Ce mot veut dire saints, pluriel de qadosh : "Vous serez saints car je suis saint", dit YHVH. Cela n'implique aucune identification de l'homme à YHVH; simplement, il y a différents niveaux de sainteté c'est-à-dire de séparation d'avec le lieu commun, la coutume ordinaire ou vulgaire, le mode d'être déchéant.
Suit une série de lois qui sont souvent des rappels. Par exemple, les deux premières rappelées sont : "Que chacun "craigne" son père et sa mère"; et "observez mes shabbats".
Cette crainte envers les parents, c'est non pas la peur qu'ils devraient inspirer mais la crainte de les mettre sur le même plan que soi et d'ignorer l'écart de génération, d'ignorer le fait qu'on provient d'eux et qu'en même temps, ils ont leur histoire, ils ne sont pas réduits à être notre origine. C'est là une première inscription symbolique, celle du respect, qui inscrit le poids des parents pour s'en libérer. L'autre inscription, celle du shabbat, marque le jour vide qui conclut la Création.
Le symbole du respect envers les parents est assez riche : celui qui l'acquiert sera en mesure de respecter ailleurs ce qui doit l'être, même s'il est amené à l'affronter. Il est essentiel de respecter ceux qu'on affronte, sinon, le mépris qu'on leur voue risque de vous masquer la difficulté du conflit, et de les faire triompher. Or souvent, ceux qui n'ont pas de respect pour leurs parents expriment envers eux - ou ressentent - du mépris ou de la honte, deux sentiments qui affectent leur propre vie, indépendamment des parents. Ce sont des êtres qui trainent avec eux la honte d'exister avec leur corps, leurs pulsions, leur désir; la honte de ne pouvoir aimer, le mépris envers les autres pour acquérir une hauteur artificielle, pour paraître exceptionnel ou parfait; ce qui est loin d'être le cas. Envers les parents, il arrive que des enfants ou des ados abusent de l'amour qui leur est porté, pour se croire réellement le prince ou la petite princesse du foyer, sous prétexte que les parents les ont mis à cette place. Les parents croyaient exalter leur progéniture, le fruit de leur amour, et sont perplexes de voir que ce fruit se prend pour l'arbre tout entier.
Quant au shabbat, ignorer le repos qu'il instaure, c'est simplement ignorer la création, donc aussi oublier l'être en tant que créateur; c'est risquer d'être le fonctionnaire de sa vie.
Bien sûr, cet oubli ou ce mépris de l'être créateur peut faire qu'on se tourne vers des "idoles", des "idéaux" qu'on a soi-même fabriqués pour s'exalter à leur service. On traduit (v.4) : "Ne vous ne faites pas des dieux de métal"; or le mot employé est : massékha. On y lit le mot masque. N'adorez pas les apparences, ni quoi que ce soit qui masque le rapport à l'être. C'est encore ponctué par : "Je suis l'être votre Dieu".
(v.5) : "Et si vous sacrifiez des pacifiques à YHVH, faites-le pour être agréés". Cela semble évident qu'on apporte un sacrifice pour être agréé, mais parfois l'acte de l'apporter, et l'animal qu'on apporte font oublier l'agrément qu'on recherche, l'agrément dans l'être; on veut être agréé, c'est-à-dire réinscrire l'existence pour nous de points d'amour dans l'être, de points favorables. Suivent toutes sortes de lois qui conjurent l'idée de totalité. Par exemple, s'il reste de la viande du sacrifice, ne pas la manger le surlendemain. Si "on moissonne son champ" (v.9) ne pas achever les coins, ne pas ramasser ce qui est tombé; de même pour la vigne; laisser cela aux pauvres et à l'étranger. Le symbole est clair : ne pas tout prendre, même de ce qui nous appartient.
De même l'interdit du déni ou du mensonge sur son prochain, est une façon d'interdire la totalité. Nier et mentir c'est vouloir posséder toute la vérité, alors qu'on a droit qu'à une partie, on n'a droit qu'à la vérité qu'on est capable de produire, de faire émerger. C'est pourquoi il y a aussi l'interdit de voler. De même, l'interdit de jurer par le nom de Dieu pour du mensonge, c'est-à-dire de s'adjoindre l'appui du divin indûment.
(v.13) On traduit : "N'opprime pas ton prochain" Rashi explique : "Ne retiens pas son salaire"; mais le mot employé est très fort, et signifie : "N'exploite pas ton prochain". Cet interdit ouvre un abîme, car cela voudrait dire que le salarié ne doit pas se sentir lésé dans le fait qu'il loue sa force de travail. Il ne faut pas que la part de plus-value qu'il crée lui échappe totalement et aille constituer une force qui se dresse contre lui et qui l'écrase. Celui qui produit les richesses ne doit pas être écrasé par le poids et le pouvoir de ceux qui détiennent ces richesses.
