Le Danemark et ses immigrés
Un exemple d'universel direct
Aujourd'hui le Danemark se prépare à des mesures extrêmes pour stopper l'immigration. Que s'est-il donc passé?
Ce pays, de haute tradition éthique, a d'abord été très ouvert; dignité protestante oblige, bonté envers les étrangers; qu'ils viennent du Sri Lanka ou du Maghreb, d'Irak ou d'Iran, "on leur donnait tout", dans les belles années 70-80. "Tout": travail, subventions, allocation chômage conséquente; une vraie prise en charge de l'autre; parce que c'est "nous", et que "nous", on est bons. (Pourquoi "nous" sommes si "bons" et sans aucune condition, on ne se le demande pas, ça va de soi; on est meilleurs que les autres, c'est tout.) On aurait pu questionner ce don-pour-rien, fait à l'autre sans contrepartie, comme un acte moral qu'on est heureux d'accomplir. Que cache-t-il d'autre? n'est-il pas un peu suspect? Au contraire, on va droit vers l'universel, sans entrer dans les détails, les singularités de l'autre ou de la relation. Et puis, on est riche: tout le monde est imposé à 50% au moins de ses revenus, on a de quoi s'offrir cette bonté universelle.
Et voilà qu'à l'épreuve du temps, ça se gâte: beaucoup d'enfants de ces immigrés, qui parlent danois, se révèlent arrogants et violents; ne s'estiment pas assez reconnus; veulent faire la loi morale; ne veulent plus de ces Danoises très dévêtues sur les plages (sont-elles trop libres? trop désirables?). Des quartiers de la capitale, jadis sans problèmes, deviennent dangereux. Et surtout, ils traitent les Danois de "racistes"; stupeur. L'accusation insiste: vous ne respectez pas les immigrés. Les Danois, eux, sont sidérés: Mais on leur a tout donné!
A croire que la transmission est une épreuve de vérité: le passage d'une génération met à nu le refoulé. Les Danois ont fait du "racisme" à l'envers (l'autre ne doit manquer de rien, parce que c'est l'autre, parce que c'est nous), et ils reçoivent du "racisme" à l'endroit. A l'endroit où ça fait mal: là où l'on était parti pour la bonté pure, désintéressée, authentiquement chrétienne ou humaniste, universelle directe. Là où l'on était sûr de sa supériorité naturelle. Quelle condescendance..., vous lance la génération suivante, en toute incompréhension. Car les accusateurs ne comprennent pas ce dans quoi ils sont pris, notamment leurs problèmes avec leurs parents, leurs origines, etc. Mais les responsables de cet état des choses, eux, comprennent: et comme la blessure est vive, ils imposent la censure sur ces questions. Si des Danois ont peur de sortir le soir, ou d'être pointés comme "racistes", il ne faut pas en parler, ni se demander pourquoi, on ne le sait que trop, on sait que ça remonte au temps où l'on a été "trop bon" ou "trop con"… Or est-ce vraiment une affaire de "trop"? Ce n'est que la mise en question radicale d'une prétention universelle qui méprise le rapport d'échange; une vision où l'autre est une image de moi, où donc il n'y a pas de différence; une façon d'imposer le don pur, où l'"on est responsable pour l'autre", en ignorant qu'il y a mieux qu'une différence: un entre-deux mouvementé, où l'on combine, on négocie, on s'affronte.
Nous avons critiqué ailleurs l'éthique du "répondre-pour-l'autre" , dans laquelle l'autre vous suit quand cette dépendance lui convient, mais ses enfants doivent la rejeter pour exister, et c'est l'impasse. Il est plus dur d'aider l'autre à trouver en lui du répondant qu'il puisse leur transmettre. Etre répondable (ou responsable, c'est construire un lien symbolique qu'on puisse tenir et transmettre; cela suppose d'être partagé, que l'autre l'est aussi, et qu'on dialogue sur cette base.
Etre trop entier ou narcissique dans le rapport à l'autre, cela se paie cher plus tard.
