Ces agressions sur des passants au cri de Allahou akbar sidèrent l'opinion occidentale et sont un vrai casse-tête pour les experts, car ils doivent, dans leurs analyses, respecter le principe devenu fameux : ça n'a rien à voir avec l'islam.
Mais le phénomène n'est pas étonnant pour qui a vécu en terre arabe, entouré par l'islam traditionnel ; et c'est mon cas. Là-bas, les attaques contre les juifs (et les chrétiens, jusqu’à l'arrivée des Européens) étaient fréquentes, et surtout dans l'ordre des choses. Pendant 13 siècles elles ont eu lieu à peu près impunément, elles pouvaient être l’œuvre de fous, de moins fous, ou de pas fous. Le fait qu'elles expriment une vindicte inscrite dans les Textes, une vindicte légitime puisque orientée contre les ennemis d'Allah, les soustrayait à l’analyse pathologique. D'ailleurs, à ces époques, jusqu'au milieu du XXe siècle, quel psychiatre aurait osé s'atteler au problème de savoir si la vindicte d'une identité envers les autres peut avoir, ou non, un caractère pathologique ?
Mais l'histoire est parfois cruelle : en amenant l'islam plus au fond de l’Europe, elle amène aussi devant un public médusé des coutumes ancestrales, millénaires, que seules ont connues, pour les avoir endurées, les minorités juives ou chrétiennes dans ces pays. Les souverains, moyennant un impôt lourd et complexe, protégeaient ces minorités des agressions aléatoires venant de la foule musulmane, autant dire de n'importe qui, individus ou petits groupes. Ils avaient tout intérêt à les protéger, s’ils voulaient les rançonner efficacement. Mais aujourd'hui, la minorité juive a presque disparu des pays arabes, la chrétienne est en train de fondre, et les croyants zélés, naïfs ou fragiles sont en libre circulation sans que personne ne leur explique que ça ne se fait pas là où on n’a pas le pouvoir. Mais « le djihad » leur explique que ça doit se faire, même sans être organisé, embrigadé, ou efficace. Or le djihad est important dans [1] « l’islam », qui a bâti son vaste empire par des djihads successifs, tout en étant, bien sûr, une « religion de paix ». Le djihad est un effort intérieur qui peut vouloir s'extérioriser en exprimant la vindicte envers les autres, qui ne font aucun effort pour se rapprocher de la vérité.
Devant ces actes agressifs, dont on ne voit que les plus « fous », les médias sont très gênés ; au point qu'aujourd'hui, lorsqu’il y a une agression, et qu'on ne nomme pas l'agresseur, les gens comprennent qu'il s'agit d'un musulman ; surtout si l'on ajoute qu'il ne faut pas faire d'amalgame. Les experts officiels sont aussi très gênés. Ils pointent la folie clinique, mais ça les coupe de la réalité, celle non pas tant du « terrorisme » que du djihad ; (deux notions distinctes, bien qu’elles se recoupent). Ils invoquent le mimétisme induit par les Palestiniens ; sous-entendu : ceux-là, c'est normal qu'ils foncent dans la foule, avec couteau, voiture ou tracteur, et avec le même cri Allahou Akbar, qui dans leur cas, serait juste un petit plus, n'indiquant nullement une guerre sainte interminable jusqu'à la défaite de l'ennemi. Or ce cri signe toute sainte agression envers des non-musulmans, car c'est la mise en acte de la vindicte inscrite. (D'autres paroles plus pacifiques sont inscrites, mais celle-là l’est aussi, et on espère la recouvrir par les paroles pacifiques). Il y a une grande variété d'actes ; par exemple, l'enlèvement des jeunes femmes au Nigéria s’est fait sous le même signe : c'étaient des chrétiennes à convertir. Et un « effort » de ce genre s'est accompli périodiquement pendant des siècles, mais c'est maintenant que le grand public peut en prendre connaissance.
Il n’est pas dit que notre pensée européenne « des lumières » puisse affronter ces phénomènes ; elle est assez totalitaire, elle n'imagine pas que des gens puissent être pacifiques, sympathiques, et saisis de temps à autre par l'impulsion vindicative qu'ils chantent quotidiennement dans leur texte sacré. Quand des personnes sont très saisies, ou le sont fréquemment, elles formalisent leur djihadisme. Mais celui-ci peut aussi se pratiquer ponctuellement, isolément, comme un acte pieux, certes incongru en pleine Europe ; la fréquence des cas-limites et même leur dispersion leur donne consistance, et relie toutes ces personnes, qui sont par ailleurs des braves gens, que l’on pourrait appeler des Allahouakbars. (Rappelons ce terme ne veut pas dire Dieu est grand comme on nous le répète, mais Allah est le plus grand ; sous-entendu : plus grand que les Dieux des autres ; il s'agit d'un comparatif, qui est en l'occurrence, un superlatif.)
L’islam a du mal à penser sa division, mais l'Europe aussi y a du mal, à supposer qu'elle puisse penser la sienne. Il n’est pas facile de penser que tout être parlant est partagé, que toute pensée vivante est divisée, que c’est même par cette division que passent la vie et l'épreuve de vérité.
En ce sens, l'islam, à son insu, donne à l'Europe une leçon de philosophie pratique ; à charge pour elle de se montrer à la hauteur, notamment de ne pas faire la politique de l'autruche.
[1]Il y a un insécable, un guillemet et une virgule intempestifs