Voulez-vous entendre une présentation de son nouveau livre "Islam, Phobie, Culpabilité" par Daniel Sibony ?
- Dimanche 27 octobre à 20 H sur Radio Nova (101.5 FM)
- Lundi 28 octobre à 21H sur Judaïque FM (94.8 FM)
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Voulez-vous entendre une présentation de son nouveau livre "Islam, Phobie, Culpabilité" par Daniel Sibony ?
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25 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Les deux
premiers chapitres (18,19) sont un chef d'oeuvre de subtilité sur la
manière dont le divin intervient. On commence par « YHVH s'est
montré à lui », et c’est sous la forme de trois hommes qui
« se tiennent au-dessus de lui ». Il ne sait pas que ce
sont des messagers divins, des porteurs d'être ; on pense qu’il
le devine, sinon il faudrait supposer qu’Abraham court vers des
passants quelconques pour les faire entrer chez lui et immoler
pour eux un « jeune taureau tendre et bon »; (hypothèse
qui nourrit des récits édifiants sur son hospitalité ; qui
satisfont le besoin d’idéal). En tout cas, la charge divine de
ces hommes va se préciser curieusement. Il commence par leur dire
"Messeigneurs si j'ai trouvé grâce à tes yeux ne passe
pas par-dessus ton serviteur" ; autrement dit, n'ignore pas
l'hospitalité que je t'offre. Ils sont trois et il leur parle au
singulier ; puis cela devient un pluriel : "Qu'on prenne un
peu d'eau et que vous vous laviez les pieds (…) vous restaurerez
votre cœur après quoi vous partirez (vous passerez), puisqu'aussi
bien vous êtes passés près de votre serviteur"( verset 4 ) ;
et le texte poursuit : ils répondent "Fais comme tu
l'as dit". On a
donc, pour le même « objet », un singulier suivi d'un
pluriel qui redevient singulier puis pluriel. Et ce n’est pas
fini ; ce jeu d'alternance pluriel-singulier va se poursuivre :
(verset 8) "Il est debout au-dessus d'eux sous l'arbre et ils
mangèrent. Ils dirent : Où est Sarah... (verset 10) "
Il dit : je reviendrai l'année prochaine et Sarah aura un fils."
Il annonce que Sarah sera enceinte. Elle rit intérieurement
et (verset 13) YHVH dit à Abraham : « Pourquoi Sarah a
t-elle ri ?...» Là, le singulier se prolonge dans ce « Je
reviendrai vers toi ». Laissons la question du rire de
Sarah (encore que ce rire soit intérieur et qui soit perçu par le
messager, qui donc devine…) et poursuivons (verset 17) YHVH dit
: "Vais-je cacher à Abraham ce que je vais faire ? (à propos
de Sodome)". Et YHVH dit encore : "Le cri de
Sodome et de Gomorrhe a grandi, leur perversité est grande, etc".,
et au verset suivant (22) on nous dit que : « les hommes
partirent de là et se dirigèrent vers Sodome; et Abraham était
encore debout devant YHVH ». On en déduit que deux des trois
hommes sont partis et que l'un est resté, puisque très peu après
on saura que seuls deux messagers divins arrivent à Sodome pour la
détruire et sauver Loth. S'ensuit une discussion entre Abraham et
YHVH sur le fait qu'on ne peut pas détruire une ville avec les
justes qu'elle contient, on ne peut pas tuer en même temps le juste
et l'injuste etc. Puis c’est le fameux marchandage que YHVH
conclut : « Je ne détruirai pas, en faveur de dix »
(s'il y en a) ; enfin (verset 33) : "YHVH s'en alla
quand il eut fini de parler à Abraham et celui-ci retourna à son
lieu".
L'être-YHVH
peut donc se faire représenter par des êtres humains du moins en
apparence ; il est à la fois singulier et pluriel; il peut
parler dans une silhouette humaine, celle-ci peut disparaître, reste
la parole qui se maintient, la présence parlante de l'être.
On
savait qu'Elohim, qui est pluriel, parle au singulier ; que
c’est du pluriel singulier. Ici, on a du singulier-pluriel qui
redevient singulier, donc unique. Il n'y a pas là une mise en doute
de l'unicité de l'être; il s'agit de voir comment s'exprime cette
unicité quand elle est parlante.
