Le 12 février 2014, Julia Kristeva, invitée à parler à mon séminaire de Psychanalyse éthique (Dictionnaire vivant), à parler de ce qu'elle voulait, autour de certains mots comme naissance, psychanalyse, pulsion de vie et de mort, etc., a rappelé les mythes freudiens de la scène primitive et du meurtre du père de la horde. Puis elle a centré son propos sur une sorte de thèse : il y a un homo-érotisme fondamental et premier, fondé sur l'amour du semblable; et l'humanité a mis « très longtemps » à accéder à l'hétéro-érotisme, à l'érotisme entre un homme et une femme. J'ai posé la question : pendant que l’humanité s'adonnait à l'homo-érotisme, et qu'elle s'avançait durant des siècles, voire des millénaires vers l'hétéro-érotisme, que faisait-elle sinon se reproduire par des rapports sexuels « hétéros » ? Réponse : oui, ça copulait, ça baisait, mais sans érotisme. Nouvelle question alors, restée sans réponse : comment le savez-vous ? Comment sait-on que lorsque les hommes et les femmes copulaient et se reproduisaient sur un mode instinctif, non élaboré par une « longue évolution », ils ne jouissaient pas ? Ils ne se léchaient pas, ne se caressaient pas, n'avaient pas de zones érogènes ? n'avaient pas de « véritable » érotisme de la différence sexuelle ?...
On peut comprendre la passion qu'avait Freud de déduire l'histoire de l'humanité, sous forme de mythes, à partir de l'histoire des patients et de leurs fantasmes. J'ai défini le mythe comme un fantasme célébré par un grand nombre de personnes. Et les mythes freudiens sont des fantasmes repérés ou vécus par lui, puis célébrés par l'ensemble de ses disciples et de leurs descendants. Pourquoi pas ? De là à prendre ces choses pour des repères incontournables, il y a un pas qu'on n'est pas obligé de faire. J'ajoute que la clinique, malgré certaines hypothèses de Ferenczi, ne révèle pas vraiment une primauté de l'homo-érotisme chez le tout petit masculin. Le temps qu'il découvre son « semblable » en étant avec d’autres petits garçons, son lien « érotique » à sa mère s'est déjà fortement inscrit. Nous apprenons aussi, par la clinique, bien d'autres choses sur la genèse de l'homosexualité, masculine ou féminine ; mais peu importe ici.
Il semble que cette "thèse" de Kristeva était plutôt destinée à conforter son adhésion à la loi du mariage homo. Mais cette loi avait-elle besoin d'un argument supplémentaire aussi douteux? Le "débat" qui l'a précédée a déjà été faussé par la confusion entre différence sexuelle et égalité des sexes; différence des couples et égalité des couples; signifiants transmissifs (comme père, mère, mari-femme) et mots quelconques qui changent de sens avec le temps, etc. J'ai abordé ces questions dans des textes antérieurs1 et je n'y reviens pas. D'où vient donc cette promotion soudaine d'un homo-érotisme « premier », fondé sur l'amour du semblable, si on laisse de côté l'opportunisme politique ? (Encore qu’être l’égérie d’une « mouvance » de l’homosexualité « fondatrice » soit tentant, dans un pays où la peur est grande de passer pour homophobe2.
Cet homo-érotisme « premier » apparaît comme une résurgence insistante de l'optique chrétienne, souvent revendiquée par Krist-éva (quand elle décline ainsi son nom, comme ce fut le cas) ; optique qui appelle à aimer son semblable comme soi-même. Cet amour narcissique inclut aussi l'identification au Christ (avec un problème au passage pour les femmes, qui certes se résout mais qui n'est pas évident). C'est bien sûr une distorsion de la vieille phrase biblique : tu aimeras pour ton prochain comme (pour) toi-même. Ce qui est tout autre chose : il y a toi, ton prochain (plutôt que ton semblable), et il y a l'événement qui arrive, dont tu ne dois pas garder pour toi le meilleur, en poussant le pire vers l’autre. Dans cette scène à trois (et même à quatre si l'on ajoute l’être au "regard" duquel cela se passe), il s'agit de te mettre à la place du prochain par la pensée, tout en gardant la tienne. Il est donc question de partage (partage de soi, et partage avec l'autre), plutôt que d'identification.
