La polémique autour de R. Millet et son "éloge" du tueur norvégien, était déjà, selon moi, une version de la même rengaine, assez vieille, à laquelle nous sommes condamnés pour longtemps; et voilà que les remous et polémiques qui ont suivi, que ce soit sur le film "américain" ou sur le n° de Charlie Hebdo, la remettent en scène, c'est la même ritournelle: d'un côté ceux qui s'inquiètent de la violence islamiste, qu'elle soit physique ou dans les mœurs, de l'autre ceux qui disent que c'est de l'islamophobie, du "racisme", que c'est indigne, etc. Quel que soit l'événement, on a le même chant à deux voix. Déjà lors du 11 septembre, le premier, certains étaient ahuris devant le terrorisme islamiste et d'autres scandaient que l'islam n'a rien à voir avec; pendant que la rue, d'un bout à l'autre du monde arabe, se réjouissait.
Dans un livre sur les Perversions, d'il y a 25 ans, j'avais consacré un chapitre au terrorisme, en tant que "fanatisme de la vraie loi". Il a la même structure, que ce soit chez le tueur norvégien ou chez Mohamed Merah. Le terroriste est un pervers dur qui veut écraser l'autre avec l'arme de "la vraie loi" qu'il tient dans ses mains, la seule loi qui vaille, la sienne, portée par un fantasme d'origine pure, totale, sans faille. Pour le tueur norvégien, c'est l'identité nordique, européenne, entachée par des étrangers inintégrables; et comme il ratiocine, ce n'est pas à eux qu'il s'en prend, mais à ceux des siens qui les défendent; il déteste l'autre dans le même. Merah ne fait pas autre chose: il veut détruire l'autre qui s'en est pris à l'islam (militaire français) et aux juifs, cible évidente pour un islamiste, qui peut invoquer aussi bien ses "frères" palestiniens que le Coran.
Entre ces deux pôles intégristes - occidental et islamiste -, il y a tout un dégradé de perversions petites ou grandes. Par exemple R. Millet a dû tenter de "comprendre" le tueur norvégien, et en ce sens l'absoudre, mais il s'est caché derrière la littérature, et il a été débusqué par les littérateurs qui n'ont eu aucun mal à le pointer "islamophobe", donc "raciste". Or il y a dans les discours qui le harponnent des erreurs notables.
Le Clézio, par exemple, dit que "la figure actuelle de l'antisémitisme, c'est l'islamophobie". Et qu'en est-il lorsque les auteurs actuels des actes antisémites sont islamiques? Sait-il, par exemple, que le slogan de la manif islamique sur les Champs-Elysées contre "le film", c'était: "Egorge les Juifs"? Expression qui, dans le discours islamiste, n'est pas choquante, elle éclaire même peut-être, pourquoi le monde arabe est aujourd'hui pratiquement judenrein. Cet honorable écrivain devrait aller soutenir son point de vue devant près de la moitié d'enfants juifs de la région parisienne qui ne s'inscrivent pas à l'école publique par peur d'être attaqués par des élèves musulmans. A moins de les traiter d'islamophobes? C'est facile quand on ne court aucun risque. Et il aurait sur le dos les directeurs des écoles qui lui feraient cet aveu: ils ne peuvent pas assurer la sécurité de ces élèves, c'est pourquoi ils leur "déconseillent" de s'inscrire. Et plus tard, ils n'ont pas eu à le leur déconseiller, ils ont compris tout seuls. L'ironie du sort veut que cela se passe dans des écoles où l'on a apposé des plaques mentionnant le nom d'enfants juifs déportés.
En revanche, j'ai entendu l'écrivain A. Meddeb déplorer que ces masses musulmanes réagissent par un réflexe pavlovien au film anti-islamique, et ajouter que c'est une œuvre d'idiot qui fait réagir des idiots. Traiter d'idiots ces dizaines de millions d'hommes, c'est courageux, et c'est surtout désespéré.
Chacun sait que la censure règne dans les pays arabes récemment "libérés par des révolutions. Or c'est cette même censure que l'on veut imposer ici. Car en soutenant la liberté d'expression sauf pour ce qui touche au sacré, on s'aligne strictement sur la logique des intégristes, qui invoquent des versets coraniques du genre: "Ne tuez pas l'homme que Dieu a sacré sauf pour une cause juste". Ou encore: "Ne polémiquez avec les gens du Livre [juifs et chrétiens] qu'avec courtoisie, sauf s'ils sont injustes". C'est avec de tels "sauf" qu'on en est à ce "sauve qui peut", y compris pour les musulmans modérés, forts isolés, qui ne savent où donner de la tête. Puisqu'ils sont, en fait, forcés de rejoindre l'unanimité contre les caricatures et contre le fameux film (dont l'auteur a très vite muté: d'israélo-américain qu'il était, il est devenu copte).
Or la flambée unanime pour défendre le sacré est le principe même du terrorisme et de l'ameutement qui l'induit.
La tâche des musulmans modérés va donc être difficile, car non seulement l'islamisme est la partie active de l'islam, mais elle entraîne dans l'ameutement des masses énormes. Et elle effraie les démocrates européens, prêts à céder sur la liberté de parole au nom du sacré. Donc à cautionner l'islamisme.
En passant, on voit bien qu'aujourd'hui, le vrai pouvoir, ce n'est pas de parler (sauf à gonfler la même mousse sur le thème: surtout pas de vague, et pas d'huile sur le feu); le vrai pouvoir est de faire taire ceux qui auraient des choses à dire, et à penser.
Commentaires