Un exemple éloquent : la défaite de l'Espagne devant la Hollande: d'un côté on avait des corps jeunes, explosifs, dansant, rapides, inventifs et de l'autre une équipe élégante, posée sur son socle de championne du monde et n'arrivant pas à courir. Or il fallait vraiment courir, se démener, lutter.
En somme, les Hollandais avaient devant eux le possible, parce qu'ils donnaient tout leur possible, ils y allaient à fond comme si ce qu'ils devaient conquérir n'était pas déjà en eux. Les autres, les Espagnols, jouaient à minima, comme s'ils n'avaient rien d'autre à donner que ce qu'ils étaient, que ce qu’ils avaient déjà donné ; comme s'ils étaient captifs de leur identité : « champions du monde », qui aurait dû suffire ; mais elle ne suffit pas, malgré l'idéologie déferlante qui voudrait définir les gens par leur identité. En l'occurrence, l’identité ne suffit pas car il faut à chaque fois la mettre en jeu, la risquer dans l’existence pour faire exister du nouveau, pour affronter un autre temps.
De ce point de vue, le match avait de la beauté : il opposait le point de vue de l'existence et du jeu de l'être, au point de vue de l'identité dont on échoue à se dégager et qu'on échoue à mettre en jeu.
Si l'Espagne bat le Chili mercredi prochain, cela prouvera qu’on peut être en haut, puis chuter, puis se relever, etc. Sinon, on aura qu'une demi-leçon : on peut être en haut et chuter, et se retrouver hors-jeu. Ce serait un peu pauvre, mais la vie a parfois des moments pauvres pour exprimer toute sa richesse.
Ce rapport au possible se confirme dans un curieux phénomène : lors de certains matchs, on voit deux équipes qui se tiennent, qui sont à égalité, pas seulement dans le score mais dans la qualité du jeu. Puis soudain, par l’effet d'un hasard, d'une négligence, d'une erreur qui bien sûr à son sens plus profond, l'autre équipe marque un point. L'équipe qui encaisse réagir fortement, mais souvent elle se met à moins bien jouer, comme sous le coup de l'échec, ou pire, d'une mémoire de l'échec. Et elle encaisse encore un point, qui entérine non pas sa moindre qualité mais la chute de tension que lui inflige le premier point qu'elle a subi. D’où cette étrange évidence : elle perd parce qu’elle a perdu…le contact avec le possible. Et l'autre se déchaîne et gagne parce qu'elle a gagné un point de contact avec le possible qui lui a ouvert la voie. Du coup elle gagne le suivant qui lui donne de quoi en gagner encore. On a souvent remarqué dans cette coupe de 2014 comment deux équipes qui se tenaient à égalité, connaissent un déséquilibre qui s'accentue et tourne à l’écrasement. On devine même, chez l'équipe qui commence à perdre, une sorte de résignation voire une jouissance morbide à s'enfoncer dans l'impossible.
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