Au mot mariage, on fait violence pour qu'y pénètrent les couples homos. Pourtant chaque groupe, même s'il est très majoritaire, a droit à sa différence et à son nom. L'enjeu ne serait-il pas de faire une "révolution" qui ne coûte rien, plutôt que d'en faire une qui redonne vie à ce pays ?
La loi sur le "mariage pour tous" va sans doute passer, pour des raisons qui éclairent assez bien la manière dont les décisions sont prises dans "nos démocraties": un petit groupe pousse sa revendication, le battage consensuel se charge de faire paraître "ringards" ceux qui résistent; on légifère comme si une loi était un grand sac d'où il ne faut exclure personne.
Ne pouvait-on donner les mêmes droits que les autres aux couples homos, sans changer le sens du mot? Il semble que non; le "sac" du mariage devra donc s'élargir pour faire entrer les couples homos. Il se peut que les conséquences réelles soient minces, que par exemple très peu d'homos se marient, surtout si l'on donne à tous les mêmes droits du point de vue familial, mais cela enlèvera quelque chose aux mariés habituels: la différence qui est la leur, qui les nomme grâce au signifiant "mariage", qui était fait pour eux. Au mot mariage, on fait violence pour qu'y pénètrent les couples homos. C'est ainsi, il arrive qu'en prenant une décision pour les uns, on influe sur les autres. Par exemple, si l'on décide de lever l'anonymat des donneurs de gamètes, on influera sur un nombre bien plus grand de familles qui ont recouru à ces dons: on y imposera le secret, car des parents ne voudront rien en dire à leur enfant, par crainte d'affronter l'intrusion, à leurs yeux, d'un personnage biologique dont ils ne voient pas la place.
Quant au "mariage pour tous", il faut dire que ses opposants l'ont combattu d'une façon telle qu'ils ont renforcé l'attitude "bof" de ceux qui se disent: au fond, quelle importance?... On a ainsi entendu que les couples homos peuvent donner de l'amour à leur enfant, mais que les couples mariés leur donne un amour structurant! -Et nous, rétorquent les autres, pourquoi on ne donnerait pas un amour structurant? (Là, le réflexe "égalitaire" s'exacerbe.) D'autres ont annoncé les pires catastrophes pour les enfants de ces familles où il n'y aura pas un père, une mère, un Œdipe…; où ce sera le chaos. L'erreur a été de leur appliquer les critères des familles habituelles. Appliquer ces critères là où ils n'ont pas lieu d'être, mène à des absurdités. Que les tenants du "mariage pour tous" ont relevées, mais de façon aussi absurde et partisane. L'autre jour, j'entendais dans le taxi, à la radio, qu'un footballeur noir avait dit: ceux qui s'opposent au "mariage pour tous" sont des homophobes. Le chauffeur maghrébin a crié: "Quel con!", et on a ri pendant que je le payais. Or j'ai trouvé cet argument sous la plume d'E. Roudinesco (dans un article: "Mariage pour tous. Les nouveaux inquisiteurs"). Elle traite de "pervers un peu benêts" les "psys" qui s'y opposent, et demande aux associations "psys" de les condamner puisqu'elles "comptent" dans leurs rangs des praticiens hostiles à toute "homophobie".
Donc refuser le "mariage pour tous", c'est être homophobe. On sait que dans ce pays, tout le monde a peur d'être désigné comme phobique de quelque chose; la plupart sont phobiques à l'idée d'être pointés x-o-phobiques (mettez dans x toutes sortes de variables: judéo, islamo, homo, xéno…). Et le "débat" révèle surtout des phobies qui ferraillent entre elles, sans peur de l'absurdité. Pourvu qu'on soit en règle avec son image idéale.
