L'épisode de la viande hallal est typique du refoulement que s'impose cette société au nom du "vivre ensemble", en fait, du politiquement correct. Je m'explique. Le mot "hallal" veut dire "permis" par la religion, tout comme le mot "casher" signifie "bien préparé, acceptable", par la religion.
L'abattage hallal se fait sous le signe d'Allah, plus précisément d'une prière qui met cet acte sous le nom d'Allah le très miséricordieux (bismallah…). Il semble que beaucoup de gens ne veulent pas manger de la viande hallal parce qu'ils ne veulent pas du Dieu Allah (ou de l'islam) dans leur assiette. Mais comme cela ne peut pas se dire, car on aura vite fait de les pointer islamophobes (-Mais oui, leur dirait-on, vous avez peur qu'il y ait du hallal dans votre assiette? vous avez peur de l'islam? des arabes? -Mais non, on n'a pas peur, on n'en veut pas dans notre assiette, c'est tout). Alors tout se reporte sur le fait que dans cet abattage, on n'étourdit pas l'animal; et l'on parle de la souffrance animale, etc. Alors qu'il s'agit d'une souffrance des humains, celle d'avoir à manger du hallal qu'ils le veuillent ou non.
Car pour ce qui est de la souffrance animale, c'est un tout autre problème. Déjà, les bêtes qui attendent à la file perçoivent que ce qu'il y a au bout, c'est l'abattage, le meurtre, et elles l'expriment en ayant un stress croissant, c'est repéré. Que l'abattage soit hallal ou non. Mais sans parler des mammifères, lorsqu'un pêcheur sort au bout de sa ligne un poisson, et que celui-ci frétille, on peut penser que ce n'est pas de joie; il suffoque tout simplement. Qu'en est-il de sa souffrance? Et de la souffrance des animaux qui à l'état de nature se font déchirer par des prédateurs qui s'en nourrissent? Si on les protégeait pour éviter cette souffrance, ne risque-t-on pas de voir les prédateurs mourir de faim? De même pour les humains, si on met en avant la souffrance animale comme insupportable, qu'allons-nous manger? Faut-il devenir tous végétariens? Il faudra énormément de végétaux pour remplacer les protides animaux. Et ceux qui aiment la viande et le poisson, faudra-t-il les regarder d'un sale œil comme des jouisseurs qui se moquent bien de la souffrance animale?
On peut s'interroger sur ce regain d'intérêt pour ladite souffrance. Qu'est-ce qui fait que certains s'identifient à l'animal qu'on abat ou au poisson que l'on pêche? En se mettant à la place des animaux, ils intègrent les animaux à leur moi, ce qui gonfle celui-ci au-delà de ses limites normales. Ce faisant, ils parlent surtout d'eux-mêmes, ils expriment leur peur d'avoir mal, eux. C'est comme s'ils étaient dans le poisson ou dans le poulet. La transmission de la vie exige peut-être qu'ils ramènent les contours de leur narcissisme à des limites plus modestes, ou qu'ils assument cette extension pour leur propre compte. Quand cette logique extensive n'a pas de limite, puisque certains veulent étendre cette souffrance qu'ils ont à tous leurs semblables, cela peut faire problème. Comme tous les grands projets pour "supprimer la souffrance".
A tout cela, il faut peut-être ajouter, notamment dans l'espace chrétien, une certaine culpabilité: on se met à la place de la victime, tout comme on s'identifie à Jésus souffrant. Le paradoxe est qu'il a dû souffrir pour sauver ses fidèles de leurs péchés, mais s'il n'avait pas souffert, s'il n'avait pas été tué, il n'aurait pas été un Dieu. Les chrétiens "adorent" ce paradoxe: un Dieu-victime. D'où l'ambivalence dans cette culpabilité. Toutes les fois que les fidèles risquent de pécher, c'est-à-dire assez souvent, ils deviennent potentiellement des causes de sa mort. Cette culpabilité ne se retrouve pas dans l'espace bouddhiste ou islamique; car dans ces espaces, le Dieu n'a pas été tué. Mais dans le monde chrétien, cette culpabilité est souvent prête à se projeter sur cette figure du divin qu'est l'animal.
Cela dit, il faut être méchant pour faire souffrir exprès qui que ce soit.
Commentaires