Ghetto.
Le langage courant, surtout médiatique mais pas seulement, charrie des mots et impose leur évidence. Des mots comme ghetto, apartheid, discrimination, ségrégation etc. Ghetto est un mot qu'il faut respecter, car il désignait en Italie (avec son équivalent modulable en Europe centrale, et en terre d'islam) un lieu où les Juifs étaient littéralement enfermés, contrôlés. À Venise, la cloche sonnait à 7heures du soir et tous les Juifs devaient être rentrés dans le ghetto. Dans la journée, ils en sortaient pour aller vaquer à leurs affaires tout en essuyant les insultes ou les agressions du milieu ambiant selon son humeur et selon l'époque. Aujourd'hui on appelle ghetto, bizarrement, des quartiers ou cités de banlieues dans lesquels les habitants, venus du Maghreb ou d'Afrique, ont des appartements corrects, avec des ascenseurs, des espaces communs normaux, mais qui au fil des temps se dégradent par le vandalisme, la grossièreté et le fait que des parents sont débordés par des jeunes qui ne comprennent pas leur histoire ; qui éprouvent la rancœur des parents – que ceux-ci ont pourtant bien refoulée - et leur propre rancœur de ne pas mieux posséder les règles du jeu social, ce qui leur permettrait d'être gagnants ; c'est du moins ce qu'ils croient. Toujours est-il que des non-musulmans dans ces cités prennent leurs distances et vont ailleurs, ce qui rend ces cités plus homogènes et fait penser à des ghettos comme si on les avait parqués. Les habitants, jeunes ou moins jeunes, ont donc une part active dans cette ghettoïsation ; elle exprime leur agressivité envers les autres qui n'auraient pas demandé mieux que de rester là. S'ils partent, c’est sur le constat effectif que c'est difficile à vivre, et non pas sous l'effet de préjugés, comme Monsieur Rosanvallon, professeur au Collège de France, qui nous assure que lorsque des parents retirent leurs enfants d'une classe parce qu'il y a trop d'enfants musulmans, « c'est sous l'effet de préjugés ». On voit qu'il n'a jamais parlé à des parents juifs qui reçoivent quotidiennement leurs enfants victimes d'agressions, et qui à la fin en ont assez puisque l'école leur affirme en aparté qu'elle ne peut pas assurer la sécurité de leurs enfants. Ils les mettent donc ailleurs. Ce ne sont pas des pré-jugements mais des post-constats.
Apartheid.
Que le gouvernement français s'accuse d'apartheid envers ses populations musulmanes, cela fait partie de sa toilette narcissique : on sait que la plus haute éthique en Europe est celle de l'auto-flagellation, supposée témoigner d'une certaine hauteur de vue. J'ai montré ce qu'il en était de cette culpabilité perverse. Si les gens acceptent officiellement la présence de musulmans agressifs, c'est que le politiquement correct leur enjoint de le faire et qu'ils ne veulent pas d'histoires. Cela peut les amener à se protéger, à prendre des distances. L’apartheid, c'est autre chose, c’est écarter l’autre ou le fustiger, alors qu’ici on s’écarte soi-même parce que l’autre vous fustige.
Mixité.
En revanche, on nous indique qu'il faut forcer la mixité, c'est-à-dire construire des logements sociaux là où le mètre carré vaut dix mille euros, au cœur de Paris et des villes. Ce forçage, qui coûtera cher créera aussi des rancœurs, il sera moins productif que des mesures de réhabilitation de ces cités et quartiers, mesures surtout éducatives qui poussent leurs habitants à en prendre soin. Je peux dire, en tant qu'immigré en France en 55, que j'aurais trouvé superbe un appartement à Saint-Denis avec 3-4 pièces, cuisine, salle de bain et balcon, comparé à ce que nous habitions en médina, dans des rues poussiéreuses et souvent hostiles.
Je déjeune avec X qui est psychologue dans un grand hôpital parisien. Elle me parle des consultations, dont la surveillante dit qu'elles accueillent « le Maghreb et l'Afrique » principalement. Cette fois, elle me dit que le docteur B. a décidé de partir : "Il craque, il en a marre, il veut un peu de mixité". Elle ajoute "Moi aussi, j'en ai marre, je veux de la mixité. Je veux qu'il y ait un ou deux blancs de temps en temps. Là, il n'y en a plus, ou presque".
À la même table, il y a C., une autre psychologue qui elle aussi a eu des problèmes par manque de mixité. Ses deux garçons étaient les seuls blonds aux yeux bleus dans une classe où il n'y avait que des noirs et des maghrébins, à Paris. Si encore ils intégraient son petit garçon à leurs jeux dans la cour, mais non, "ils préfèrent jouer entre eux". Elle s'est d'abord désolée qu'il n'y ait pas plus de mélange. Puis, elle est intervenue à la mairie, où la conseillère socialiste a été intraitable : pas de changement de classe ou d'école. De la mixité, bon sang. C'est bien ce que l'autre venait demander. C. a bien tenté de la fléchir, de la faire réfléchir sur la situation, sur l'écart entre son discours et la réalité. Mais justement, cet écart, l’élue y tenait, c’est ce qui donnait à son discours sa vibration d'idéal. Désespérée, C. a dû faire comme beaucoup d'autres : délocaliser ses enfants, leur donner une adresse fictive pour qu'ils soient dans une classe un peu plus mixte.
On imagine des élus de la gauche caviar ou de la droite vertueuse qui décident de faire avaler à très haute dose de l’ « autre » à leur public, et s’il fait la grimace et si ce n’est pas à son goût, l’accusation de racisme a beau être usée, elle procure à ses auteurs une jouissance intacte.
Dans le cas de classes plus élevées, devant les agressions, beaucoup s'excluent d'eux-mêmes et vont vers des écoles privées. Parfois, certains d'entre eux se convertissent, ce qui facilite les choses et permet de rester sur place.