Naguère, sans être contre, je n'étais pas pour ; je ne suis pas pour qu’une personne loue son ventre pendant neuf mois et balaye d'un revers de la main les liens affectifs, tissés à même le corps, avec l'enfant à naître. Certes, d'autres femmes louent leur corps, leur sexe, leur présence érotique pour une durée limitée (prostitution) ; et la plupart des gens, hommes et femmes, louent leur présence physique et mentale à l’employeur qui les met au travail ; cela s'appelle gagner sa vie. C'est l'argument majeur qu'on utilise pour promouvoir ce mode de procréation : si ça permet à des femmes de mieux gagner leur vie, tout en faisant le bonheur d'un couple sans enfant, de quoi vous mêlez vous ?
J'en étais là jusqu'au jour où, parlant du repos lors d'un Colloque sur ce thème, je me suis rendu compte qu'une mère porteuse effectue un travail continu sans aucun repos, pendant 270 jours, à peu près. Ce travail, elle est payée pour, soit en argent soit en jouissance de dévouement, mais le fait qu'il ne comporte aucune pause, aucun temps d'arrêt, fait problème. Sur une telle durée, un travail sans repos est de l'esclavage. C’est par ce biais que je suis contre, même si l'esclave est consentante.
Curieusement, dans la Bible, il y a deux histoires de mère porteuse. La première est entre Sarah, épouse d'Abraham, et son esclave Hagar. C’est une histoire qui finit mal et bien : Hagar est loin de donner son enfant, Sarah blessée surmonte l'épreuve et se retrouve mère ; les deux fils - Ismaël, celui de Hagar, et Isaac, celui de Sarah - sont les ancêtres de deux peuples, arabe et juif, qui ne sont pas vraiment en parfaite harmonie. Dans la deuxième histoire, en revanche, les deux mères porteuses bibliques avec qui la GPA fonctionne, sont l’esclave de Léa et l'esclave de Rachel, les deux femmes de Jacob, fils d’Isaac et petit-fils d'Abraham. Chacune enfante pour le compte de sa maîtresse, et puisqu'elles sont vraiment esclaves, cela ne pose pas de problème.
Sur ce, lors d’une soirée, je rencontre un homme qui défend la GPA. Je comprends vite qu'un des siens y a recouru, mais son propos ne manque pas d'intérêt : « On peut dire tout ce qu'on veut, une mère porteuse donne la vie. Certes, une vie qu'elle n'assume pas, mais puisqu'une autre femme l'assume, qu'est-ce que ça change ? Certes, il y a rupture du lien entre elle et l'enfant, mais puisqu'aussitôt le lien se crée avec une autre ? Puisque c'est aussitôt réparé ? » Je le voyais donc brandir une valeur - donner la vie - qui surplombe toute autre valeur et balaie toute objection provenant des circonstances ou des rapports en jeu. Jusqu'ici, on croyait que donner la vie, chez les humains, n'avait de valeur (cette valeur pouvant être absolue) que dans certaines relations ; et cet homme expliquait qu’au contraire, toute relation est soumise à l'acte suprême du don de vie. Du coup, cet acte devient suprême isolément. Or s'il l'était, les femmes qui avortent seraient des tueuses de vie ; et même celles qui pratiquent la contraception. On croyait aussi que l'enfant à naître n’était pas qu’une matière vivante qui prenait forme, mais un complexe où l'âme et la matière, la parole et la chair, le désir et l'objet tissaient un univers de relations que l'enfant incarnait. C'est dans ce tissu que la GPA vient opérer une chirurgie : une coupure et une greffe. Et cet homme voulait dire : si on ne peut pas faire autrement, si tel couple est malade de ne pas pouvoir donner la vie, pourquoi ne pas la prélever là où elle peut se donner, pour l'implanter là où elle peut prospérer… Reste à savoir si un couple de deux hommes est malade de ne pas pouvoir enfanter ; ce serait en tout cas une maladie intéressante. Et reste à savoir si la loi, fût-elle purement gestionnaire, doit programmer des enfants qui soient coupés de leur gestation. De tels enfants existent, puisqu'il y en a qui sont nés à l'étranger, notamment en Amérique. Ils ont la nationalité du pays où ils sont nés et, bizarrement, on les présente ici comme de pauvres êtres sans statut, (des bébés apatrides !), s'ils ne sont pas reconnus français comme les parents qui les élèvent. C'est un détour parmi d'autres pour forcer la loi à reconnaître la GPA, « puisqu'elle existe ailleurs ». Là encore, on prend le cas d'une infime minorité pour reformater la filiation humaine; pour la redéfinir à partir de ce que permet la technique. (En l'occurrence, ce n'est pas de la haute technique, cela peut même s'apparenter au don d'organes voire au trafic du même nom.)
L'argument technique est souvent invoqué en procréation assistée, à partir de cette « évidence » : puisque c'est possible, pourquoi s'en priver ? Or le possible ne le devient que dans certaines limites ; le possible lui-même impose ou requiert les limites où il s'effectue. Si faire un enfant devient possible, cela ne peut être dans le cadre où l'enfant n'est qu’un paquet biologique ; car l'enfant, même comme fœtus, a fortiori quand il grandit, est un complexe où s'articulent le biologique et le psychique, la chair et le verbe, l'objet et le sujet, portés par le flux de la transmission humaine qui n'est pas à redéfinir, et qui d'ailleurs résiste aux simples définitions. Le possible biologique est porté par cette transmission, et si elle comporte un manque trop violent, par exemple l'absence radicale d'un père ou d'une mère, absence programmée dès le départ, alors c'est une transmission handicapée. On dira que toutes le sont plus ou moins, mais elles ne le sont pas dans le cadre d'un projet.
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