Il y a dans ce texte une série de lois, dans le sillage des Dix paroles, puis il y a un renouvellement de la promesse ( de mener ce peuple jusqu'à sa terre et de lui en faciliter la conquête) ; mais il y a aussi une partie narrative : le chapitre 24.
Certaines lois nous rappellent les mœurs de l'époque : par exemple (21,7), « Si un homme vend sa fille comme esclave, elle ne quittera pas son maître à la façon des esclaves. » Mais dans le cadre de ce rapport maître-esclave, des limites sont introduites. Verset 8, « Si elle lui déplaît, et qu'il ne la réserve point à lui-même, il la laissera s'affranchir... » Verset 9, « S'il la fiance à son fils, il procédera selon la règle des filles ; s'il lui en adjoint une autre, il ne devra point la frustrer de sa nourriture, de son habillement et du droit conjugal » (on apprend ainsi que nourriture, habillement et rapport sexuel sont des droits). Verset 11, « Et s'il ne procède pas à son égard de l'une de ces trois manières, elle se retirera gratuitement, sans rançon. » De même verset 26, « Si un homme blesse l’œil de son esclave ou de sa servante et lui en ôte l'usage, il le renverra libre à cause de son œil. » De même pour une dent. Verset 12, le meurtre est puni de mort : « celui qui frappe un homme et le tue doit mourir » (de mort il mourra) mais s'il ne l'a pas piégé et que seul le Divin (Elohim), autrement dit le hasard, lui a fait commettre cet acte (lui a mis cet acte en mains) il y aura un lieu où il pourra se réfugier (pour échapper à la vengeance). Mais s'il a prémédité le meurtre, fût-il réfugié près de l'autel, il faudra le prendre de là pour l’exécuter (verset 14).
Plusieurs arrêts de mort sont en fait des constats ontologiques. Ainsi (verset 17), « Celui qui maudit son père ou sa mère, de mort il mourra » on peut l'entendre comme : il est déjà dans la mort, et l’on pose que c’est cette mort où il est déjà qui le tuera. L'expérience confirme ce constat : celui qui traîne avec lui une haine pour ses parents est marqué de mort, et installé dans le morbide.
Toutes les lois donnent lieu à interprétation. Par exemple (verset 28), « Si un bœuf heurte un homme et une femme et qu'ils en meurent, ce bœuf doit être lapidé et on ne mangera pas de sa chair. » Autrement dit, s'il a provoqué la mort, il est marqué de mort, fût-il un animal. Il faut donc mettre en acte cette mort dont il est porteur ; il faut l'évacuer ; et si le propriétaire a été souvent prévenu de la violence de sa bête et n'a rien fait, lui aussi est passible de mort. (De fait lui aussi est un peu déjà dans la mort parce qu'il sait qu'un objet mortel qui lui appartient est en liberté par sa faute). Or le verset rajoute : « Si une amende lui est imposée, il payera la rançon de sa vie selon ce qu'on lui aura demandé. » Autrement dit, il est possible de commuer des peines de mort méritées en rançon, en rachat. D'ailleurs le mot utilisé, kofér, est de la même racine que kapara, expiation, qui signifie aussi recouvrement, protection. (C'est par exemple le goudron qui devait envelopper l'Arche de Noé pour la protéger des eaux.) L'autre mot utilisé dans ce verset 30, « Il donnera le rachat de sa vie » , c’est pidione, le même mot qu'on utilise pour le rachat de l'aîné qui en principe appartient au Divin.
C'est cette idée de rachat qui nuance grandement la fameuse loi du talion, laquelle est bizarrement introduite (verset 22) : « Si des hommes ayant une rixe, et si l'un d'eux heurte une femme enceinte et la fait avorter sans autre malheur, il sera condamné à l'amende que lui fera infliger l'époux de cette femme, et il la paiera selon les experts. Mais si un malheur s'ensuit (si la femme en meurt alors que sa mort n'était pas un meurtre prémédité), il faudra poser « vie pour vie », c'est-à-dire l'équivalent d'une vie. De même pour un œil, une dent, etc. Il est clair qu'il s'agit bien d'équivalent, sinon la loi elle-même serait entièrement prise dans la vengeance. Ce dont le texte a horreur c'est du désir de tuer, du meurtre prémédité, de la mort donnée sciemment. Mais on peut élargir le sens de cette mort : aujourd'hui, on parle avec admiration de gens qui ont « vraiment » réussi : « c’est des tueurs » ; bien sûr il n'en tué personne, mais ils ont beaucoup « déblayé » sur leur passage.
Il y a toujours du danger de mort, et c'est l'idée d'équivalence qui prévaut. Mais quel est l'équivalent d'une vie ? Y a-t-il un équivalent fixe pour toute vie perdue par accident ? ou l'équivalent est-il variable ? On peut penser que c'est aux juges d’interpréter dans chaque situation. C'est le cas aujourd'hui pour les accidents mortels : les assurances négocient la somme.
Autre exemple, (22,1) : « Si un voleur est pris par effraction, si on le frappe et qu'il meurt, son sang ne sera point vengé ». Verset 2 :« Si le soleil a éclairé son délit, son sang sera vengé. » Autrement dit, on fait la part de la peur qu'a éprouvée la personne volée de nuit par effraction et qui, en ripostant, a donné la mort. Mais si en ripostant le jour, elle tue le voleur, elle est coupable. On sait que le cas s'est présenté récemment suite à un braquage de bijouterie : le propriétaire a tiré sur le voleur en fuite et l'a tué. On a pu entendre une certaine houle de l'opinion relayée par les médias donnant raison au bijoutier, comme si la protection nécessaire de telle corporation faisait loi. Il est vrai que le bijoutier peut avoir tiré pour arrêter le voleur et non pour le tuer. Donc le meurtre n'est pas forcément prémédité, mais c’en est un. L'intention non meurtrière n'efface pas le caractère meurtrier de l'acte.
