J'ai suivi l'élection du Directeur Général de l'UNESCO sans trop d'inquiétude. "Si c'est l'Egyptien qui passe, me disais-je, ce sera un malheur mais qui aura son aspect positif: on verrait en pleine action, sur une scène bien visible, cet homme et ses semblables, ceux qui parlent le même langage que lui; et le monde verrait comment ils pensent, ce qu'ils préconisent, etc." Mais ça, c'est ce qu'on se dit pour ne pas avoir trop mal quand le coup approche. Au fond de moi, j'espérais que le Dieu du Livre ferait, au dernier moment, un petit miracle. Je dis bien: le Dieu du Livre, pas forcément du Livre hébreu, car cet homme avait déclaré "qu'il brûlerait lui-même les livres en hébreu s'il les trouvait dans les bibliothèques". Bien sûr l'hébreu n'est pas une langue quelconque; même les théologiens chrétiens du Moyen-Age disaient que le monde a été créé en hébreu avant que les savants de la Renaissance ne rectifient: il a été en langue mathématique et que nous en venions à penser que la Création c'est le feu de l'être qui anime toutes les langues... Mais bon, le Dieu du Livre, celui dont tous ceux qui font un livre sont un peu les serviteurs, ce Dieu insituable qui brille dans toutes les écritures lorsqu'elles ont un éclat, lorsqu'elles font une trouvaille, ne pouvait pas rester indifférent. Et pour perdre notre homme, voilà qu'il lui a balancé une femme dans les pattes qui l'a fait glisser. Pourtant l'Amérique était favorable à son élection, elle a dû vendre assez cher son accord à l'Egypte. Israël aussi n'était pas contre, il a dû aussi bien vendre sa voix. La France était carrément pour; on sait que sur la scène mondiale, elle est encore trop souvent à double face, (si cela pouvait lui donner plus de surface..., mais est-ce le cas?) Bref, la réal politik allait bon train, jusqu'à ce glissement salutaire.
Voyons plus loin. Le même réalisme politique a vu s'amenuiser l'ambition d'Obama sur le Proche-Orient: il n'a pu obtenir qu'une chose, que les deux adversaires se touchent la main. C'est ce qui arrive lorsqu'on aborde ces problèmes par leur aspect extérieur, alors qu'en dedans il y a un gros volcan spirituel qui demande une autre écoute que "réaliste". Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait rien à faire, au contraire, il s'agit de rendre ce conflit vivable. Et je suis sûr qu'il y aura là-bas souvent la paix; même si la paix définitive se révèle un fantasme. Ce n'est pas si mal: "souvent la paix". C'est comme dans la vie, dans celle de chacun: de grandes étendues paisibles entrecoupées d'explosions, de déchirures, de crises. Que diriez-vous si un expert vous proposait de donner à votre vie une solution définitive pour qu'après vous ayez enfin la paix, pour toujours? Eh bien là-bas, c'est comme dans la vie, c'est même un symbole des conflits intrinsèques à la vie: cassures identitaires, partages de l'origine... Bref, la totale difficulté. Mais c'est paisible en ce moment, très paisible: j'ai passé l'été là-bas, pas une ombre de terroriste. Est-ce que ces gens seraient devenus plus raisonnables soudain? Non, cette sérénité est due au travail méticuleux des forces qui s'occupent chaque jour de combattre le terrorisme. Pour que les autres puissent respirer, être à la plage, se promener, travailler...
Au fait, ici aussi, en France, on ne parle plus de terrorisme. Serait-ce que ces gens sont devenus soudain très raisonnables? ou serait-ce dû au travail méticuleux qui se fait à la source, surtout en Afghanistan, grâce aux forces américaines et... françaises? Il faudra donc réfléchir en profondeur avant de retirer celles-ci. Il ne faudrait pas que le réalisme superficiel impose sa loi. Le réel est plus caché, voire indicible, mais il est bien réel. Ou si l'on préfère, il n'y a pas qu'une réalité, et le réalisme a plusieurs niveaux.
Daniel Sibony, vient de publier un roman, Marrakech, le dÉpart, chez Odile Jacob - www.danielsibony.com