Les derniers jugements de M. Onfray sur Freud (Le Monde du 16/10/10) me confirme dans l'idée qu'il fait sa psychanalyse avec Freud, au moyen de Freud, qu'il peut donc tordre et retordre dans tous les sens pour y projeter des états d'âme variés, assez agressifs et méprisants. Mais une psychanalyse, c'est fait pour ça, à condition qu'il y ait aussi une personne qui écoute, qui interprète ce qui est en train de se transférer comme fantasmes, rancœurs, etc. et puisse aider l'analysant à quitter son tournage en rond.
Peu importe ici que cette poubelle agressive jetée sur Freud signale que "ça ne s'arrange pas"; et que le patient, c'est fréquent, a du mal à se consoler du père décevant qu'il a eu, ou même désastreux. Les analyses butent souvent sur ce point vif de la transmission symbolique: à travers le père, arriver soi-même à exister comme "père" ou comme auteur de ses actes, où l'on se révèlera à son tour autrement déficient. Sans ce défaut ou ce manque, la vie serait perdante.
Quant au défaut accablant que M. Onfray trouve à Freud cette fois-ci, il mérite quelques remarques.
Freud dit que certaines "psychonévroses" actuelles trouvent leur origine dans un passé lointain, dont les données archaïques se sont transmises sans un support matériel - biologique - repérable. Une telle idée est-elle si audacieuse? Si l'homme a une origine dans un passé très lointain, pourquoi pas sa névrose? Faut-il être parapsychologue ou occultiste pour faire place à des transmissions symboliques qui, prenant corps chez des sujets vivants, sont elles-mêmes leur propre matérialité? On sait que sur le concept de matière, la physique contemporaine avance des choses surprenantes: de la matière non perceptible, de l'énergie noire, sans parler des photons (grains de lumière) qui ont une masse nulle. Bref, l'immatériel joue un grand rôle dans nos vies. Et si Onfray se scandalise de ce que "derrière la nature, il y aurait donc autre chose", qu'il qualifie d'au-delà, comme pour le basculer vers l'obscurantisme, c'est peut-être qu'il a une piètre idée de l'au-delà de nos perceptions, et oublie que la nature subjectivée par l'homme qui en fait partie, produit des replis, des arrières mondes, des autres scènes dont nos psychés à la fois souffrent et bénéficient.
De même, prenons un phénomène dit "occultiste" comme la télépathie. Le fait que des gens aient la même idée en même temps sans le support immédiat de la parole - qui est déjà assez immatérielle mais dont les effets matériels sont bien connus. On peut montrer que ce phénomène télépathique est assez banal. C'est plutôt ce qu'on en fait qui peut ou non intéresser. En analyse, si l'analyste offre au patient un peu plus qu'un écran pour y projeter ses souvenirs et ses fantasmes, s'il lui offre un "univers" assez riche où le patient peut "voyager", retrouver des choses vécues et des choses non vécues mais qui lui parlent, qui lui ouvrent d'autres dimensions de sa vie, alors il arrive que le patient pointe dans ce champ très ouvert une idée, dont l'analyste est inconscient, mais dont il peut après-coup prendre conscience du fait que l'autre la distingue. Dans ce cas, ils auront eu la même idée en même temps. A priori, il n'y a rien là de mystérieux. Ce qui peut l'être c'est que cette idée, si par exemple elle signifie au patient qu'il y a pour lui de l'amour dans l'être, elle peut lui servir de soutien, dans son enjeu d'exister. Tout comme elle peut exaspérer ses tendances mortifères. Bref, le jeu reste ouvert au travail d'interprétation.
Dans son petit bout d'analyse, M. Onfray a besoin de traiter Freud d'onaniste jouissant de ses fictions, de délirant qui croit à ses légendes, etc., pour pouvoir s'identifier, lui, à Socrate, dont le nom est éternel alors qu'on a oublié ceux qui l'ont condamné à mort. Mais personne ne veut la mort ou le silence de M. Onfray, (ni l'envoyer au bûcher "après le pale et le rouet, la poix et l'éviscération - de beaux fantasmes, en somme).
Dommage seulement qu'on n'ait pas pu répondre à son arrosage massif sur les ondes cet été. Pour ma part, j'ai voulu y répondre mais on m'a fait savoir que j'avais déjà répondu, à mon insu, rien qu'en parlant de psychanalyse 7 mn sur France-Culture. Tout est donc pour le mieux.
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