Pour le reste, la transmission symbolique, dans certaines traditions, témoigne d'une homosexualité entre maître et disciple ; mais elle est construite et sublimée, plutôt que première ou originelle.
Quant à parler de l'homosexualité plus ou moins refoulé ce qui existe chez la plupart, qui se sont structurés à travers ce refoulement, elle semble être une des deux alternatives que le sujet a écartée, plutôt qu’une donnée initiale ou fondatrice. (On a souvent confondu la crainte du sujet de voir craquer ce refoulement, avec la peur - la "phobie" - qu'il aurait de l'autre-homosexuel. Et l'on a traité beaucoup de gens d'homophobes, alors qu'ils ont une peur légitime de leur homosexualité refoulée, et non une peur, encore moins une haine envers les homosexuels.)
Ajoutons que c'est sur la base de l'homo-érotisme, dans son implication biologique, que des couples homosexuels veulent fonder famille en exigeant que ce soit avec leurs gamètes, pour que la filiation soit "réelle", puisqu’en tant qu'homosexuels ils ne peuvent pas en principe engendrer, mais que grâce à la technique ils le pourront, en réduisant l'autre-sexe, c’est-à-dire à l’autre de la différence sexuelle, à un sperme, un ovocyte ou un ventre. (L'État était prêt à faire passer une loi pour rendre la chose possible ; mais apeuré par la pression des adversaires, il a retiré le projet. Tout comme, apeuré par la pression du taxis, il a sanctionné les voitures avec chauffeur, en attendant la prochaine pression.
Dans son texte, Kristeva part de l'idée freudienne bien connue qu'on est tous bisexuels ; chacun, à un certain carrefour de sa vie, fait un choix d'objet qui le détermine; et la plupart font le choix du sexe opposé, tout en gardant des traces homosexuelles refoulées ; certains, beaucoup plus rares, font le choix du même sexe ; d'autres ne choisissent pas, avec des intensités variables, etc. Mais comme pour mettre une marque originale sur cette idée trop banale, elle pose que nous sommes tous d'abord homosexuels. On se demande ce qui s'est passé depuis Freud pour justifier ce coup de force théorique. Certes, on peut contrôler les naissances, et couple stérile peut recourir à un don de gamètes ou d'embryon3. Mais Kristeva veut grossir les signes de "bouleversement" : « Mutation de la filiation imposée par l'essor des sciences et des techniques ». Or la science n'a rien "imposé", elle a seulement permis aux couples stériles de procréer. De là à considérer un couple de femmes ou d'hommes comme un couple stérile, il y a un passage discutable, où la science, en principe, ne fait pas de pression. Elle permet à ces couples homos de faire l'économie du geste impensable par eux, ou trop affreux : copuler avec l'autre sexe (faire l'amour, comme on dit) pour avoir un enfant. Elle le permet si la loi le lui demande ; sinon, ces couples s'arrangent toujours, vu que la terre est vaste, pour réaliser leurs désirs.
L'auteur ajoute : « la maitrise de la fertilité féminine conduit nécessairement (...) au contrôle des naissances, à la PMA, la GPA, la congélation des embryons et des ovules, et ce n'est pas fini ». On semble ainsi accumuler des nouveautés alors que toutes se ramènent à la PMA pour des couples handicapés. D'où ce coup de tambour : « Impossible de freiner ou d'empêcher les révolutions qui se jouent dans des laboratoires sans frontières. » Et on glisse de « la famille décomposée, recomposée, monoparentale » (autrement dit des gens qui divorcent, se remarient ou vivent seuls avec leurs enfants) à « la famille maintenant gay ». Il y a des gens qui divorcent, il y en a qui se remarient ou qui vivent seuls avec leurs enfants, il y a des couples homos. Cette révélation devient "la famille (est) maintenant gay", donc des familles homos parentales, sans doute pour nous "forcer" à poser les grandes questions : " Sait-on ce qui se joue quand on se dit parent ?" Sur ce grave problème, beaucoup de familles vont sécher. Du reste, faut-il absolument tout en savoir ?
