J'ai vu discuter un groupe de politologues, pimenté d'écrivains et de philosophes, comme les médias aiment en offrir sur un plateau, - et ils parlaient des USA, d'Hillary et d'Obama. Leur choix était unanime: c'est Obama qui passera, c'est lui qu'il faut, c'est clair. D'abord il est noir, ce qui est très bon, déjà pour les Yankees qu'il dirigera, depuis la Maison Blanche, et pour les Blancs d'ici qui - en paroles - le choisissent, prouvant par là, de façon éclatante, qu'ils ont l'esprit ouvert, plus qu'ouvert: hardi, innovant. Et puis, il a promis d'élever les bas salaires, d'ouvrir l'Université aux pauvres, de retirer les troupes d'Irak; peut-être de lancer des milliards pour non pas relancer l'économie, comme le veut cet affreux Bush, mais pour créer des emplois (oui, des subventions pour créer des emplois: la méthode marche ici tellement fort qu'il faudra bien que là-bas ils "nous" l'empruntent). Bref, ce groupe typique exprimait le consensus que l'on aime bâtir ici, pour le dénoncer en passant (ah la la, le consensus…) avant de s'y plier parce qu'on est "réaliste".
De fait, je pense qu'Obama a des chances à cause de son souffle, de ses phrases nettes et décidées qui transmettent aux publics l'illusion d'une proximité, un peu dans le style Sarkozy mais en bien plus retenu; proximité avec quelqu'un qui a du punch, qui va prendre à bras le corps la réalité, et la changer, oui: il est si proche, on le voit si près d'agir, impatient de tailler dedans, d'enlever les parties molles ou trop usées, les tissus flasques; dans ses mains elle sera liftée, rajeunie, tout comme lui, qui a de la jeunesse à revendre. Et si elle résiste, il laissera de côté ses instruments sophistiqués, et il faudra bien qu'il y aille "avec les dents". (Comment douter qu'on aura ici "nos" 3% de croissance annuelle que désire le Président, s'il les cherche "avec les dents"?)
Restent les effets de l'inconscient, qui peuvent troubler cette idylle. Il y en a un qui hélas peut la stopper: c'est que des Américains - inconsciemment, bien sûr - n'aimeront pas avoir un Président qui s'appelle Barack Hussein. Ils le savent, même s'ils savent qu'il ne faut pas en parler. Certes, ce n'est pas Saddam Hussein, mais il y a là un côté "revenant", surtout s'il croise l'idée (refoulée elle aussi mais présente et active dans son refoulement même) à savoir qu'il a, enfant, absorbé une forte dose d'éducation islamiste. A l'âge où l'on n'a pas d'esprit critique, où ça se marque plein pot dans les plaques de la mémoire, sans aucune "réduction".
Certes, un peu de réflexion montrerait que c'est plutôt positif, que si on a un fonds infantile intégriste, bien recouvert par une couche de "bonté chrétienne", puisqu'il s'est converti, on peut avoir plus de souplesse avec ce fondamentalisme, une approche plus arrondie, moins cow-boy, plus complice, plus fraternelle… Mais l'inconscient ne réfléchit pas, il donne l'alerte tout au plus, il pointe le danger; sa pression est irrationnelle, par définition; et les plus beaux élans, il les connote négativement. Par exemple, les élans de fraternité, sur lesquels Obama insiste: on est tous frères, bon sang...
D'ailleurs, dans le groupe que j'évoquais, qui discutait, l'un des membre d'origine beur, l'a déclaré ingénument: à quand ici un candidat à la présidentielle issu d'une minorité, et qui poserait ou imposerait un vrai changement? Eh oui, à quand?... On devine ce qu'est ladite minorité, et que le candidat en question n'est pas vraiment Strauss-Kahn. Admirons au passage comment Sarkozy satisfait ladite demande, en mettant dans son équipe un superbe trio, Rachida, Fadela et Rama. Cela ne coûtait rien, on ne sait pas si cela résoudra des problèmes, mais c'est un beau coup, pour confronter à elle-même ladite minorité. De là à ce que La France trouve dans cette minorité un candidat présidentiable, il faudra peut-être attendre.
Et donc, l'inconscient "américain" n'aimera sans doute pas avaler la pilule d'une enfance islamiste, et non des moindres (Frères musulmans). Le hic, c'est qu'Obama ne peut pas faire valoir l'intérêt de cette formation, dans un discours public, censé relever du conscient et de la raison. Il risque donc de subir cette méfiance irrationnelle. Surtout si Hillary montre plus de légèreté quand elle fait allusion, non pas à cet aspect, mais à l'électorat noir…
Alors remontent à la surface des idées préconscientes: beaucoup se diront qu'une femme Présidente c'est déjà très innovant. Avec les autres Présidentes, dont le nombre va croissant, elles seront un jour majoritaires à diriger la planète. Ça ne peut pas lui faire du mal. Bien sûr, nos débatteurs d'ici trouvent Hillary un peu "classique". C'est qu'ils sont très modernes, post-modernes, contemporains, un peu hard même, côté fantasme: l'Amérique blonde se débattant délicieusement, les jambes en l'air, en ciseaux, sous l'étreinte d'un beau Noir qui la possède... Mais est-il sûr que le fantasme de viol, en politique, largement mis en acte en Europe, soit là-bas très actif.
Et puis, tout cela n'est que vaine rumination si le tiers larron, le Républicain, enlève la mise; si l'idée républicaine ne se réduit pas à Bush, etc. Mais là, j'en doute, on serait dans le conscient, voire dans le surconscient, et ce n'est pas toujours ce qui domine en politique.