En attendant, tout un courant de citoyens se réveille, se questionne; mais, fort opportunément, ils ont des porte-paroles excessifs, extrémistes; on peut donc ignorer leurs amertumes. Le malaise n'en est pas moins profond. Et lors des conférences internationales, il apparaît souvent que les Danois sont en déficit de connaissance et d'ouverture par rapport à leurs pairs occidentaux. Est-ce à dire qu'ils avaient, dans leur splendide isolement, un tel besoin de reconnaissance, qu'ils l'ont comblé très vite en épatant ces immigrés qu'ils recevaient avant que leurs descendants n'inversent les rôles, en donnant un grand coup de pied dans le self righteousness des dirigeants "magnifiques"? qui appliquaient la bonté biblique incarnée par Jésus sans faire entrer la parole sainte dans un processus de débat, de mise en question, voire d'interprétation? De fait, quand on détient la vérité, à quoi bon questionner, analyser les conditions.
S'il n'y avait pas eu, au départ, cette prétention éthique humiliante pour l'autre, les enfants de ces immigrés auraient eu une dette d'honneur envers le pays d'accueil. Mais c'est tout le contraire, c'est eux qui mettent en dette ou en faute les Danois, et leur demandent des comptes.
C'est logique: le pays d'accueil paie aujourd'hui l'hypocrisie naturelle de l'énoncé: "Je suis bon". Personne n'est inclus dans l'être-bon, c'est la relation d'un sujet à un autre, d'un groupe à un autre qui est bonne, et encore, un certains temps - car elle peut tourner mal si on ne la travaille plus. Quand elle est "bonne", c'est parce qu'on a réussi à y mettre de la justice, non pas celle des bons sentiments, mais celle d'une justesse dans le rapport à l'être. Je pense à une loi de la vieille Bible (pré-chrétienne) qui dit: si l'âne de ton ennemi croule sous le fardeau, tu dois le secourir. Les commentateurs précisent: à condition que ton prochain mette la main à la tâche. Aider l'autre, ce n'est pas le prendre en charge, c'est le ré-engager dans le jeu de vie où il avait renoncé.
Quant à la blessure narcissique de s'être fait avoir par soi-même (car après tout, ces immigrés n'en demandaient pas tant, ils voulaient juste du travail pour ramasser de l'argent et revenir la tête haute dans leur pays d'origine, pourquoi pas?), c'est une blessure assez vive puisqu'elle entraîne des mesures extrêmes comme celles que vont prendre les Danois, qui remettent en cause leurs engagements européens. Comme quoi l'extrémisme n'atteint pas que les extrémistes, et traduit des blessures narcissiques qu'on a du mal à panser.
Un exemple d'universel direct
Aujourd'hui le Danemark se prépare à des mesures extrêmes pour stopper l'immigration. Que s'est-il donc passé?
Ce pays, de haute tradition éthique, a d'abord été très ouvert; dignité protestante oblige, bonté envers les étrangers; qu'ils viennent du Sri Lanka ou du Maghreb, d'Irak ou d'Iran, "on leur donnait tout", dans les belles années 70-80. "Tout": travail, subventions, allocation chômage conséquente; une vraie prise en charge de l'autre; parce que c'est "nous", et que "nous", on est bons. (Pourquoi "nous" sommes si "bons" et sans aucune condition, on ne se le demande pas, ça va de soi; on est meilleurs que les autres, c'est tout.) On aurait pu questionner ce don-pour-rien, fait à l'autre sans contrepartie, comme un acte moral qu'on est heureux d'accomplir. Que cache-t-il d'autre? n'est-il pas un peu suspect? Au contraire, on va droit vers l'universel, sans entrer dans les détails, les singularités de l'autre ou de la relation. Et puis, on est riche: tout le monde est imposé à 50% au moins de ses revenus, on a de quoi s'offrir cette bonté universelle.
Et voilà qu'à l'épreuve du temps, ça se gâte: beaucoup d'enfants de ces immigrés, qui parlent danois, se révèlent arrogants et violents; ne s'estiment pas assez reconnus; veulent faire la loi morale; ne veulent plus de ces Danoises très dévêtues sur les plages (sont-elles trop libres? trop désirables?). Des quartiers de la capitale, jadis sans problèmes, deviennent dangereux. Et surtout, ils traitent les Danois de "racistes"; stupeur. L'accusation insiste: vous ne respectez pas les immigrés. Les Danois, eux, sont sidérés: Mais on leur a tout donné!