Ici, un mot sur le style du texte; étonnant, car beaucoup de mots sont conceptualisés, et lorsqu'ils s'entrechoquent, c'est toute la pensée qui s'effrite car ils s'encombrent et se contredisent. Les mots du langage courant ont le droit de s'entrechoquer, c'est ce qui anime la phrase, mais quand ce sont des concepts, c'est le sens qui vacille et devient inconsistant. Par exemple, le tiers devient ici la tiercité, le désir devient la désirance, l'univers même, comme s'il n'était pas assez varié, devient le plurivers ; l'origine devient l'origyne, psychisation du génital pour dire que le génital a sa dimension psychique.
Le tout recouvre une pensée contradictoire; par exemple, l'effort pour renforcer l'aspect "premier" de l'homo-érotisme fait dire que c'est cet aspect qui donne consistance à la société. Du coup, on en déduit que l'humanité est née d'emblée sociale puisque cet aspect est premier. Mais cela ne n'explique pas la genèse des sociétés, puisqu'on la suppose première. Si l'on veut nous faire comprendre l'histoire de l'humanité et son évolution, c'est un peu raté, si ce qu'on démontre est posé au départ, et posé pour pouvoir le démontré.
En fait, on nous propose de "remonter le temps de l'espèce humaine", sans autre nouveauté que celle du mythe freudien enrichi de la PMA, et de l'apport ethnologique où on pose implicitement que si une situation existe, c'est qu'elle peut servir de modèle.
Kristeva entérine d'emblée deux camps opposés, qu'elle appelle les anciens et les modernes ; les premiers étant ceux qui tiennent à une transmission symbolique liée à la différence sexuelle fécondante; les autres seraient ceux qui promeuvent l'homosexualité fondatrice ; négligeant l'entre-deux primordial de la parentalité : un homme et une femme donnent naissance à un enfant ; masculin et féminin s'entremêlent pour transmettre du vivant symbolisable grâce à cette transmission.
Après quoi, elle lit l'histoire passée à la lumière de l'histoire présente et de la lecture qu'elle en fait) qui repose sur l'existence d'une « mutation de la filiation imposée par l'essor des sciences et des techniques ».
Dire que l'hétérosexualité est une psychisation de la génitalité et de la différence sexuelle, c'est dire "qu'avant", ils copulaient, sans psychisme, comme des écervelés. On ne sait pas exactement vers quelle date intervient la psychisation. On aurait cru qu'elle était intrinsèque à l'humain, qu'elle évoluait et se complexifiait. Mais non, il y a "psychisation" quand le mythe freudien est célébré : le Père se réservait se réservait les femmes, les fils le tuent, la culpabilité les amène à instaurer la loi. Le mythe vaut ce qu'il vaut mais dans la version relookée, c'est "parce que les frères frustrés (de quoi ? de rapports sexuels hétéro ?) tuent le père de la horde" que se produit un moment capital, un déplacement de " la désirance du mâle géniteur en attraction-séduction adressée à l'autre soi-même, mon frère, mon semblable". Reste à expliquer pourquoi, frustrés de femmes par le père, ai point de le tuer, ils se retrouvent soudain homo; la frustration du désir pour les femmes s'évanouit par miracle une fois l'obstacle disparu. Au lieu de se jeter sur les femmes séquestrées par le père, ils se jettent les uns sur les autres et se découvrent semblables sur un mode qui les érotise. Ainsi le veut l'homosexualité fondatrice. Kristeva tient à donner des preuves de plus : « Jésus rejoint son père » (l'Évangile ne dit pas qu'il le rejoint au lit ; mais pour elle c'est une preuve de l'homosexualité). Et les fidèles consomment le Père dans l'eucharistie (le fait qu'ils consomment le pain et le vin symboles du corps et du sang de Jésus c'est-à-dire de son sacrifice et donc directement assimilé à un acte homosexuel. Mais qu'en est-il pour les femmes ?)