Vu les conséquences radicales que peut avoir cet interdit, nous laisserons ouvert son commentaire. (v.14) "Ne maudis pas un sourd et ne mets pas d'obstacle devant l'aveugle, tu craindras ton Dieu, je suis YHVH". En effet, dans ces deux agissements, il n'y a que l'être qui soit un tiers; et le "craindre" c'est tout simplement ressentir sa présence, quand on abuse d'un handicapé au moyen de son handicap. De même, "dans le jugement, ne ménage pas le pauvre et ne favorise pas le puissant; avec droiture tu jugeras". En fait, les deux indications portent sur le visage : "Ne relève pas le visage du pauvre, [sous prétexte qu'il est pauvre]; et ne glorifie pas le visage du puissant". Donc pas de séduction de l'autre, du fait qu'il a du pouvoir; et pas de séduction de celui qui n'en a pas, qui est démuni; la séduction dans ce cas ne s'adressant qu'à soi-même : on s'élève à ses propres yeux en favorisant le pauvre, en étant l'auteur d'une justice fabriquée de toutes pièces pour servir notre amour-propre.
(v.17) "Pas de médisance, et pas d'indifférence devant le sang du prochain". Toujours avec cette justification : "Je suis YHVH". Il n'y a en effet que l'être qui "voit" le colportage de médisances, et l'attitude de fuite devant l'acte injuste qu'on est prêt à laisser passer.
(v.18) "Ne te venge pas, ne garde pas rancune envers les enfants de ton peuple, et tu aimeras [pour] ton prochain comme toi-même, je sui YHVH". Se venger, c'est garder en soi la trace de l'autre, dans son acte négatif, pour la réparer sur son dos. C'est une faute éthique, s'il faut la réparer, c'est dans l'espace du jeu de la vie, en produisant plus de bien qu'elle n'a fait de mal. Quant à la rancune, c'est garder en soi la trace négative, juste comme une fixation agressive, qui mobilise en vain de l'énergie, et entrave le rapport à l'être, au champ des possibles.
Le verset 18 se termine sur presque un conseil : "tu aimeras pour ton prochain comme toi-même" c'est-à-dire tu te mettras à sa place en pensée; soit pour ne pas dévier vers lui la part mauvaise de ce qui arrive; soit pour mieux comprendre ce qui dans son attitude t'a choqué ou révolté (peut-être ne faisait-il que défendre son intérêt et aurais-tu voulu qu'il défende d'abord le tien ?). Du coup, le mets-toi à sa place peut aussi s'accompagner d'un : "Mets le à ta place, avant de juger". Dans les deux cas, il s'agit de ne pas se fixer ou fixer l'autre à la place initiale; ne serait-ce qu'en pensée, il faut pouvoir se déplacer. La place doit être avant tout un potentiel de déplacements. Il serait trop long de commenter toutes les lois de cette Parasha, c'est pourquoi je conclus par l'une d'elles qui a une profondeur ontologique singulière.
(19,23-25) "Quand vous serez entrés dans le pays et y aurez planté quelques arbres fruitiers... vous circoncirez ces fruits durant trois ans [autrement dit, ce seront comme des excroissances à jeter]; et la quatrième année tout le fruit sera consacré à des réjouissances pour YHVH; et c'est la cinquième année que vous mangerez de son fruit". Cela veut dire que les trois premières années les fruits retournent à la terre, ils lui appartiennent; la quatrième année ils sont consacrés à l'être divin; et pour ce qui est de les consommer, la première année sera la cinquième. Autrement dit, on compte à partir du quatre, qui est le chiffre même du tétragramme.
L'être est aux fondements de tout compte qui tient, qui est appelé à tenir. L'être et non l'avoir, encore moins le semblant.
Il y aussi l'amour de l'étranger et l'interdit du tatouage; interdit qui n'est justifié que par "Je suis YHVH". On sait qu'aujourd'hui les tatouages font fureur, et on comprend ceux qui ressentent le besoin d'avoir ces inscriptions sur le corps : comme si, sans elles, rien d'important ne s'était inscrit ou ne peut s'inscrire. C'est leur façon de conjurer un certain désespoir, lié au manque total de rapport à l'être, à une immédiateté vécue. C'est comme s'ils se réappropriaient leur corps, pour le rendre prenable par un autre corps, et déjà le rendre visible. L'être est pour eux une pure abstraction, et ils n'ont aucune idée de ce que c'est d'être sous son regard.
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