Ce texte est presque entièrement consacré à l'alternance bénédictions-malédictions qui seront le lot d'Israël s’il l'écoute ou n'écoute pas les paroles divines, s'il suit les lois de YHVH ou au contraire les rejette.
La partie bénédictions (« si vous marchez selon mes lois et gardez mes préceptes »...) est assez brève : il y aura de la pluie en son temps, la terre donnera sa récolte (yévoulah : ce qu'on fait venir ou advenir grâce à elle) ; l'arbre donnera son fruit, vous mangerez à satiété, vous serez installés en toute confiance sur votre terre; il y aura la paix, rien ni personne pour vous effrayer. L’important c'est (verset 9) que « Je me tournerai vers vous » (la racine c'est panim, la face : la face de l'être se tournera vers vous ; autrement dit, vous aurez de quoi être, de quoi vous tenir face à l’être, aux possibles transmissions de vie ; et le verset poursuit : Je vous féconderai et je soutiendrais (je dresserais, je donnerais lieu (racine koum : le lieu) à mon alliance avec vous. Ma résidence sera parmi vous (la résidence c’est le mishkane, dont on a déjà parlé, qui a ici une fonction plus générale de lieu d'être) ; je marcherais, je ferai mouvement au milieu de vous. Entendez : Vous serez en mouvement librement dans votre lieu d'être, vous serez en liberté d’être ; et vous serez "mon peuple", le peuple de l'être divin qui vous a fait sortir d'Egypte, littéralement du lieu-d'être-esclave-pour-eux, l’être qui vous a fait marcher la tête haute.
Le texte s'attarde bien plus sur ce qui se passe s'ils n'écoutent pas, ce qui arrive le plus fréquemment. Il y aura toutes sortes de malédiction, mais en fin de compte, l'être se rappellera l'alliance d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, l'alliance des "premiers" et il maintiendra l’alliance ; entendez : l’alliance sera maintenue ; son ancrage premier sera rappelé ; en tout cas, l’extermination sera exclue. Or si le peuple ne disparait pas, la transmission se maintient, d'une façon ou d'une autre. Mais le détail des malheurs est intéressant : si vous rompez mon alliance (verset 16), je vous enverrai l'affolement, la consomption et la fièvre qui font languir les yeux et défaillir l'âme. L'affolement est proche de l'angoisse, c'est la perte des repères. Or Dieu n'a pas besoin de l'envoyer, puisqu'elle est là, s'il est vrai que le rejet de l'alliance fait perdre les repères ; et le résultat, c’est qu’on est assez enclin à s’affoler.
Notre idée, ici comme ailleurs dans la Bible, c'est que les prétendues malédictions ne sont que la traduction en acte du rapport à l'être quand il est marqué de refus, d'hostilité, forcément réciproque: si vous êtes dans le refus de l'être, vous êtes refusé par l'être, c'est presqu'une évidence. Du coup, au lieu que l'être se meuve parmi le peuple, il fera face au peuple, sur le mode hostile, forcément. Or si l'être vous est hostile, vous êtes dans le non-lieu-d'être, dans l'instabilité totale : la terre ne donne pas, le travail est ingrat, improductif, les choses se présentent de travers, on trébuche sur elles ; c'est dit très clairement : si vous me prenez de travers (qéri, racine qar; qéri c’est aussi le hasard, au sens du n'importe quoi), je serai avec vous de travers ; l'alliance trahie se vengera : (26,25) la vengeance de l'alliance viendra sur vous, vous vous replierez sur vos villes et la peste sera parmi vous (l'être « enverra » la peste). Et c'est logique, si l'on est dans le rejet de l'être, rejeté par l'être donc, on se replie sur soi, et c'est la peste, la mésentente, le ratage collectif, la faiblesse devant l'ennemi. Car l'ennemi est prévu ici comme persistant; c'est aussi logique dès l'émergence du peuple juif : il a forcément des ennemis qui soit veulent le virer de son alliance pour le remplacer, soit veulent la démentir (c'est notre thèse sur l'essence de la vindicte anti-juive).