Si l’on compare avec la thématique chrétienne de l'incarnation, on voit que le Messie chrétien rassemble sur lui les paroles de promesse restées en suspens, à des moments cruciaux de la Bible, pour les « accomplir », et incarner à la fois la parole divine et le manque qu'elle comportait. Cela n'en fait pas un Dieu mais un homme inspiré qui a pris sur lui ces manques et ces promesses, chose qu'on a extrapolée en disant qu'il a pris sur lui les manquements et les fautes ; cela fait de lui au mieux une incarnation de la parole de l'être mais non de l'être divin comme tel. A moins qu’il ne soit une « construction » qui rassemble des points singuliers de la Bible sur un même corps, sur un homme qui les totalise ; qui lui donne le souffle pour guérir des malades ; on dit qu'il a ressuscité, que sa mère l'a conçu sans rapport sexuel (ce qui n'exclut pas une fécondation par des spermatozoïde dans un bain), mais tout cela n'en fait pas un Dieu ; cela en ferait un homme inspiré ; du reste, il ne dit jamais "parole de YHVH" , il dit "comme il est écrit" ; - alors que les prophètes osent prêter voix à la parole de YHVH, et donc l'incarner d'une certaine façon. Le Jésus de l'Evangile cite des paroles de YHVH ou bien conjugue son corps avec des contextes implicites, que l'on peut déchiffrer ; que d'ailleurs je déchiffre pour montrer en quel sens l'Evangile est écrit "avec" la Bible : avec les matériaux bibliques, point par point.
Dans
cette parashaa on a deux sacrifices d'Abraham :
l'un, c'est le sacrifice de son fils Ismaël qu'il envoie dans le
désert avec sa mère, qu'il expose donc à un danger de mort par la
soif ; l'autre, deux pages plus loin, c'est le sacrifice d'Isaac
qu'il expose sur l'autel prêt à l'égorger. Dans les deux cas, un
miracle se produit et le sacrifice est évité. Dans le désert,
Hagar pleure, et il est dit "Elohim entendit la voix de
l'enfant », et lui a désillé les yeux à elle, de sorte
qu’ « elle a vu un puits ». Dans la parashaa
précédente, quand elle se sauve dans le désert alors qu'elle est
enceinte, un messager de YHVH lui apparait et lui dit qu'elle attend
un fils, qu'elle l’appellera Ismaël, pour signifier que El (Dieu)
a entendu sa souffrance. Et (16 v.13) « elle appela le nom de
YHVH qui lui parle : tu es Dieu me voyant », ajoutant pour
elle-même « j'ai vu après celui qui me parlait » ;
elle ne l'a pas vu de face.
Or il y
a un contentieux d'eau et de soif, depuis Ismaël, entre Hébreux et
Arabes : Rashi cite Isaïe 21 où l’on trouve en
quelques lignes une « charge contre l'Arabie » : ils
n'ont pas donné à boire aux Hébreux qui fuyaient assoiffés
l'armée des Babyloniens (au 6ème siècle avant l’ère
chrétienne). Rachi met cela en rapport avec le fait qu'Ismaël a
connu la soif et failli en mourir. Isaïe le leur reproche au nom de
YHVH, et prédit leur déclin : « les survivants des
nombreux archers, des guerriers enfants de Qédar seront réduits à
peu de chose, ainsi parle YHVH Dieu d'Israel". Cela annonce
surtout que l'histoire continue, et que ce qui est inscrit aux
origines est appelé à se répéter, jusqu'à ce qu'on s'explique
avec.
En (21,
v 9) on trouve que « Sarah vit le fils d'Hagar l’égyptienne...
s'amuser », et elle dit à Abraham de renvoyer « cette
servante et son fils ». Le mot employé pour s'amuser est
metsahéq de la même racine qu'Isaac, son fils à elle. Elle a vu
qu'Ismaël empiétait sur le nom de Isaac. C’est assez clair.
Même s’il y a toutes sortes de suppositions sur le mot metsahéq,
et si dans la Bible il évoque pour tout autre chose que l'amusement.
