En tant que psychanalyste ayant écrit sur la violence et sur d'autres malaises sociaux[1], je m'inscris en faux contre des propos complaisants sur la violence à l'école. Tels ceux d'un pédiatres[2], qui nous décrit (et diffuse comme modèle) sa situation d'enfant autrefois, vivant dans une "précarité extrême" mais "respectant les enseignants", comprenant que tout n'est pas dû, qu'on doit gagner ses "galons", faire ses "preuves"; et l'on progresse ainsi sous la "protection" des maîtres et "l'amour compensatoire" que donnent les parents, jusqu'à maîtriser ses passions violentes et finir par "les refouler", par "se socialiser" et "cesser de se croire le centre du monde".
L'ennui c'est qu'à mettre un tel exemple au centre du monde éducatif actuel, on rate complètement les problèmes qui s'y posent. Car ce que ne dit pas Naouri de son enfance et des siens, c'est qu'il faisait partie d'une immigration particulièrement motivée, où l'enfant disposait d'une transmission symbolique forte, où l'autorité parentale et le respect du savoir et de l'enseignant vont de soi. Son cas n'a rien à voir avec celui des jeunes de banlieue "issus de l'immigration" maghrébine qui ont du mal à prendre appui sur l'autorité des adultes car justement ils ont hérité d'une image parentale - et surtout paternelle - défaite, avec des problèmes symboliques qu'on a eu beau contourner, ils sont là. On aura beau dire à leurs parents de faire acte d'autorité, les menacer du retrait des allocations, ils ne peuvent que crier plus fort leur impuissance. L'image d'eux-mêmes qui s'est transmise est celle d'une autorité peu fiable, marquée par l'échec, la rancoeur, l'humiliation, l'amertume, et souvent le double discours qui à la fois valorise la modernité et la méprise au nom de la tradition, avec en arrière-plan des fondamentaux religieux qui font problème à l'Occident, mais qui parfois sont les seuls à fournir un cadre de discipline efficace.
Le résultat donc, est que ces jeunes ont comme pris le relais de l'autorité parentale défaillante, ils veulent la prendre à leur compte pour l'affirmer haut et fort: ce sont eux les vrais adultes, eux qui savent comment ça marche. Et ce coup de force ne peut se faire que dans la violence, le passage à l'acte immédiat en cas d'altercation. Ces jeunes ont reçu en héritage un symptôme des parents, ingérable par eux autrement que par le coup de force, la relation brutale, duelle, où chacun d'eux est à la fois partenaire et détenteur de la loi, une loi au moins aussi valable que celle qu'on lui oppose. Ces grands enfants, toujours d'après les clichés, on "leur laisse croire que tout leur est dû"; c'est faux, ils le croient déjà, c'est un effet de leur posture narcissique pour compenser la défaite parentale.
Bref, l'appel à l'autorité semble s'adresser à la galerie pour avoir des applaudissements plutôt qu'aux adultes sur le terrain qui voient leur autorité bafouée ou confisquée par certains jeunes. Ce n'est pas la première fois que l'on dénonce la séduction (envers les jeunes) pour mieux séduire le public non-concerné.
Quant à dire que la précarité matérielle est négligeable en cette affaire, c'est inexact. Bien sûr, elle n'est pas déterminante mais elle compte quand elle s'ajoute au décor sombre où les parents ne peuvent avoir d'autorité; car pour en avoir, il faut être un peu plus auteur-acteur de la loi qu'on transmet.
Cela dit, derrière ce symptôme parental qui écrase ces enfants et les oblige à se raidir jusqu'à être explosifs, n'y a-t-il pas aussi le symptôme d'un pouvoir politique qui prétendit intégrer ces familles par des mesures purement formelles? Mais on ne peut pas intégrer l'autre quand on a peur de le connaître, avec son histoire et ses problèmes. Il faut vraiment faire connaissance pour passer avec lui un contrat d'honneur qui ne mette pas "
En réalité, à la place du "faire connaissance", on leur a accordé une reconnaissance formelle et préalable. De sorte que ces jeunes n'ont pas la motivation qu'avaient les jeunes des immigrations antérieures, celles d'il y a 50 ans: nous cherchions à nous faire reconnaître par
Certains, pour se masquer le problème, sont prêts à voir l'origine de ce malaise dans le slogan de Mai 68: "Il est interdit d'interdire". Ce faisant, ils doublent leur ignorance du réel par un réel manque d'humour; car cet "interdit" n'a pas été "suivi", il n'a jamais fonctionné; sans doute parce qu'il se contredit.
