Là-bas, sous les missiles, j'étais serein ; c'était un désagrément, mais si ponctuel… Une bonne douche, c'est le meilleur remède au trottoir, me dit une femme qui, surprise par l'alerte loin de tout abri, a dû s'allonger comme tant d'autres sur l’asphalte. Chacun intègre cette gêne sans que cela entame l’essentiel, le travail de vivre. Il y a de la vérité dans l’air: ils nous tirent dessus pour dire qu'ils détestent notre existence. C’est clair, logique, on est dans la réalité. En revanche, depuis je suis ici, je sens dans l'air un déni de réalité qui ressemble si souvent au mensonge volontaire.
Au mieux, on entend que les gens de Gaza et le Hamas qui les dirige en ont marre du blocus ; alors ils tirent, pour alerter l'opinion, pour que ça s'arrête. Et au fait, que signifie ce blocus ? Ce contrôle qu’impose Israël sur ce qui entre dans Gaza, pour éviter que des armes anti-population s'y accumulent. (Certes, malgré le blocus elles s'y sont accumulées et le Hamas s’en sert à fond, mais sans blocus, il y aurait cent fois plus d'armes et de tunnels à démanteler.) Ce que signifie ce blocus, c’est que les gens du Hamas ne veulent pas discuter avec les Juifs en acceptant que les Juifs aient une souveraineté. Cela contrarie leur croyance essentielle, qui fait partie des fondamentaux, dont ils assurent la transmission à l'identique. Cette croyance, qu’on qualifierait aujourd’hui d’intégriste, était un principe islamique pendant treize siècles – durant lesquels jamais les juifs, en terre d'islam, n’ont eu de souveraineté. Mais aujourd'hui qu'ils en ont une, refuser de parler avec eux d'égal à égal relève d'un déni de réalité pour maintenir la croyance fondatrice. Un déni qui se cache derrière cette apparence, ou cette néo-réalité : un État inhumain, contre tout bon sens, cerne une agglomération, et celle-ci, par le biais de ses dirigeants, le Hamas, en appelle, pour que cela cesse, à l'opinion mondiale ; pour ne pas parler aux Juifs en tant qu’ils ont une souveraineté.
Or cette néo-réalité est pleine de paradoxes. Par exemple, les peuples des États arabes, parfois même leurs dirigeants n'aiment pas le Hamas, ils ne veulent pas le voir déteindre sur leur pays, ni que ses semblables, c'est-à-dire les intégristes de chaque pays, prennent du pouvoir. Donc ils se réjouissent des coups que lui porte Israël. Mais ils ne doivent pas le montrer. Ils se réjouissent qu'Israël fasse le travail ; mais l'opinion « révolutionnaire » en Europe est favorable au Hamas : il a beaucoup de victimes parmi sa population, disons même qu'il fait beaucoup de morts parmi le peuple qui l'a élu. Donc l'opinion révolutionnaire ou progressiste, en Europe, est favorable à un pouvoir que les peuples arabes n'aiment pas, et dont les Gazaouites eux-mêmes commencent à être excédés. Ce paradoxe – d’ une opinion qui ne jure que par le peuple, et qui a une posture antipopulaire - ce retournement en reflète un autre : quand, dans une guerre, une des parties se sent d'autant plus victorieuse qu’elle a plus de morts parmi les siens, on est en pleine perversion .
Certes, on pourrait dire que les pro-Hamas en Europe n'entrent pas dans ses détails, ils voient mourir des femmes et des enfants, et leur cœur flambe d'indignation. On mettrait celle-ci au compte d'un profond humanisme, en s'étonnant de ne l’avoir pas vu s'exprimer à l'occasion d'autres massacres, ceux de Syrie par exemple. On s'étonnerait aussi que soit passé sous silence l'usage des femmes et enfants comme boucliers humains ; c’est un secret de polichinelle qu’on hésite à rappeler. Donc, en s'en prenant à Israël qu'ils traitent d'État assassin, sans un mot sur cette prise d’otages massive, ces grands humanistes adoptent la position du Hamas, une instance pas vraiment humaniste. Dans la foulée, ils adoptent de fait la vindicte antijuive qui reste un réflexe encore actif parmi les peuples arabes. Mais cette vindicte n’est plus prioritaire parmi ces peuples, d'abord parce qu'il n'y a presque plus de Juifs parmi eux (alors qu'il y en a eu plus d'un million qui vivait dans une telle harmonie qu’on se demande pourquoi ils ont disparu) ; et surtout, parce que ces peuples veulent plutôt essayer de vivre. Nos progressistes et humanistes qui soutiennent le Hamas se retrouvent donc dans une posture régressive par rapport aux peuples arabes, qui cherchent toujours leur printemps.
Position régressive, mais qui rejoint la croyance originaire de ces peuples, croyance qui s'est transmise à l'identique : les juifs sont des maudits d’Allah, exclus de toute souveraineté. C'est cela, l'antisionisme : cela consiste simplement à refuser au peuple juif une souveraineté. On peut respecter les juifs, leurs communautés, leurs coutumes, on peut avoir de grands élans d'indignation sur les malheurs qu'ils ont vécus, mais s'ils sont en zone islamique, ils doivent avoir un statut inférieur. L'antisionisme, c'est la haine d’une position juive souveraine ; c'est donc l'exigence d'une position juive inférieure.
Et comme la réalité ne cesse de contredire ce point de vue, il faut pour le soutenir de plus en plus de haine. La haine est un moyen de suppléer à l'impuissance d’une position trop démentie par le réel. Les Israéliens riraient s'ils apprenaient que pour calmer leurs adversaires il faudrait qu'ils se reconnaissent inférieurs. Certes, les efforts ne manquent pas pour les inférioriser, les discréditer moralement: leur propension à tuer des civils notamment des enfants (accusation projective puisque c'est le Hamas qui envoie des fusées sur des zones peuplées) ; cette propension serait telle, qu’à en croire les « infos », ils n’ont tué jusqu’ici que des civils. (Au fond, ce seraient des nuls, militairement : n'avoir pas pu atteindre un seul combattant…) Les infos ici sont puisées aux « meilleures sources », celles du Hamas, lequel demande expressément que toute personne tuée à Gaza soit comptée comme un « civil innocent ». Les coupables sont immortels, inaccessibles.
Une autre surprise que j'ai eue à mon retour en France, fut d'entendre le discours formidable du premier ministre, commémorant la Rafle du Vel d’Hiv. Côté paroles c'était parfait, je me suis juste demandé si des actes allaient suivre. Et l'on apprend que suite aux « débordements » de Barbès et de Sarcelles, notamment suite aux agressions antijuives, trois personnes ont écopé de la prison ferme. Seules trois personnes ont « débordé » ? En fait ils ont eu de la prison parce qu’ils ont frappé des agents ; les Juifs, c’est hors sujet. De sorte qu’un autre gros mensonge plane dans l'air ici : le grand écart entre le culte pour les juifs morts, et les mesures concrètes à prendre pour empêcher que l'on agresse les juifs vivants.
Commentaires