En tout cas, si le sens de s'amuser était « s'adonner à
l'idolâtrie » et au « meurtre », comme le suggère
Rachi, on n'aurait pas au verset 20 "Elohim fut avec le jeune
homme (Ismaël)".
Notons
que sa mère lui prend une femme égyptienne comme elle. Et que
lorsque dans le désert le messager divin dit à Hagar enceinte
qu'elle aura un fils et qu'elle appellera Ismaël, il lui annonce son
avenir (16 v 12) : "il sera un homme sauvage, il sera
contre tous et la main de tous contre lui" Autrement dit, il
vivra de la guerre et les autres s'en prendront à lui. C’est écrit
avant toute idée d'Islam.
On sait que le Coran ne fait pas allusion à Hagar, pour deux raisons. D'une part c'est une esclave égyptienne au service de Sarah, ce n’est pas gratifiant d’y ancrer l’origine ; d'autre part, la nommer l’eût obligé à mentionner qu'Abraham la renvoie avec Ismaël, à la demande de Sarah approuvée par YHVH. C'est trop, puisque l'Islam se réclame d'Abraham et tente d'établir une continuité jusqu’à lui , depuis Mahomet, via Ismaël.On comprend qu'il paie ce silence par un autre silence sur le fils qu'Abraham doit sacrifier. Le Coran ne dit pas que c'est Ismaël et ne dit pas que c'est Isaac ; la tradition islamique pose que c'est Ismaël mais le Coran ne va pas jusqu'à l’affirmer.
La fin de la parashaa raconte non-sacrifice d'Isaac, dont j'ai assez parlé ailleurs.
22 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Mise en place du LEB (Lieu d'Etude Biblique) pour l'année 2013-2014.
Une soirée mensuelle le mardi ou le jeudi
ainsi que deux autres week end dans l'année.
Les personnes intéressées peuvent écrire à contact (at) danielsibony.com
avec un très bref CV et leurs motivations.
17 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Cyrano et Lucrèce
J'ai vu coup sur coup Lucrèce
Borgia de Victor Hugo et Cyrano de
Bergerac d’ Edmond Rostand. Les deux pièces n'ont rien en commun, si ce
n'est un détail essentiel qui m'a frappé.
Dans la première, Lucrèce, on le sait, est une femme terrible
qui empoisonne à tour de bras ceux qu'elle n'aime pas ; qui se vautre dans
l'inceste et la débauche, et qui en passant a eu un fils, Gennaio, avec son
frère(lui-même tué par son autre frère qui fut aussi son amant). Et ce fils ne
sait pas qu’elle est sa mère, elle l'aime et le protège de loin. Elle arrive
même à le sauver lorsqu'il est arrêté par le duc de Ferrare, son nouveau mari, et condamné à
mort pour insulte à Lucrèce. Lorsqu'il comparait, et qu’elle voit que c'est lui
le coupable, et qu'elle ne peut faire autrement que de le laisser empoisonner,
elle lui donne l'anti poison rarissime qui le sauve. Mais plus tard, il se fait
prendre avec un groupe de jeunes qui eux aussi ont insulté Lucrèce, et le voilà
empoisonné avec les autres. Cette fois, elle le supplie de prendre l'anti
poison et de vivre, et il refuse, bien décidé à la tuer, de sorte qu'ils meurent ensemble (il la poignarde en
rendant le dernier souffle), alors même qu'elle lui disait des paroles d'amour
profondes et sincères, celles d'une mère pour le seul être qu’elle aime, son
fils. Mais à aucun moment elle ne lui dit qu’elle est sa mère ; alors même
qu'il est troublé, qu’il devine presque,
qu’il la prend pour sa tante, trop horrifié sans doute à l'idée d'être son fils.
Le détail essentiel c'est ce silence qu'elle garde ; qu'est-ce qui l'empêche de
lui dire la vérité ? La peur d'être rejetée par lui ? Elle l’est déjà, en tant
que meurtrière de ses amis.
