J'écoutais de temps à autre des bouts de commémorations de cette Guerre, avec des images, des évocations. Ce jour-là, on parlait du Cessez-le-feu, et on a dit que le front allemand a été enfoncé par « les Alliés ». J'ai attendu en vain le mot américain. Cela se comprend : il ne faut pas trop perturber la mémoire nationale sur ce thème. Mémoire étrange, car très peu ici savent qu'entre 1917 et 1918, le front, après des millions de morts, se retrouvait à peu près dans les positions de départ, et c'était « reparti comme en 14 ». C'est sans doute de là que vient cette expression. Ce qui a fait rupture, c'est que les Américains ont envoyé à peu près 2 millions de personnes, pas tous des soldats bien sûr, mais l'ensemble a fait une masse qui a démoralisé l'ennemi, et qui l’a enfoncé. Il est rentré chez lui, déprimé et furieux: il ne s’est pas senti vaincu par ceux qu'il avait combattus. Ce n'est pas eux qui l'ont vaincu, c'est l'arrivée massive des autres, des Américains et Canadiens, précisément. Pour la Seconde guerre mondiale, difficile de passer sous silence le gigantesque débarquement en Normandie, et les multiples débarquements au Maghreb, dans le Midi, etc. Mais pour la guerre de 14-18, on n’en parle que très peu, ou pas du tout, comme si cela risquait d'éclipser le combat des poilus pendant quatre ans ; d'en révéler l'insuffisance : sans les américains et canadiens, c'était vraiment reparti comme en 14. C'est difficile à admettre lorsqu'on tient à avoir des idées entières sur une question, lorsque l'idée partielle devient angoissante et qu'on perçoit la partie qu'elle affirme comme une menace pour l'autre partie ; alors on se sent pris à partie, on oscille d'une part à l'autre au lieu d'admettre les deux : les Français ont parfaitement résisté, mais sans les hommes d'outre Atlantique, il n'y aurait pas eu de victoire.
C’est important, car ceux qui ensuite ont fait le Traité de Versailles, et ont donné libre cours à leur passion comme si c'était eux seuls qui avaient gagné, ont négligé cette évidence : un ennemi mortifié et non battu devient enragé.
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