Elle tient à la caution des religions pour cette homo érotisme : les monothéismes « retiennent et célèbrent cet homo érotisme : Abraham est dans un rapport homo érotique à Isaac parce qu'il ne l'a pas "consumé" ».
L'illogisme se poursuit: l'homo-érotisme des frères « parvient à triompher sur le désir du père» ; sur le désir du père pour les femmes, et sur leur désir à eux pour le père.
Est aussi convoqué Levi Strauss parce qu'il a découvert "une logique fondamentale des sociétés matri-linéaires et patri-linéaires: les hommes échangent des femmes". En fait cela signifie qu'ils font des alliances autours de cet acte majeur qui est de donner sa fille en mariage au futur allié ou pour celui-ci de prendre femme chez l'autre qu'il veut s'allier. Coutume qui s'est prolongée tardivement (Napoléon épouse la princesse d'Autriche pour calmer le jeu avec ce pays mais sans grand succès). L'idée "d'échange" des femmes laisse supposer qu'elles sont des objets de valeur utilisés par les hommes. (Le fait qu'elles soient symboles de valeur maximale ne prouve pas qu'elles soient forcément instrumentées, mais bon.) L'échange prétendu essaye de dériver une part d'amour (celle qui se joue entre un homme et une femme) vers "l'amour" qui doit tendre la trame sociale. (Amour au sens minimal : désir de rapprochement, de lien ; cela n'implique ni l'affect passionné ni une pulsion sexuelle vorace.)
On a ainsi des frères dont chacun se constitue "en lui-même", et part alors chercher une femme. La fable continue: ils ont intériorisé les interdits du père mort notamment l'interdit de l'inceste. De quoi parle-t-on donc, des humains concrets tels que nous les observons ou bien de la préhistoire lointaine de l'humanité ? Car si l'on part de ce qui est observé, l'adolescent ou le jeune homme qui part à la recherche d'une femme a intégré en principe l'interdit de l'inceste qui marque précisément son désir érotique premier pour la mère; faute de quoi cet interdit n'aurait pas de sens. Mais on tient à nous mettre comme désir premier l'homo-érotisme en exploitant des remarques latérales de Freud qui dit que l'homosexualité constitue "la contribution de l'érotisme à l'amitié, la camaraderie, l'esprit de corps, l'amour de l'humain en général". Remarque plutôt banale pour dire que les groupes d'hommes subliment comme ils peuvent la part homosexuelle refoulée dans chacun ; part que, encore une fois, il n'y a pas à nier, sinon dans son caractère premier et fondateur.
La clinique montre que lorsqu'un homme fait un choix homosexuel c'est très souvent faute d'une transmission par le père du symbole phallique ; outre les cas où le garçon a été plus violemment révolté contre le père parce qu'il aurait "abusé" de la mère. Pour les femmes le plus souvent le choix homosexuel témoigne d'une séparation impossible d'avec la mère. Dans tous les cas il s'agit de "choix" qui s'opèrent dans le cadre du triangle familial, et qui sans doute privilégie une composante homosexuelle déjà présente ; mais qui, dans les autres cas se retrouve refoulée.
Le petit délire théorique se poursuit: "la famille n'a pas d'autre choix que de dénier la génitalité". La preuve: "l'église condamnait la concupiscence". Est-ce à dire qu'il n'y a pas de pulsions et de concupiscence dans l'homosexualité ? On sait en outre que cette malédiction sur la chaire lancée par Paul n'est nullement présente dans d'autres identités ou religions. Il ne faut pas confondre la jouissance légitime des corps avec le fait de détruire la loi lorsqu'on est mû par la pulsion (auquel cas cette forme de narcissisme s'appelle idolâtrie dans la Bible).
