Chacun le sait, ces mouvements nous ont émus, cette obstination de ces foules qui reviennent à la même "place", jusqu'à ce que ça passe, et que le tyran soit renversé. Mais voilà qu'aux premières échéances, les élections libres tant désirées amènent au pouvoir, régulièrement, les partis islamistes. Du coup, le réflexe de déchanter est ici très facile. La réalité semble l'imposer. Pourtant, un peu de réflexion pourrait aider à passer outre. En effet, ces peuples sont islamiques, massivement; rien d'étonnant à ce que cela s'affiche en premier, comme l'option majoritaire. Cela veut dire qu'on part de là, et qu'il faut peut-être que ces peuples puissent l'assumer pour pouvoir, un jour, s'en dégager ou prendre quelque distance par rapport à cette emprise. Jusqu'ici, ils ont été islamiques par menace ou danger: c'est ce que leur tyran disait à l'Europe. "Si vous nous lâchez, ce sera l'islamisme". Eh bien, ce qui était pointé comme un risque majeur, a besoin d'être assumé librement pour pouvoir être franchi. Cela impliquera, de la part des musulmans dit "modérés" - à supposer que cela existe - qu'ils livrent effectivement des batailles, jusqu'ici éludées. A la limite, c'est maintenant qu'on va savoir si les musulmans "modérés" existent comme mouvement réel et consistant. Jusqu'à présent, ils trouvaient commode de pointer les islamistes comme ce avec quoi "on n'a rien à voir", comme ce avec quoi le Texte fondateur, dans la version idéale qu'on lui invente, "n'a rien à voir" non plus. Ce vœu pieux, assez infondé, laissera place à de vrais engagements, des dissensions réelles, avec des victoires et des défaites pour la cause de la liberté. Sachant que, l'histoire nous l'a assez montré, il n'y a pas un groupe qui, détenant une vérité, soit capable de la garder assez longtemps pour ne pas déchoir. Les avant-gardes révolutionnaires sont normalement celles qui fournissent les futures forces de la répression. Quant à savoir pourquoi ici, en Europe, toute une pensée établie ne voit pas cette complexité, et a tendance à basculer du blanc au noir, du printemps à l'hiver, sans voir tout l'entre-deux et l'éventail des jeux possibles, une hypothèse se profile. Cette pensée relève aussi d'une identité - bonne, cela va de soi - qui se veut d'un seul tenant, et qui craint d'intégrer la faille, la cassure, la rupture de causalité, l'irruption de l'irrationnel, les impulsions de vie, qui font qu'on doit d'abord, par exemple, tenir une position pour pouvoir la quitter; d'abord aimer ses origines pour pouvoir s'en éloigner, quitte à y revenir autrement pour les quitter. C'est cette dynamique d'entre-deux, que j'ai développé depuis longtemps, semble encore une pensée trop singulière. Or l'universel de l'être ne peut se vivre que dans la singularité; à charge pour nous de veiller à ce qu'elle se déploie à nouveau dans l'universel. C'est ce que j'ai appelé la diagonale singulièrement universelle. Certains peuples semblent assez doués pour ça; nous verrons bien comment les peuples arabes vont inventer la leur.
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