Elle garde le silence par honte, non pas envers lui, puisque
pour lui, encore une fois, elle est déjà abjecte, couverte de honte ; elle
garde le silence par honte devant elle-même, pour sauver à ses propres yeux son
narcissisme, dont par ailleurs elle a pu
déployer les versions meurtrières. Elle se tait donc par amour pour elle-même,
pour ce qu'elle est, telle qu'elle est, avec sa tendresse de mère inavouable et
sa pulsion criminelle sans limite. La limite, elle ne l’a que face à elle-même.
Dans Cyrano, toute
la pièce repose sur le silence de cet homme qui non seulement s'empêche de dire
son amour pour Roxanne, mais prête sa plume, sa voix, son génie à l'amant
timide ou médiocre dont elle s'est entichée, Christian, qu'elle épouse,
remporté par la force de ses paroles. Quand celui-ci meurt à la guerre, et
qu'elle se retire dans le deuil, elle montre à Cyrano la dernière lettre de son
mari, il la lui récite par cœur : elle comprend que c'était lui qui soufflait
les mots à Christian lors d'une fameuse nuit d'amour, c'était lui qui écrivait,
depuis le front, chaque jour, les lettres qui la bouleversaient. Ce qu'elle
aimait chez Christian c'était ces mots précisément, et ces lettres.
Pourquoi Cyrano ne lui dit-il pas que c'est lui ? Par peur
d'être rejeté ? Sûrement pas, puisqu'elle avait martelé auparavant qu'elle
aimerait l'homme qui lui a écrit cela même s’il était laid, horrible ; que c'est
son âme , portée par ces paroles, qui lui importait le plus. Pourquoi ne le dit-t-il pas même au dernier moment, lorsqu'il
est mourant, assommé traîtreusement par un laquais, lui qui était vainqueur
dans tout duel et toute franche bataille ? Pourquoi se contente-t-il de la
supplier de l’inclure, lui, dans son deuil pour Christian ? Là encore, il garde
le silence pour protéger son narcissisme ; parce qu'il y tient, à son nez
ridicule ; et qu’il a honte, à ses
propres yeux, de déclarer son amour à une belle, sachant qu'elle aurait,
peut-être, quelque chose à surmonter en ignorant ce nez.
Ce nez est une
métaphore qui va loin. Chacun tient à lui-même tel qu'il est né, il tient à sa
naissance, à ses origines, même si elles lui ont légué une chose à laquelle les sots s'accrochent pour la
trouver ridicule. Cyrano tient à ce nez, il en souffre, et il tient à cette
souffrance, à la rage qu'elle lui donne. Il a peur de trahir cette transmission s'il s'exprime pour
son compte en amant passionné mais porteur de cette trace négative. Il n'est
pas masochiste, mais il aime cette trace, quel qu’en soit le prix. Il en tire
quelques bénéfices, puisqu'elle le met en position de combattre le semblant, le
mensonge, le compromis, etc., sur un mode, il est vrai, si total que le prix en
est redoublé; et il aime qu'il en soit ainsi, il veut donner à ses origines
cette garantie de fidélité. C'est par rapport à elles, donc à lui-même qu’il a
honte de dire son amour sans être aussi présentable qu'il le faudrait selon les
critères admis. Ce déchirement entre deux exigences lui fait taire la seule parole qui le rendrait
heureux.
Cette métaphore du nez, qui semble si singulière, est
clairement universelle : chacun se promène dans la vie avec un symptôme
qui l'afflige, mais auquel il tient d'autant plus qu'il lui a coûté ; c'est la signature de son identité fragile,
bancale ; le défi pour lui étant de
passer de l'identité à l'existence, de ne pas rester cramponné à ce trait ou à
sa négation, mais de franchir leur entre-deux vers une forme de vie plus mûre.
Cette pièce est donc singulièrement universelle ; y compris
au sens où ce Cyrano semble incarner quelque chose du peuple juif, de son
destin : marqué par un trait qui lui a longtemps valu la raillerie des autres
ou leur mépris ou leur haine, un trait qu'on a souvent imagé par un nez
remarquable, mais qui réfère bien plutôt à la naissance et à son mode de
transmission. Il tient à ce trait, et il essaye de ne pas s'y réduire, de dépasser
le clivage entre exister et déplorer d'être victime. Clivage dont Cyrano est un
exemple tragique, mais qui existe sous les formes les plus variées parmi ce peuple ;
et chez tout un chacun. Cela rejoint le déchirement que chacun éprouve entre
son idéal de soi et l'exigence de vivre.
