Un drôle de mot, car il contient tant de confusion qu’il en devient presque un symbole de la confusion générale.
Au départ, il signifie peur de l'islam. Cette peur, on la trouve au moins chez ceux qui sont agressés par des « jeunes », des musulmans ; ce sont des choses qui arrivent, au niveau local et aussi planétaire (où ce sont des moins jeunes : Al Qaïda, Boko Haram, le Califat…). Mais les gens ne sont pas idiots, la peur qu'ils ressentent concerne non pas l'islam, mais des appels que l'on trouve dans l'islam, à moins que ces appels, ces impulsions qui mobilisent les agresseurs ne leur tombent du ciel, directement, et cela, personne n'y croit. Ou que ça leur vienne de leur folie intérieure, mais quand cette folie constitue un collectif, quand celle d'un petit « fou » de banlieue rejoint celle d'un autre « fou » londonien ou syrien ou iranien, l'idée que ça relève d'une même source n'est pas folle. Cette idée est vivement censurée, déconseillée. Dans une ambiance de déni, il est de bon ton de la nier, et d'affirmer que l'islam n'a rien à voir avec cette violence. C'est tellement admis, non pas comme vrai mais comme ce qu'il faut répéter, qu'on accède à un autre niveau de sens du terme islamophobie : c’est devenu la peur de dire quelque chose de critique envers l'islam ; c’est la phobie de passer pour islamophobe, de passer pour un de ceux qui ont peur de la violence islamique et qui demandent qu’on s’en protège. Le mot a donc franchi une première barre de sens: car cette peur au second degré, bien plus courante, n'est pas une peur des musulmans ou de l'islam, mais une peur d'être pointé dans la Doxa française comme xénophobe ; et d'être basculé dans le camp de l'extrême droite, par exemple. C'est donc une peur artificielle, entretenue par l’establishment, médiatique ou politique, une peur du qu'en-dira-t-on, une peur pour sa propre image, ou pour sa place, etc.
Après une de mes conférences, un homme a dit que tout à l'heure, dans le métro, il a vu une jeune femme en foulard presque intégral, ne découvrant que les yeux. Il s'est approché d’elle, et lui a dit que cette tenue violait la loi, elle l'a envoyé « paître », la discussion s’est animée, aucun autre voyageur n'a bronché ; et quand il est descendu, deux autres personnes qui descendaient lui ont dit « vous êtes courageux, Monsieur » ; et: « c'est très bien, ce que vous avez fait ». Or cet homme n'a bravé aucun danger et les passagers qui n'ont pas bronché ont agi comme s'il y avait un danger réel. Ils ont donc bien intégré la censure qui leur dit : surtout pas de critique envers l'islam, ou envers l'un de ses adeptes.
Donc, sans qu’il y ait de danger réel à faire cette critique, et à faire respecter la loi, on a créé un vrai risque : celui de passer pour xénophobe. Il est probable que tous ces gens qui subissent cette censure, jusqu’à se l’imposer, au nom de cette peur induite, en voudront à l'islam d'en être la cause. En somme, beaucoup de Français ne pardonneront pas à l'islam leur lâcheté envers lui.
Cette lâcheté, endossée par les instances officielles, induite par ceux qui, en principe, appliquent la loi, montre que loi qui devrait servir de tiers se dégonfle. Du reste, ces responsables lancent des tirades magnifiques contre « ce type de violence », mais ne peuvent pas faire arrêter les « types » qui agressent, ou les punir quand ils les arrêtent. Du coup, la masse des agresseurs potentiels, qui n'est pas négligeable, commence à le savoir. Ça commence à se savoir que la loi, si elle pose des limites, ne peut pas les appliquer (« il faut des couilles pour ça », me dit un fonctionnaire, « et on n’en n’a plus »). Cela peut éclairer une certaine déprime, maquillée en indifférence, où le chacun pour soi masque le fait que chacun va « râler » dans son coin.
Quant à savoir pourquoi l'establishment a peur de l'islam, et c'est, aujourd'hui, le vrai sens de l'islamopobie, cela exige de réfléchir sur une notion nouvelle que j'appelle la culpabilité perverse et que j'ai proposée pour comprendre le phénomène : quand on se pose comme coupable du problème des autres, en l'occurrence de l'islam, on compte bien se poser comme seul capable de les résoudre ; c’est une prise de pouvoir sur ceux qui ont le problème, et aussi sur les autres, sur les braves citoyens qui auraient des choses à en dire, mais qui se taisent sous la pression du politiquement correct, devenu une sorte de menace : c'est ça ou le chaos. Si vous ne voulez pas le chaos, vous vous taisez.
Et c'est ainsi qu'on enfonce les uns et les autres dans un problème qui, au départ, n'était pas insurmontable ; et que j'avais autrefois résumé ainsi : il faut aider l'islam à conquérir son imperfection, car sa perfection se révèle dangereuse.
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