Sur le chemin, j'ai croisé une dame qui m'a parlé de son cousin, que j'ai connu aussi, qui est assez jeune mais qui passé alzeimer. Et je comprends après-coup que les efforts obsédants qu'il avait pour dire de longues phrases qui paraissaient vouloir s'accrocher à de solides raisonnements, ces efforts n'étaient peut-être que son ultime résistance à l'avancée de la maladie. Ce doit être affreux de voir venir peu à peu la grande Perte de Mémoire et de n'y pouvoir rien; de constater qu'on a beau s'accrocher à de longues phrases, elles finissent toutes par donner dans l'abîme.
Et je me dis qu'il y a toutes sortes de morts: celle du corps qui disparaît, inhumé, celle de l'esprit qui se perd, laissant le corps livré à ses mouvements inanimés, celle du coeur ou de la pensée (que de gens ont gardé "tous leurs moyens" et ne pensent pas). Et il y a la "mort sociale" qu'on inflige à ceux qui étaient en place et qu'on met au placard ou sur les bas-côtés, qui restent sans emploi, sans fonction, sans aucun rôle à jouer; on les laisse pour morts alors qu'ils sont encore vivants. Affreux, d'être enterré comme un mort alors qu'on est encore vivant mais qu'on n'a pas les moyens de le dire aux autres, de les en convaincre.
Toujours en revenant vers mon bureau, je croise une femme qui attend au feu rouge, je la connais, elle est médecin, la soixantaine bien avancée. Naguère encore, son visage fripé trahissait l'avance de l'Age, terrifiante pour elle, et le ratage de ses liftings successifs. Eh bien là, elle a dû trouver le bon chirurgien, il a repris "tout ça", de sorte qu'elle a vraiment l'air d'une femme de quarante ans; pas une ride. Quand je l'ai abordée en disant: "Mais qui est donc cette jeune femme de ma connaissance?...", elle a roucoulé de plaisir. Je ne sais pas s'il y a quelqu'un derrière son masque lisse, mais après tout, il donne tous les signes extérieurs de la présence. Et moi j'y ressens une énorme absence.
Alors j'arrive à mon bureau et je me réfugie sur une feuille de papier où je me mets sous les ailes de l'autre Présence, la vraie, et je tente d'écrire ce qu'elle me dit.
Vous avez raison. La mère de PensezBiBi a versé dans l'Alzheimer il y a plus de 10 ans. Mourir de son vivant ou vivre en mourant un peu plus chaque jour est une chose terrifiante. BiBi souffre un peu moins en l'écrivant. Oui, (l')écrire ( ou vous lire...) pour ne pas oublier d'être en vie. :-)
Rédigé par : Pensez BiBi | 06 décembre 2009 à 14:01