L'épisode récent de Gaza est instructif, même s'il a été assez bref et si l'on a pu éviter l'affrontement terrestre. Instructif de l'invariance étonnante quant aux enjeux du Conflit. Certains ont pu dire : Israël a évacué Gaza, qui n'a pas de contentieux avec l'Etat Hébreu, alors pourquoi l'agresse-t-il de roquettes et autres fusées? A quoi les autres, en face, rétorquent : mais Gaza est enfermée par un blocus maritime aérien, terrestre! Objection qui, elle aussi, a sa réponse : le blocus est en fait assez souple du point de vue des échanges économiques, mais le lever reviendrait à faire de Gaza une base iranienne géante; et côté terrestre, on ne peut pas laisser entrer des terroristes. Alors quoi?
Alors Gaza exprime périodiquement son statut : être la pointe avancée du refus arabo-islamique d'un Etat du peuple juif. Ce refus est inscrit dans les Textes fondateurs, sous la forme d'une vindicte envers ce peuple qui, comme tel, n'a pas de raison d'exister puisqu'il est composé, "pour la plupart", d'insoumis et de pervers. Quant à ses droits sur cette terre, ils ont certes existé dans la promesse divine, mais ils sont devenus obsolètes depuis que Dieu – ou plutôt Allah – a rejeté ce peuple parce qu'il a péché. Quel péché? Celui du Veau d'or, de l'idolâtrie. On croit halluciner, mais ce sont là, bel et bien, les bases de l'objection radicale à l'existence d'un Etat juif. Cet arrière-fond islamique-fondamental est si prégnant, qu'il fait oublier à ceux qui demandent qu'on restitue les terres d'Israël aux Arabes, que ces Arabes n'y ont pas été souverains depuis des siècles. En effet, depuis qu'ils ont été colonisés par des musulmans non-arabes, par les Turcs, les Arabes ont perdu là toute souveraineté pendant des siècles; sur cette région comme sur tant d'autres qui composaient l'Empire ottoman.
La preuve que c'est bel et bien ce background fondamental qui a joué, c'est que l'attaque massive par des fusées de Gaza a commencé trois jours après la visite du Prince du Qatar, qui a laissé 400 millions de dollars, avec ses encouragements. Le Qatar est un Etat fondamentaliste richissime, qui investit de façon très avisée en Europe, en Afrique et ailleurs, et intervient ponctuellement pour soutenir les mouvements intégristes. Y compris, récemment, au Mali, où son "aide" humanitaire est très ciblée en faveur des envahisseurs fanatiques. (On aimerait avoir la liste de ses investissements en France, pour mieux voir la manière dont il y apporte ses exigences ("culturelles".)
Toujours est-il que l'attaque de Gaza sur Israël est presque une célébration rituelle du rejet de l'Etat hébreu, célébration financée et soutenue par les deux branches sunnites et shiites de l'islam fondamental. Ce genre de rituel a quelque chose d'invariable.
Autre invariance : de tout cela, on n'a pas pu vraiment parler dans les médias français. L'homme de la rue ou l'homme très informé vous disaient en chœur que cette guerre a commencé parce qu'Israël a tué un chef du Hamas. Et là se pose un problème éthico-philosophique intéressant : à partir de quel moment le mensonge infiltré massivement dans le discours social produit-il des effets toxiques décelables? On parle de pollution de l'air, de l'eau, mais il y a une pollution mentale qui fait que des gens, absorbent, d'un côté le mensonge, et de l'autre, restent soumis aux effets de la vérité qui continue son travail, et ne disparaît surtout pas du fait que certains y restent sourds. Le résultat est une énorme indifférence, qui sert aussi à se défendre contre la violence du constat : ce conflit n'aura pas de fin, mais connaîtra de longues accalmies. (La plus longue accalmie, aux temps bibliques, aurait été de quarante ans ; une bonne génération, sans plus.)
Gaza a toujours été le fief des Philistins (pélishtim, dont la racine, plsh signifie invasion). Les Romains, pour mortifier davantage ce qui restait du peuple juif dans la région après leurs grands massacres, ont fait envahir par ce mot toute la contrée, la nommant "Palestine". Laquelle vient d'accéder au rang d'Etat non-membre observateur aux Nations dites Unies. De là, elle pourra faire observer d'autres formes de cette vindicte inexpugnable.
Pour nous, celle-ci est un simple effet de la rivalité sans merci entre deux transmissions, celle d'Israël et celle d'Ismaël, la seconde voulant depuis treize siècles effacer la première chez laquelle elle a puisé l'essentiel de sa substance. Le psaume 83, antérieur de plusieurs siècles au christianisme et à l'islam, fait état de cette rivalité, puisqu'il pointe une coalition de forces, où l'on trouve les forces édomites, ismaélites, moabites, hagarites (Hagar) auxquelles s'ajoutent celles de Ammon (ayant aujourd'hui pour capitale Amman), Amalec, et… des Philistins. Les premières en tout cas, relevant d'une descendance d'Abraham via Hagar et Ismaël, devaient parler arabe, avec une tradition élohiste ou plutôt allahiste assez floue, sans Texte fondateur, mais toutes bien décidées sur le même but (verset 5): "Allons, rayons-les [les Juifs] du nombre des Nations, et que le nom d'Israël ne soit plus mentionné". Ajoutant (verset 13): "Emparons-nous des demeures d'Elohim", c'est-à-dire du Mont du Temple, de Jérusalem. Les Textes arabes fondateurs du VIIème siècle ont mieux formalisé la chose, qui vient donc de très loin.
Certains esprits très "objectifs", au point d'en être un peu glacés, soutiennent qu'il s'agit là d'une rivalité entre deux universalismes. Mais voilà, un universalisme qui pose ou suppose la disparition d'un peuple, dont il confie le meurtre un par un à la bonne foi de ses fidèles, un tel universalisme fait problème.
Daniel Sibony
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