A croire que la transmission est une épreuve de vérité: le passage d'une génération met à nu le refoulé. Les Danois ont fait du "racisme" à l'envers (l'autre ne doit manquer de rien, parce que c'est l'autre, parce que c'est nous), et ils reçoivent du "racisme" à l'endroit. A l'endroit où ça fait mal: là où l'on était parti pour la bonté pure, désintéressée, authentiquement chrétienne ou humaniste, universelle directe. Là où l'on était sûr de sa supériorité naturelle. Quelle condescendance..., vous lance la génération suivante, en toute incompréhension. Car les accusateurs ne comprennent pas ce dans quoi ils sont pris, notamment leurs problèmes avec leurs parents, leurs origines, etc. Mais les responsables de cet état des choses, eux, comprennent: et comme la blessure est vive, ils imposent la censure sur ces questions. Si des Danois ont peur de sortir le soir, ou d'être pointés comme "racistes", il ne faut pas en parler, ni se demander pourquoi, on ne le sait que trop, on sait que ça remonte au temps où l'on a été "trop bon" ou "trop con"… Or est-ce vraiment une affaire de "trop"? Ce n'est que la mise en question radicale d'une prétention universelle qui méprise le rapport d'échange; une vision où l'autre est une image de moi, où donc il n'y a pas de différence; une façon d'imposer le don pur, où l'"on est responsable pour l'autre", en ignorant qu'il y a mieux qu'une différence: un entre-deux mouvementé, où l'on combine, on négocie, on s'affronte.
Nous avons critiqué ailleurs l'éthique du "répondre-pour-l'autre" , dans laquelle l'autre vous suit quand cette dépendance lui convient, mais ses enfants doivent la rejeter pour exister, et c'est l'impasse. Il est plus dur d'aider l'autre à trouver en lui du répondant qu'il puisse leur transmettre. Etre répondable (ou responsable, c'est construire un lien symbolique qu'on puisse tenir et transmettre; cela suppose d'être partagé, que l'autre l'est aussi, et qu'on dialogue sur cette base.
Etre trop entier ou narcissique dans le rapport à l'autre, cela se paie cher plus tard.
En attendant, tout un courant de citoyens se réveille, se questionne; mais, fort opportunément, ils ont des porte-paroles excessifs, extrémistes; on peut donc ignorer leurs amertumes. Le malaise n'en est pas moins profond. Et lors des conférences internationales, il apparaît souvent que les Danois sont en déficit de connaissance et d'ouverture par rapport à leurs pairs occidentaux. Est-ce à dire qu'ils avaient, dans leur splendide isolement, un tel besoin de reconnaissance, qu'ils l'ont comblé très vite en épatant ces immigrés qu'ils recevaient avant que leurs descendants n'inversent les rôles, en donnant un grand coup de pied dans le self righteousness des dirigeants "magnifiques"? qui appliquaient la bonté biblique incarnée par Jésus sans faire entrer la parole sainte dans un processus de débat, de mise en question, voire d'interprétation? De fait, quand on détient la vérité, à quoi bon questionner, analyser les conditions.
S'il n'y avait pas eu, au départ, cette prétention éthique humiliante pour l'autre, les enfants de ces immigrés auraient eu une dette d'honneur envers le pays d'accueil. Mais c'est tout le contraire, c'est eux qui mettent en dette ou en faute les Danois, et leur demandent des comptes.
C'est logique: le pays d'accueil paie aujourd'hui l'hypocrisie naturelle de l'énoncé: "Je suis bon". Personne n'est inclus dans l'être-bon, c'est la relation d'un sujet à un autre, d'un groupe à un autre qui est bonne, et encore, un certains temps - car elle peut tourner mal si on ne la travaille plus. Quand elle est "bonne", c'est parce qu'on a réussi à y mettre de la justice, non pas celle des bons sentiments, mais celle d'une justesse dans le rapport à l'être. Je pense à une loi de la vieille Bible (pré-chrétienne) qui dit: si l'âne de ton ennemi croule sous le fardeau, tu dois le secourir. Les commentateurs précisent: à condition que ton prochain mette la main à la tâche. Aider l'autre, ce n'est pas le prendre en charge, c'est le ré-engager dans le jeu de vie où il avait renoncé.
Quant à la blessure narcissique de s'être fait avoir par soi-même (car après tout, ces immigrés n'en demandaient pas tant, ils voulaient juste du travail pour ramasser de l'argent et revenir la tête haute dans leur pays d'origine, pourquoi pas?), c'est une blessure assez vive puisqu'elle entraîne des mesures extrêmes comme celles que vont prendre les Danois, qui remettent en cause leurs engagements européens. Comme quoi l'extrémisme n'atteint pas que les extrémistes, et traduit des blessures narcissiques qu'on a du mal à panser.
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