"Il a fallu des millénaires pour que la famille comme alliance entre deux personnes de sexe différent puisse être pensée et revendiquée". En fait, elle ne cesse d'être pensée et repensée ; revendiquée ou non, ce qui est sûr c'est que son noyau est hétéro-érotique, même s'il s'agit d'un mariage arrangé ou d'une "alliance" d'intérêts. (Et de quels millénaires nous parle-t-on ? Paléolithique ? Néolithique? Il y avait déjà des familles...) Quant à mettre sur le même plan le Cantique des cantiques, la littérature courtoise, l'amour platonicien, la littérature de "l'occident chrétien amoureux, libertin, moderne et post-moderne" il y a un certain abus. Le texte du Cantique est érotique d'un bout à l'autre et on n'y voit bizarrement aucune trace d'homo-érotisme. (Alors que la Bible ne se gêne pas pour parler d'onanisme, d'inceste, d'attirance homosexuelle. Voir David et Jonathan.) Et il fallait sans doute cette différence érotisée à l'extrême pour qu'une tradition mystique en fasse le support d'un lien charnel entre l'humain et le divin.
Autre confusion: Sarah la stérile tardivement fécondée et la Vierge pour nous signifier que le rôle de la mère est reconnu mais sous la protection du déni du sexuel. Or si le sexuel est dénié ou sublimé avec la Vierge il ne semble pas l'être dans le montage hébreu. Qui parle explicitement de jouissance charnelle.
Le couple hétérosexuel marié est ramené par Kristeva aux films américains (soap opéraet soap opéra) qui nous "impose ce modèle jusqu'à la nausée". Ne suffit-il pas tout simplement de ne pas trop voir de soap opéra ? D'après mes observations, quand un homme s'envisage avec une femme pour la séduire ou être avec elle en tant que femme, le schéma papa-maman n'est pas très présent. Comme si l'homme, et d'ailleurs la femme aussi, voulaient mener cette affaire-là à partir d'eux-mêmes, sans modèle. Quitte à ce que par la suite des répétitions apparaissent, mais bon.
Freud peut bien dire que "l'amour homosexuel se concilie beaucoup mieux avec les liaisons de masse" et ajouter que " nos sentiments sociaux sont aussi de nature homosexuelle (ajoutons: c'est la femme qui rend l'homme asocial)", il faut croire que depuis toujours et jusqu'à maintenant, l'homme a besoin de cette asocialité de l'autre sexe pour accepter le social. Il se peut même que ces dualités asociales constituent ce que j'appelle un entre-deux à savoir que c'est dans l'asocial provenant de la femme que se trouve le coeur même du social, à savoir la reproduction via le noyau familial et sous le signe du rapport sexuel, reproduction parcellaire de la société.
Une autre preuve "solide" de l'homo-érotisme premier c'est que lorsqu'autrefois ou même aujourd'hui un homme prend femme il prend la soeur ou la fille d'un autre homme; donc il est lié d'abord homosexuellement à cet autre homme. C'est là une preuve sans doute solide mais peu convaincante.
Autre confusion: Sarah la stérile tardivement fécondée et la Vierge pour nous signifier que le rôle de la mère est reconnu mais sous la protection du déni du sexuel. Hors si le sexuel est dénié ou sublimé avec la Vierge il ne semble pas l'être dans le montage hébreu. Qui parle explicitement de jouissance charnelle.
Elle dit que les exigences des couples homosexuels et les recours aux artifices procréatifs... dévoilent la fragilité du lien hétérosexuel. On se demande ce qui, dans l'être humain, n'est pas fragile, mais en effet il se peut que l'exigence des couples homosexuels liée à la technique mette en acte le fantasme "d'auto-engendrement"; et ça ce n'est pas fragile, puisqu'à la clef il y a un mensonge: le recours à l'autre sexe est caché et l'autre sexe est réduit à ses gamètes ou à un organe.
Comme je l'ai montré ce n'est pas tant le mariage qui est en cause, encore que c'est le changement de sens de mots identifiants et transmissifs comme père, mère, mari et femme. Et ce sous le règne de la commodité. Alors qu'on pouvait fournir toutes les commodités aux couples homos qui étaient privés de droits.