Car enfin, s'agissant de Cyrano, pourquoi diable s'interdire
d'exprimer son amour sous prétexte qu'on se sent laid ? La beauté, est-ce
d'être conforme à un modèle idéal, ou est-ce de donner corps à l'amour ?
Cyrano accepte la seconde hypothèse, mais ne peut pas l'assumer ; et il s'empêche de
dire l'amour, de dire que c'est lui l'auteur des lettres, parce qu'à ce moment-là, précisément, sont nez
lui fait honte, et qu’il ne veut pas devoir à l'autre, à sa belle, l'effort éventuel
de passer outre, de paraître fermer les yeux là-dessus. Alors qu'il est prêt à
pourfendre tous ceux qui s'en prennent à ce nez, ou qui seulement le
remarquent.
De même, Lucrèce s'empêche de dire à son fils qu’elle est sa
mère, car pour elle une mère n'est pas présentable devant son miroir idéal, son
fils bien-aimé, si elle est à ce point dépravée ; alors même qu'elle se
moque des jugements portés sur elle, et qu'elle est prête à tuer leurs auteurs
(en quoi elle leur donne raison). Elle méprise ceux qui la jugent, mais c'est
elle qui se juge le plus durement. C'est le cas de la plupart.
Peut-on dire que ce capital
de honte, doublé par ailleurs d'un
capital de culpabilité, (les deux
étant très connectés), donne une limite minimale à des narcissismes qui sinon
n'en auraient pas ? Sans doute, sachant que ces deux capitaux sont
branchés sur l'amour-propre, qu'ils contribuent à entretenir et qui en même
temps les requiert et les gonfle pour mieux prendre appui sur eux. Mais à
certains moments critiques, ils le sustentent si bien qu’ils l’achèvent.
17 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Le Séminaire de
Daniel Sibony
Dictionnaire vivant (suite)
1ère séance du cycle:
L'ETHIQUE DE L'ETRE ET SES ENTORSES
«Compulsion, drogue, deuil, écoute, effacement, éthique, jugement, pardon, religion, violence»
Mercredi 16 octobre à 19h
à la Faculté de médecine - Paris Descartes, Pavillon 1
15, rue de l'Ecole de médecine
75006 Paris
Entrée: 15 euros, étudiants: 5 euros
Gratuit pour les étudiants de la faculté de médecine à partir de la 3ème année
01 45 44 49 43 ou [email protected]
Dates des prochaines conférences :
20/11, 18/12, 22/01, 12/02, 19/03, 30/04, 21/05, 18/06
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Site: www.danielsibony.com
Blog: http://danielsibony.typepad.fr/
Vidéo: http://www.youtube.com/user/danielsibony
17 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Parasha Hayé Sarah (Genèse 23 à 25, v.18)
Ce texte raconte un geste majeur d'Abraham : acheter une sépulture pour sa femme Sarah qui vient de mourir, et ce, à Hébrone, dans la terre de Canaan, celle que YHVH a promise à ses descendants ; aux descendants hébreux, puisque Ismaël et Hagar ont été éloignés, à la demande de Sarah. (Épisode que le Coran n'évoque pas, car cela l'aurait confronté à une contradiction : le père de l'islam, Abraham selon lui, renvoyant l'ancêtre majeur de l'islam : Ismaël. Intégrer cette contradiction, c'eût été intégrer la faille existentielle, que la Bible, elle, ne cesse de travailler, et qui donne à sa transmission la diversité que l'on sait.)