Dans le débat actuel autour de la violence en banlieue, lors de la campagne pour la Présidentielle de 2007 Jacques Cheminade avait donné quelques pistes de réflexion autour déun vrai projet de désenclavement de la banlieue, le Plan Jaures :
- arrêter toute mesure provocatrice du type de celles proposées par MM. Sarkozy, Villepin et de Villiers, comme expulser les étrangers en situation régulière arrêtés lors des émeutes ou orienter des jeunes de 14 ans vers l’apprentissage, en cassant toute perspective de promotion sociale réelle ;
- redéployer réellement une police de proximité, rétablissant l’ordre et rendant l’espace public aux jeunes, et tisser un réseau de médiateurs sociaux grâce à des emplois jeunes, pour éviter d’avoir recours à des CRS ou à des brigades de gendarmerie inexpérimentées ;
- redonner, bien au-delà de ce que prétend faire M. de Villepin, de réels moyens aux associations (par exemple, les crédits du Fonds d’intervention pour la ville et ses subventions aux associations ont diminué de 40 % entre 2004 et 2005) et aux boursiers ;
- multiplier les cours d’alphabétisation et de soutien scolaire, au besoin par la mobilisation de retraités bénévoles et prévoir le suivi cas par cas de chaque élève par une équipe pédagogique, avec des classes de quinze à vingt-cinq élèves maximum ;
- prévoir dans chaque collège une assistante maternelle et sociale aidant et motivant les enfants et leurs parents. Les soins de dentisterie et de lunetterie doivent être enfin remboursés : il ne s’agit pas ici de rentabilité financière, mais de simple dignité humaine ;
- la mise en place systématique d’écoles de la deuxième chance, fournissant à la fois une formation générale et une formation professionnelle. Or il n’y en a que huit aujourd’hui et l’Etat ne les finance pas ; il faut le faire sans délai, en les multipliant ;
- créer dans chaque quartier une « maison du citoyen » regroupant dans des conditions de proximité tous les services administratifs aujourd’hui trop dispersés ou installés en dehors de la cité (CAF, services judiciaires, services de police, services d’accueil et de renseignement, interprétariat, cours pour adultes, activités d’animation) ;
- stopper une politique d’imposition et de contributions sociales qui favorise les riches au détriment des pauvres et des classes moyennes ;
- interdire les jeux de hasard destructeurs, de type Rapido, Point-courses et vidéopokers dans les bars, et réglementer plus sévèrement les jeux vidéo violents ;
- assurer un service d’eau potable à bas prix (le prix de l’eau a augmenté de 38 % en dix ans !), en rétablissant les régies communales et inter-communales ;
- donner à tous un logement digne de ce nom, pas une cage à lapins, et imposer aux communes (241 communes, Neuilly en tête) qui ne respectent pas les 20 % social des amendes de 1000 euros (et non 150) par logement manquant, affectés à la construction de logements sociaux ;
-offrir un avenir chez eux aux travailleurs africains. Notre première tâche doit être de faire de l’Afrique un nouvel Eldorado. Notre premier devoir est d’arrêter le pillage d’une caste dirigeante maintenue au pouvoir par les colonisateurs financiers. Alors l’émigration pourra devenir un choix, et non une fatalité sociale. Les terribles images de Ceuta et de Melilla ont contribué à enflammer nos banlieues ; la seule solution pour empêcher qu’elles se reproduisent est de développer l’Afrique ;
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Rédigé par : David C. | 20 avril 2010 à 23:02