Suivent des lois d'ordre éthique comme (22,20) : « Ne pas contrister l'étranger ni le molester » (il y aura des formes plus fortes ultérieurement : « Tu aimeras l'étranger » ; en tant que tel.) Cela ne signifie pas s'incliner devant l'étranger ou lui permettre de changer les lois du pays pour imposer la sienne. Le respect ou l'amour de l'étranger suppose que le statut d'étranger n'est pas inférieur et ne doit pas l'être ; il n'a donc pas à être effacé comme tel sous prétexte d'assimilation. ; comme si le seul modèle valable était celui des citoyens autochtones et que le destin de l'étranger était de leur ressembler. Ce qui revient à faire disparaître l'idée même d'étranger, à effacer ce mot comme s'il était méprisable, alors que justement il est respectable.
Dans le même sillage éthique il y a (23,3) : « Ne glorifie pas le pauvre dans sa querelle. » En somme, s'il a besoin de justice, ne la remplace pas par tes bons sentiments ; tu le rendrais dépendant de leur fluctuation, dépendant de ton caprice. S'il a besoin de justice et de loi, car lui aussi peut avoir transgressé, ne les remplace pas par ta belle-âme. Et c'est souligné au verset 6 : « Ne fait pas fléchir le droit de ton prochain indigent s'il a un procès. » Ne pas infléchirent le jugement, ni dans un sens, ni dans l'autre ; s'efforcer d'être simplement juste. Et bien sûr (verset 8), « N'accepte pas de présent corrupteur, car la corruption trouble la vue des clairvoyants et fausse la parole des justes ». On peut être juste et clairvoyant mais ce n'est pas une essence, c'est un mode d'être qui peut être dévié, perturbé par l'afflux de cadeaux qui créent un lien d'amitié avec ceux qui transgressent. On mesure la modernité d'une telle loi. Et elle comporte déjà une promesse : « Car je n’absoudrai point le méchant » (le mal-faisant). Si un mal est fait et que la corruption le recouvre, une promesse est formulée : il y aura une justice venant de l’Être, du Divin. Il ne sera pas dit que ce méfait et son auteur auront le dernier mot.
Puis, c'est le rappel du Shabbat, c'est-à-dire du jour de l'arrêt, arrêt du travail pour toi, tes employés, tes bêtes ; pour l'étranger aussi ; puis arrêt plus profond pour la terre pendant toute la septième année. Et l'on pose déjà qu'il y aura trois visites (de la face divine, c'est-à-dire du temple), trois moments à fêter chaque année : la Pâque, le mois de la germination et la fête de la moisson. Ce n'est pas encore précisé ici qu'il s'agit de Shavouot et Soukkot. Mais ce qui est dit, c'est qu'on ne vient pas rencontrer le Divin les mains vides ; il y a pour ainsi dire obligation d'avoir de quoi honorer la rencontre avec le lieu saint, ou plutôt le lieu où le Nom du Divin est appelé. (Car un lieu n'est saint que par l'inscription en lui de cet appel, et cette inscription renvoie à la pratique des rencontres qui s'y font et à ce qu'elles valent.)
Le texte se conclut par la promesse qu'un messager divin accompagnera les Hébreux dans leur conquête de la Terre Promise et une demande précise de ne pas cohabiter avec les peuples idolâtres qui sont nommés (qui ont disparu depuis, le peuple des Philistins ne figure pas dans la liste), car ils sont idolâtres et ils peuvent rendre idolâtres les Hébreux, par la séduction ; (23,32), :ne fais pas d'alliance, ni avec eux ni avec leurs divinités.
Moïse énonce toutes ces paroles au peuple qui répond : « Nous les accomplirons. » Alors a lieu un rituel d'alliance, alliance de sang : (24,4), Moïse écrit les paroles de YHVH, le lendemain, de bonne heure, il érige un autel au pied de la montagne et douze stèles selon le nombre des tribus d'Israël. Il charge les jeunes gens d'offrir des holocaustes, des taureaux. Il prend la moitié du sang, la met dans des bassins, répand l'autre moitié sur l'autel. Puis (v.7) il prend le livre de l'Alliance, il en donne lecture au peuple , qui répond : « Tout ce que YHVH a dit nous le ferons et nous l'écouterons » ; on remarquera la préséance du « faire » par rapport à l'écoute. Le « faire » relève de l'acte et de l'instant ; l'écoute peut s'approfondir au fil du temps, comme l'interprétation. Ensuite, Moïse prend le sang qu'il avait mis dans les bassins et il le verse sur le peuple en disant : « Voici le sang de l'alliance que YHVH a conclu (tranché) avec vous pour toutes ces paroles. » On ne saurait mieux signifier que l'Alliance est un partage de vie sous le signe de l'offrande.
Puis Moïse, Aaron et ses deux fils Nadab et Abihu ainsi que soixante-dix anciens d'Israël gravissent la montagne et contemplent le Dieu d'Israël : « Sous ses pieds, quelque chose de semblable au brillant du saphir, et de limpide comme la substance du ciel. » Et ils ont pu contempler le Divin sans qu'il sévisse contre eux ; ils ont mangé et bu. Puis Moïse est appelé à monter seul (il y a donc une autre ascension) pour recevoir les Tables de la Loi écrites de main divine ; c'est là qu'il restera quarante jours, pendant lesquels il recevra d'autres lois, et au terme desquels il descendra découvrir l'horreur : le peuple livré au culte du Veau d'or.
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