Cet achat de terrain est par lui-même un symbole : il s'agit de marquer cette terre d'une possession, doublement symbolique puisqu'elle comporte le symbole premier de toute humanité à savoir la sépulture, la coupure ligne entre les morts et les vivants ; et qu'en outre c'est un achat, une acquisition : au propriétaire du terrain qui veut l'offrir en cadeau à Abraham, celui-ci répond qu'il veut le payer. Il préfère la loi de l'achat et de la vente à celle du don et des bons sentiments. Du reste, si on lui faisait ce don, que donnerait-il en échange ? Quel contre don ? Ce serait du bétail ou des services, alors autant donner le signe du paiement universel, l'argent bien pesé. Ce marquage originaire semble entamer la conquête de cette terre, pour les Hébreux : elle leur est promise, ils sont appelés à y être, mais il faudra l'acheter ou la conquérir. Et Abraham fait le premier geste, il achète de quoi donner à ses descendants la présence - symbolique et réelle - du père mort ; laquelle sera répétée trois fois : Abraham, Isaac, Jacob ; eux et leurs femmes sont enterrés là.
En (23; 17-18), l'achat est inscrit en des termes à très longue portés, qu'on traduit d'habitude par:" Ainsi fut dévolu le champ de Makhpéla (…) à Abraham comme acquisition". Or le mot c'est vayaqom : il se leva, il se dressa; qui donc? le champ. Disons que le champ fut élevé au statut d'un Lieu acquis pour se transmettre comme élément d'existence pérenne. Car la racine du verbe est qoum la même que pour maqom qui veut dire le lieu, et aussi le divin. Yéqoum, qui en dérive désigne aussi la richesse. Il y a aussi téqouma qui évoque le lieu d'être. Un autre verbe en dérive, lé-qayém, faire tenir, faire exister. Ce mot vayaqom exprime donc qu'Abraham acquiert de quoi faire exister une transmission, qui donne à ses descendants, devenant peuple, un lieu d'être symbolique ancré dans le réel. Étonnant retournement : une sépulture se retourne en promesse d'existence; une trace sépulcrale s'inverse, via la langue et le verbe, en un germe de texture, celle d'une transmission qui fait exister, par anticipation, un peuple hébreu et le lien au divin qu'il invoque, notamment à la promesse d'une terre.
Le texte y met une certaine solennité, et insiste sur le fait qu'étaient présents et témoins les Hittites, le peuple du vendeur, et que cela se passait à la porte de la ville. Il précise aussi que ce champ et ce caveau de makhpéla se trouvent en face de mamré 'qui est Hébrone), donc en face du lieu où YHVH s'est montré à Abraham sous la forme des trois messagers. Autrement dit, ce dévoilement de la présence qui a réinscrit l'alliance, se greffe sur le premier lieu qu'Abraham achète à Canaan pour en faire une sépulture patriarcale c'est-à-dire un lieu d'invocation ancestrale permanente, qui accompagne la transmission de cette phrase millénaire : YHVH, Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
Les actes symboliques qu'accomplit Abraham ont donc une certaine portée dans le temps long; on peut même dire dans l'infini du temps, si l'on pense que cette transmission n'a pas de raison de s'arrêter, ajustée qu'elle est sur celle de l'humain comme tel, en tant qu'il est indéfini.
On comprend que ce lieu soit disputé par l'islam, puisque pour lui Abraham étant le premier musulman, ses descendants authentiques, notamment Isaac et Jacob (mais aussi Joseph, Moïse, les prophètes etc.) le sont aussi. Aujourd'hui, ce lieu est, pour les Juifs, d'un accès problématique, il faut être accompagné par des militaires, comme pour rappeler que l'accès aux origines, quand leur symbole est trop réel, n'est pas si évident ; et que le passage par elles, si on croit le détenir, le contrôler, c'est qu'on est dans l'erreur. Ajoutons que les musulmans qui revendiquent ce lieu comme le leur, sont obligés de traiter les deux autres patriarches Isaac et Jacob, certes islamisés par le Coran, au même titre qu’Abraham, ce qui n'est pas le cas dans l’islam; alors que c’est le cas dans la tradition des juifs, qui lorsqu’ils invoquent « nos pères », mettent Abraham Isaac et Jacob sur le même plan.(Dans le filon musulman, c'est plutôt : Abraham Ismaël et Mohamed, ce dernier prenant toute la place.)
