DSK a invoqué le rapport du Procureur qui annule l'accusation. Il n'y a pas eu forçage ou violence, mais rapport sexuel consenti. Je l'ai écrit dès le début, en partant de raisons cliniques et physiques - que peu de médias ont accepté d'entendre, tout occupés qu'ils étaient à orchestrer la scène de type "bouc émissaire", où sur le dos d'un homme, beaucoup de troubles et de problèmes ont pu "s'exprimer". J'ajoute qu'une femme qui, au lieu de quitter la chambre aussitôt, avoue elle-même avoir dit: "Mais j'ai peur de perdre mon emploi!…", est une femme qui ne dit pas "non"; il se trouve que c'est à un homme dont la faiblesse est justement de ne pas pouvoir résister à une femme qui ne dit pas non et devant laquelle il est tout nu. (Soit dit en passant, la femme qui, ici, huit ans après la "tentative de viol", déclare: "Depuis ce jour, je vis l'enfer", a toute chance de fabuler dans un halo érotomane.) En tout cas, il a reconnu la "faute morale". On aimerait dire: "Que celui qui n'a pas fauté dans ce sens, lui jette la première pierre", mais non: toutes les pierres ont été jetées, quand chacun ou chaque groupe a projeté son problème. Dans l'unique émission où j'ai pu en parler[1], l'hypothèse du rapport consenti a été jugée fantaisiste par un écrivain célèbre, qui était certain du viol, une sociologue en vue qui soutenait la "présomption de véracité", etc. La manière dont certains auteurs élaborent leurs idées a de quoi laisser perplexe. C'est toujours "en partant de la réalité", mais lue à la lumière de leurs fantasmes, des fantasmes dont on a du mal à démordre.
Des "psys" également y ont été du leur : ils ont placé leur ritournelle de l'acte manqué: inconsciemment, il ne voulait pas être président, etc. DSK a écarté avec raison cette idée. Pour qu'il y ait acte manqué, il faut que le sujet ait le choix; or dans la chambre, avec cette femme, et tel qu'il était, dans sa compulsion séductrice, il n'avait pas le choix. Dans l'acte manqué, c'est un élément refoulé et lointain qui revient s'exprimer; là, cet élément était présent, à ciel ouvert, impossible à combattre par des raisons stratégiques, forcément trop lointaines. C'est une vraie tare chez certains analystes de ne pas pouvoir résister, eux non plus, à placer leur idée du fait qu'elle semble intelligente. Cette compulsion explicative est aussi un fantasme, un placage de la "théorie", dont on espère qu'il ne dirige pas les cures; on l'espère.
Autre point essentiel : DSK a confirmé que le Sofitel avait d'emblée pris le parti de cette femme, sur la foi de sa seule parole, et choisi de ne rien faire qui puisse l'aider lui (notamment en lui refusant des documents qui furent donnés à l'autre partie). Or on a su dès le début que le Sofitel avait appelé "Paris" (là-dessus, tous les paris sont possibles); et cela a pris plus d'une heure. "Paris" a dû réfléchir vite et décider de tirer parti de cette faute pour détruire l'adversaire. "Paris" est donc intervenu pour que cette affaire personnelle, somme toute limitée, soit traitée sur la scène publique, donc aussi politiquement quoique sur un mode non formulé. Ce qui s'est formulé - de façon injuste et mal placée - ce sont les rancœurs justifiées et impuissantes. Tout cela a donc écarté l'homme de la course à l'Elysée, mais rien n'empêche de penser qu'on le retrouve comme ministre de l'économie et des finances, même dans le "Paris" qui l'a cassé. Le temps apaise les rancœurs ou plutôt les refoule. Et c'est aussi un facteur de vérité: il a fallu du temps pour que la véracité de la dame s'effrite, au fil des versions qui changeaient. Il a fallu plusieurs prises de parole (comme on dit prises de sang) pour repérer l'évolution du mensonge.
Si nos auteurs en vogue faisaient ces prises sur eux-mêmes de temps à autre, et comparaient leurs analyses de sens, ils auraient de jolies surprises.
Cela dit, cet énorme déballage a eu lieu parce qu'une "faute morale" personnelle et fréquente s'est trouvée déplacée sur la scène publique, où tout le monde s'est trouvé en posture de voyeur. De quoi faire réfléchir sur les effets du déplacement et sur la base de nos "morales" : "pas vu, pas pris !" Mais voilà, "Paris" avait pris le parti de déplacer la scène.
Du coup, on peut regretter que DSK ait cru que le maximum à faire était de se justifier en brandissant le rapport qui le tient quitte; et en mettant l'autre rapport - sexuel - sur le compte de la faute morale qui exige un mea culpa - dont il est clair que personne n'a rien à faire. Trop meurtri par l'avalanche qui lui est tombée dessus, il n'a pas trouvé l'ouverture pour dire que ce rapport n'est devenu une faute "très grave" que parce que "Paris" a misé dessus pour le faire perdre. Autrement, c'était son affaire personnelle, sa vie privée comme on dit, qui jusqu'ici n'a pas enfreint les lois et n'a en rien diminué ses capacités d'être utile. Il n'est pas responsable de ce terrible déplacement où ceux-là mêmes qui réclament qu'on protège la vie privée, l'étalent en public lorsque c'est celle de l'autre et que cela peut les servir.
En tout cas, au terme de cette toilette morale, soit dans la scène du bouc émissaire qu'on a vécue, soit dans ce mea culpa télévisé, il est clair que nos morales, publiques et privées, en sortent hautement améliorées, et que de telles "fautes graves" ne se reproduiront plus.
Le résultat aurait sans doute été moins nul si cet homme avait pu dire avec des mots ce que son corps exprimait, quelque chose comme: "Cet acte du Procureur que je brandis signifie mon innocence, et vous qui m'accusez, vous n'avez aucun acte qui prouve ma culpabilité. Je suis tel que je suis, je l'assume avec moi-même et avec les miens, cela ne regarde que moi, que nous; si c'est devenu une faute énorme, c'est que des gens ont tiré le fil pour amener une scène privée sur la scène planétaire. Je regrette amèrement que cela m'ait fait manquer le grand Rendez-vous avec ceux qui comptaient sur moi, mais pour parer le coup, il eût fallu que je sois un autre; peut-être me fallait-il ce cataclysme pour que je devienne cet autre, du moins je l'espère. En tout cas, tel que je suis et tel que j'étais, je suis utile et je ne me laisserai pas abattre par un coup aussi bas".