L'impression est que la plupart des raisonnements sont compromis par le fait que leur but est connu d'avance, et que leur trajet s'infléchit ou rebondit pour atteindre ce but.
On entend parfois de vagues échos de vérité : "l'hétérosexualité est une transgression des identités... qui procède de l'angoisse et du désir à mort porté par la promesse de vie à travers la mort". Disons simplement: porté par un désir de transmission donc un désir inconscient qui essaye de mettre en jeu comme il peut certaines parts de conscience.
En fait c'est un discours habité par une mort qui n'arrive pas à se dire comme telle, mais qui est très prégnante. En témoigne même l'idée que dans le rapport sexuel "le plaisir récompense la castration, prenant forme dans la conception probable d'un être nouveau, étranger et éphémère". Ceux qui conçoivent un être nouveau au fil de leur rapport sexuel ne le voient pratiquement jamais comme étranger et éphémère sauf s'il nait lourdement handicapé ; même s'il n'est handicapé, après le coup dur porté au narcissisme, son étrangèreté devient familière. L'unheimlich qu'incarne le nourrisson et le tout petit est, sauf exceptions, joyeux ; contrairement à l'unheimlichfreudien. Il réveille chez chacun des parents des sensations et des idées qui semblent après coup avoir été là en attente d'être précisément éveillées par l'autre en tant qu'il est absolument familier bien qu'étranger. Cela se produit aussi dans les relations amoureuses qu'elles soient ou non hétéros.
Elle avoue elle même que ceux qui ont approuvé le mariage gay ont reconnu leur homosexualité refoulée. Mais dans ce cas n'ont-ils pas pris une revanche sournoise sur elle en permettant qu'elle fasse loi alors qu'eux-mêmes continuent de la refouler ? En fait nous avons montré que la lâcheté de leur silence avait d'autres sources.
L'hétérosexualité est essentielle y compris grâce au fait qu'elle est problématique. À croire que l'humanité a besoin de ce problème insoluble pour se perpétuer. L'homosexualité est moins problématique (encore que les couples homo, eux aussi, ont droit à avoir des problèmes), mais ce qui peut faire sa force, c'est qu'elle courcircuite l'épreuve de la différence radicale (sexuelle homme-femme) et qu'aujourd'hui elle peut revendiquer d'instrumenter la procréation - ce que des théoriciens appellent "obéir" à la pression scientifique et technique. La science et la technique n'ont jamais fait de telles pressions, elles aident des couples infertiles à se soigner. Celle-ci prétend se démentir grâce à la technique mais la GPA n'est pas une technique, elle est un recours qui a toujours existé mais que la loi prétendra légitimer sous la pression. Et l'on sait que cet état va dans le sens de ce qui le presse le plus, c'est sans doute pour cela qu'il ne va nulle part.
"La famille n'est plus la même: décomposée, recomposée, monoparentale, maintenant gay." Il y a une hystérisation du problème alors que cela veut dire tout simplement qu'il y a des familles, des gens qui divorcent, se remarient ou vivent seuls et que des homos peuvent vivre en couple.
1 Voir mon blog
2 Hier encore, j'ai vu à la télé un journaliste questionner l’auteur d’un roman : « Vous êtes très critique envers la GPA - Ce n'est pas moi, c'est le narrateur, il dit « je » mais « je » est un autre - Et vous alors, que pensez-vous de la gestation pour autrui ? - Je n'ai pas à vous répondre là-dessus - Vous vous défilez donc… »
3 Le pourcentage de ces couples est infirme par rapport à la masse des couples qui procréent sans aide médicale. Il suffit d'appeler « le mariage pour tous et la filiation ». Pour d'autres textes sur la PMA voir mon livre Entre dire et faire penser la technique ; et des articles dans Evénements I, II, III. Le point de vue de J. Kristeva est exposé dans son blog sous le titre : Métamorphoses de la parenté
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