L'opposition massive des Suisses à ce qu'il y ait plus de minarets a été, me semble-t-il, jugée avec trop de passion, une passion qui se dispense d'expliquer le phénomène. On se contente trop de l'idée que 58% d'entre eux sont des extrémistes; on ajoute d'ailleurs que si ce vote avait eu lieu en France ou dans d'autre pays d'Europe, le résultat eût été le même. Mais peut-on se contenter de cette hypothèse qu'il y a 58% d'abrutis en Europe? Elle est certes commode, quoiqu'un peu effrayante (tant d'extrémistes que ça?), et surtout, elle n'explique rien. Parfois on croit la nuancer: ce ne sont pas des extrémistes mais ils font l'amalgame entre islam et terrorisme. Cela aussi est un peu gros, parce que depuis le temps, les gens savent faire la différence entre le convivial et le fanatique. Du reste, pourquoi cette grosse différence que "nous" savons faire, serait-elle inaccessible à la plupart des autres?
Je fais donc une autre hypothèse, qui vaut ce qu'elle vaut. J'imagine que depuis le temps qu'on parle d'islam dans les médias, des Suisses (et d'autres) sont allés voir dans les Textes, dans le Coran par exemple, et ont trouvé avec surprise qu'Allah traite les chrétiens d'"imbéciles" - parce qu'ils osent "associer" un Fils à Dieu et parce qu'ils croient que Dieu peut aller avec une femme et lui faire un enfant. Cette découverte a pu produire chez eux un mouvement d'humeur, même parmi les incroyants. Elle a dû se propager d'autant plus vite et plus fort qu'elle était censurée. Elle aurait pu susciter un débat, mais c'était exclu: on ne discute pas de ces choses-là, sous prétexte qu'on trouve dans les Textes tout et son contraire; et que la parole d'Allah c'est l'affaire des théologiens. En tout cas, l'irritation ou la rancoeur s'est contenue, retenue, et elle ressort quand elle peut, par exemple lors d'un referendum (très dangereux, ce genre de vote: les gens disent en direct ce qu'ils pensent). L'irritation ressort sur un détail secondaire mais hautement symbolique: le minaret, signal aujourd'hui inutile puisque c'est de son faîte que le muezzin appelle les fidèles à la prière et que même dans les pays musulmans on a mis à sa place, tout au sommet, un haut-parleur, lequel ne saurait fonctionner ici, car son appel réveillerait à l'aube des gens d'une autre confession.
Bref, l'hostilité au minaret signifie un rejet symbolique d'un symbole perçu comme hégémonique ou souverain. (Rappelons que durant des siècles, dans les pays islamiques, les dhimmis, c'est-à-dire les juifs et les chrétiens ne devaient pas bâtir des lieux plus élevés que les "vrais croyants".)
Certes, le discours laïc aurait pu calmer les choses mais il n'en est rien. Un ami chrétien qui a demandé au ministère des cultes s'il était normal que des textes le traitant d'imbécile soient enseignés aux frais de
En tout cas, cela suggère que si le voile n'est pas levé sur le contenu des Textes fondateurs, notamment sur ce qu'ils disent des autres, le dialogue étant impossible sauf en langue de bois, se poursuivra par signaux agressifs; et la phobie remplacera encore longtemps la raison. Il est clair que les musulmans d'Europe ont besoin de mosquées pour prier et "se ressourcer", mais si la source où ils se régénèrent éclabousse les autres, et si les autres n'ont pas la maturité nécessaire pour y être indifférents, ils réagiront lorsqu'ils en auront les moyens. Faut-il pour autant supprimer dans chaque Texte fondateur les versets insultants pour les autres? Les choses sont loin d'être mûres pour que ce soit envisagé. En attendant, il est touchant de voir des politiciens se demander si le minaret est "absolument nécessaire" dans une mosquée; si des propos sur l'architecture pouvaient sublimer le problème...
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