Je suis à Tel Aviv et soudain, j’éprouve l’envie d’aller rencontrer ceux qui font les manifestations pour « la justice collective » - c’est leur mot d’ordre. Je trouve le contact et j’arrive à leur permanence, dans un immeuble en face des « tentes » ; c’est une pièce où il y a six, sept personnes, toutes occupées avec leurs ordinateurs, assis sur un matelas, sur une caisse ou une chaise. Je me présente, et je leur dis que j’aime cette atmosphère qui me rappelle « mai 68 ». Ils demandent: « C’est quoi, mai 68? ». -« C’était une sorte de révolution à Paris, pour la liberté, contre le pouvoir arbitraire, etc. ». - « Ah, bon ! ». Je me suis dit qu’en mai 68, j’aurais trouvé une permanence avec six sept personnes en train de faire des affiches à l’aide de marqueurs, et l’une d’elles en train de téléphoner, les autres lui soufflant quoi dire... Ici, à Tel Aviv, chacun est connecté sur internet pour préparer la grande manif ; et j’ai trouvé cet écart assez beau. Puis je leur ai parlé: « Voilà, je suis écrivain, et psychanalyste ; je m’occupe de la souffrance humaine, et votre mouvement m’a touché parce qu’il s’oppose à une souffrance massive et silencieuse, dont on n’ose pas parler ; on n’ose pas parler des prix… C’est un mouvement non pas de gens pauvres ou déclassés qui demandent une place et un peu de justice, mais de gens qui ont leur place, qui gagnent leur vie et qui veulent exister, entrer davantage dans leur vie, et qui surtout en ont assez d’être réduits à l’identité dans laquelle on les enferme. Vu du dehors, l’Israélien c’est quelqu’un qui se définit par des questions de sécurité ; et votre mouvement dit que les gens ne peuvent pas réduire leur vie à de la sécurité ; surtout quand d’autres les enferment dans ce cadre pour déchaîner leur propre appât du gain.
Votre mouvement me touche parce que j’aime que les gens, enfermés dans une identité, tentent de briser ce cadre qui les emprisonne. Les peuples arabes aussi, qu’on a enfermés dans une identité religieuse, intégriste, archaïque, tentent de briser ces cadres pour entrer dans leur vie ; espérons que ce sera un chemin de vie, qu’il les aidera à sortir de la mortification et d’une certaine tristesse. Votre mouvement a quelque chose d’universel parce que partout sur la planète, il y a des gens, des groupes ou des individus, qui veulent accéder à leur vie, à leur mouvement existentiel. Donc, bravo ! »
Alors ils ont applaudi, et au moment où je partais, quelqu’un m’a demandé : « Est-ce que tu as des contacts avec des Français qui sont en Israël ? J’ai plein d’amis français qui habitent ici, et qui sont très refermés sur leur monde ; est-ce que tu pourrais leur parler ? Tu devrais filmer un clip chez toi et nous l’envoyer, on le mettrait en ligne, hein ? » Alors, je prends mon vélo pour rentrer chez moi et enregistrer… puis je me dis : pourquoi pas chez eux ? Je reviens, et c’est un garçon de dix onze ans qui sort un iPhone et qui me filme, il met le clip sur internet ; et je repars.
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