Donc le travers dans le rapport à l'être va devenir rageur, exaspéré (v. 28 : hamat qéri). S’ils persistent à ne pas entendre, cette rage atteindra la transmission, au niveau le plus charnel : (v.29) Vous mangerez la chair de vos fils et de vos filles. Cela s'est réalisé lors la chute de Jérusalem devant les babyloniens, décrit par Jérémie, qui évoque ce cannibalisme dans les rues de la ville de. Mais c'est aussi à entendre symboliquement : vous détruirez vos enfants, en ne leur transmettant rien; puisque vous aurez rejeté la transmission[1]. Du coup vos « lieux » saints seront détruits, votre encens, celle des offrandes ne sera pas respirée ; ne sera pas inspirante. Vous serez dispersés parmi les peuples, vous disparaitrez en eux (26,38); c’est le risque de l'assimilation totale.
Mais à chaque coup reçu il y a la possibilité de se réveiller, de prendre conscience. (v.41) Peut-être les survivants feront-ils retour ? Peut-être leur cœur incirconcis fléchira t-il ? Reconnaitront-ils leur faute et en seront-ils apaisés ?... (Comme quoi le déni de la faute, le déni du manquement est dans un état de guerre intérieure, de guerre froide avec vous-même et avec l’être.) S’il y a retour, alors il y aura du rappel, c’est encore presque une évidence : l'être sera rappelé à l'alliance initiale, originelle.
Il importe de marquer que tous ces malheurs expriment ou proviennent d'une rupture d'alliance de la part des hébreux, mais que l'alliance, elle, ne sera pas rompu si les survivants font retour. Là encore c'est une évidence : tant qu'il y a des juifs, avec une dimension collective (langue, texte, tradition, transmission, étude, sous les formes les plus diverses, même les plus contradictoires, mais vivantes, etc.), il y a de la transmission, donc de l'alliance. C'est la preuve qu'il y en a parmi eux suffisamment dont le cœur incirconcis s'est ouvert, et c'est la preuve que l'alliance est maintenue. Et c'est l'appel à ce qu'elle le soit.
J'insiste sur l'aspect évident et intrinsèque des « malédictions » : on n'a pas affaire ici à un obscur Dieu jaloux qui, si on ne lui obéit pas, va chercher on ne sait où des malheurs qu’il vous jetterait à la figure pour vous terroriser. Cette vision que certains promeuvent, soit pour se soumettre à ce Dieu soit pour le rejeter comme une aberration, comme un pur dérangement de la vie, est contraire à notre approche ontologique. On a ici affaire à l'être, donc la sanction ne fait qu'exprimer l'état où l'on est. Si par exemple on se fait des idoles, cela ne veut pas dire qu'on fabrique des statues et qu'on s'agenouille devant; cela veut dire qu'on remplace la présence par des représentations, que l'on est le jouet des représentations qu'on se fabrique ou que d'autres vous refilent. On perd donc ses repères intrinsèques, et c'est ce qui est dit : c'est l'affolement, auquel on est forcé de pallier en consommant encore plus de représentations; donc en s'aliénant davantage par peur... de l'affolement. Le texte ne dit pas autre chose. De même, cette fièvre qui affaiblit les yeux et le cœur; signifie : vous vous activerez fiévreusement mais votre cœur, disons votre organe de l'amour ou votre rapport à l'amour de l'être sera faible, débile, de même que votre regard, aveuglé par le soleil que vous adorez (je détruirais vos temples solaires...). Ce n'est bien sûr par le soleil qu'il faut adorer, c'est une figure de la lumière d'être, c'est elle qu'il s'agit de chercher et de transmettre.
[1] Nous n'entendons pas celle-ci au sens forcément religieux : quelque soit le sens qu'on lui donne l'important est qu'elle existe comme transmission de vie.
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