certains m'ont transmis d'une vidéo prise dans "You tube". C'est un groupe de "jeunes de banlieue", chacun masqué d'un keffié, qui menace un directeur de salle au cas il la loue pour un meeting de soutien à Israël; car dans ce meeting on lève des fonds qui peuvent aller à l'armée, laquelle commet des "crimes", etc. Si ces jeunes sont masqués c'est qu'ils savent que c'est illégal, que c'est une méthode maffieuse de "faire la loi". Si cette "loi" d'un groupe prévaut sur la loi collective, alors le Tiers s'effondre, ici même, en plein espace républicain. Et comme ce conflit est appelé à durer - très - longtemps, on voit que le Tiers ici sera longtemps et très souvent interpellé sur ce qu'il en est de sa dignité.
Quant à nos médias, on comprend qu'ils nous servent ces images fortes et sanglantes; qu'ont-ils à se mettre sous la dent et à offrir? Eux aussi sont confrontés à l'étonnante médiocrité de leur quotidien; les seuls moments d'émotion garantie sont les cadavres qu'ils nous envoient pour le dîner.
Le conflit durera tant que chacune des deux parties n'a pas décidé d'assumer sa propre faille plutôt que de l'imputer à l'autre. Ce sera long, et le Tiers fera en sorte que ce soit vivable.
Mais Israël ne peut pas être en paix active et définitive avec ses voisins car la "haine identitaire" est trop forte, et chacun sait très bien où elle se trouve. Il y aura au mieux un état de paix minimale c'est-à-dire de non-agression mutuelle. Et Israël sera un peu comme un ghetto en terre hostile. Mais justement, vu tout ce qui s'est passé dans les ghettos, y compris en Orient et au Maghreb, il ne peut pas se permettre cette fois-ci de recevoir à tout moment des pierres - en l'occurrence des fusées. Voilà pourquoi cette guerre était inévitable; il eût fallu une maturité surhumaine de part et d'autre pour économiser la violence avant de mieux marquer la trêve.
En revanche, et soit dit en passant, la guerre avec l'Iran, lequel aura sans doute l'arme atomique puisque personne jusqu'ici ne l'en empêche, cette guerre ne sera pas inéluctable. La logique de la dissuasion, qui a fort bien fonctionné en son temps, entre les deux Grands, gardera sa validité; surtout si le peuple iranien, qui n'est pas le peuple allemand d'Hitler loin de là, écarte cet hystéro-paranoïaque qui le gouverne.
P.S. On a dit que ceux qui soutenaient passionnément les Palestiniens au point de vomir Israël étaient surtout intéressés par leur rejet de l'Etat juif et s'en foutaient des gens de Gaza. C'est peut-être plus subtil: ils font coup double, ils font jouir en même temps leur compassion sur le dos des victimes les plus voyantes, et leur vieille vindicte antijuive, sur le dos de l'Etat hébreu.