Un autre passage par l'origine est ensuite raconté : Abraham envoie son serviteur Éliézer prendre une femme pour Isaac dans sa terre de départ. Il veut qu’elle soit prise parmi les siens, comme pour lui faire quitter, à elle aussi, son origine, pour qu’elle vive la même séparation qu’il a vécue, qu’elle en soit porteuse, qu’elle fasse le même voyage. Isaac, lui, est né à Canaan, cela ne fait pas sens qu’il aille en Mésopotamie trouver une femme ; pour lui, ce ne serait pas un retour. Le texte insiste, en faisant dire au serviteur : et si la femme ne veut pas venir avec moi, dois-je ramener ton fils là-bas, dans la terre d'où tu es sorti ? Surtout pas, dit Abraham ; si elle ne veut pas tu seras quitte du serment envers moi. Mais il a confiance : YHVH qui m'a fait partir de là, enverra un messager devant toi et te fera trouver la femme. Cette confiance, le serviteur la porte avec lui et, arrivé au lieu-dit, il fait une prière, simple et radicale: « YHVH, fais qu'il y ait de la rencontre pour moi aujourd'hui » ; ou plutôt : devant moi ; « et fais une grâce à mon maître Abraham ». Le mot pour la rencontre implique l’en face et l’en travers ; la vraie rencontre n'est pas frontale mais elle implique le face à face. Puis il met en place les conditions d'un coup de foudre : celle à qui je demande à voir, près du puits, et qui me répond : bois, et je ferai boire aussi que les chameaux, ce sera celle-là que tu auras désignée. Cette mise en scène du hasard objectif, puisqu'en effet, Rebecca, celle qui répond, se trouve être de la famille d'Abraham ; cette sorte de coup de foudre par procuration – je l’ai analysé dans L'amour inconscient. J’ajoute seulement que cet appel à la rencontre peut éclairer la fameuse plainte des gens qui « ne rencontrent pas » : il leur manque l’ouverture sur l’être, vers le dehors, et même vers l’intérieur, les possibles qui les habitent sont enfermés dans un enclos narcissique, rendu étanche par une transmission du symptôme, plutôt que du symbole de vie.
Ici le serviteur est porté par un appel de rencontre qui le précède ; par l’acte symbolique que fait Abraham en voulant greffer sur Isaac une part de sa propre origine : en lui trouvant une femme de sa famille qui viendrait aussi loin que lui; qui croirait dans ce voyage. Il le dit clairement, en forme de vœu: YHVH, le Dieu du ciel et de la terre, qui m'a pris de la maison de mon père et de ma terre natale et qui m'a parlé et qui m'a juré de donner cette terre à ma descendance, lui, il enverra son messager devant toi et tu prendras une femme pour mon fils là-bas (24, 7). Et lorsque Éliezer fait sa prière, son vœu, voire sa mise en scène (celle à qui je demanderai et qui me dira etc.) , c'est déjà porté par le voeu d'Abraham. Il y a là un entrelacement de l'amour et la transmission ; une transmission de l'amour de l’être, qui annonce un amour de la transmission symbolique.
Isaac prend donc pour femme Rebecca, et l'on nous dit qu'il s'est consolé avec elle de sa mère. Petit clin d'œil pour honorer l'amour incestuel, et la façon de l'intégrer dans l'autre amour.
La Parasha se termine sur quelques notes complexes. D'une part Abraham prend à son tour une autre femme, qui lui donne plusieurs fils parmi lesquels Midiane, ancêtre d'un peuple qui en voudra beaucoup aux juifs pour leur place distinguée dans l'héritage d'Abraham. D'autre part, quand Abraham meurt, ses deux fils Isaac et Ismaël l'enterrent, ensemble. Rien de tel qu’un deuil commun pour fraterniser un peu. D'ailleurs, Isaac, béni par YHVH, s'installe près du puits le Vivant-qui-me-voit, le puits qui a sauvé Hagar et Ismaël de la soif. De sorte qu'Isaac est prêt à assumer l'intrication des deux branches issues du père commun, celle des Hébreux et celle des Arabes. Le texte s'achève sur la généalogie d'Ismaël qui donne naissance à douze fils, comme ce sera le cas de Jacob, fils d'Isaac. Mais d’Ismaël, on nous dit que ce sont douze peuplades, oummot ; on dirait presque douze branches de la Oumma.
30 octobre 2013 | Lien permanent | Commentaires (0)
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