Or la chose est claire: les familles où les parents sont du même sexe sont des familles à part entière, mais différentes des familles dont les parents sont de sexe opposé. Il faut respecter les différences: on ne peut pas à la fois vanter la diversité des familles et prétendre qu'elles sont les mêmes. Cette évidence est pourtant riche de conséquences. Les familles homoparentales pouvaient fort bien avoir les mêmes droits que les autres, dans le cadre d'une "union" qui s'appelle du nom qu'on voudra (pourquoi pas union), qui peut être officialisée à la Mairie, en tant que telle, mais qui n'est pas le mariage, non parce que celui-ci est un lien sacré (il ne l'est que pour ceux qui le sacralisent), mais parce que c'est un lien centré sur la différence sexuelle homme-femme en tant qu'elle porte la reproduction de l'humanité.
Si cette différence sexuelle n'est pas marquée dans le mot mariage, le déni de réalité que cela produit est aussi grand que le déni de réalité dont font preuve les opposants au mariage des homos, à savoir: la réalité de familles homo-parentales. Mais peut-être que ce déni sera aussi infime qu'elles sont ultra minoritaires?
Ces familles nouvelles sont spécifiques, et l'on peut faire confiance aux sociologues et psychologues pour les étudier, et les aider en cas de besoin. Par exemple: quel effet y aura-t-il sur les enfants si leur père leur dit que l'autre homme c'est leur mère, ou si leur mère leur dit que l'autre femme, c'est leur père, seul l'avenir le dira. Peut-être leur diront-ils autre chose? Bien des mots-clés seront piétinés, mais peut-être seront-ils plus forts que ce piétinement? C'est la valeur symbolique de la loi (officielle) qui en sera affaiblie. Mais qui croit que le symbolique y est logé?
Cela dit, il faut comprendre que des "psys", élevés dans le culte de Lacan ou des concepts freudiens, réagissent avec angoisse à l'idée que leur symbole majeur, le Nom-du-père ou l'Œdipe, ne trouve peut-être pas sa place dans ces nouvelles familles. Et si autre chose y était créé? une autre forme d'entre-deux? En revanche, est-ce une raison pour aligner les autres familles sur ce qui pourrait être créé de nouveau dans celles-ci?
Il faut aussi comprendre et apaiser ceux qui ont peur de n'être pas assez révolutionnaires: il faut leur dire qu'ils le sont, d'autant que les révolutions se font rares et qu'elles ne sont pas toujours de très grande qualité. Et tant de gens disent que celle-ci sent la mascarade…
On comprend que le législateur veuille paraître égalitaire quand cela concerne si peu de monde; il est si impuissant devant les inégalités qui touchent des masses importantes. Le fait que toutes ces familles aient les mêmes droits, ne posera pas de gros problèmes. Il y en aura d'autres, des problèmes, mais qui seront bienvenus pour défrayer la chronique. Par exemple, une mère porteuse décide de garder l'enfant, ou bien le vend sur Internet à un prix meilleur qu'au départ (cela vient de se produire). On verra toutes sortes d'absurdités; mais la plus ironique de toutes, c'est que le mariage, qu'on a souvent raillé pour la tromperie qu'il comporte, la fidélité-pour-toujours, va accéder à une tromperie très officielle, garantie par la loi: le mari a pour femme un homme; et la femme a pour mari une femme.
Cette façon de mal dire les choses (mau-dire vient de là), contredit tous les dictionnaires. D'aucuns diraient que c'est un mariage malédictionnaire. A quoi certains objectent: "Vous dites que le mot mariage ne convient pas aux couples homos? Mais c'est à eux seuls d'en juger!" Non, ce mot appartient à tous, c'est un mot de la langue. Couple marié ne veut pas dire couple authentique ou fidèle ou sacré, mais accouplement légitime d'un homme et d'une femme, sous le signe de l'acte réel où leurs deux corps reproduisent l'humanité, au sens plus que biologique.
Le législateur croit garantir la dimension symbolique; en fait, elle lui échappe de plus en plus, elle sera l'affaire des individus, qui souvent chercheront des repères plus rigides pour être plus rassurés.
Daniel Sibony
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