Quoi de plus singulier que cette coutume, certes millénaire, de manger du pain azyme pendant sept jours et de faire deux soirées pour raconter que nos ancêtres hébreux (et non gaulois) sont sortis d'Égypte où ils étaient esclaves ? et pour, comme eux, manger de l'agneau, eux qui en ont sacrifié un pour être sauvés. On mange aussi des herbes amères (en fait, de la bonne salade romaine) pour se rappeler leur amertume, etc. Tout cela en lisant, deux soirs de suite, un texte qui raconte, non pas cette sortie (fort bien narrée dans la Bible), mais comment des rabbins d'autrefois discutaient de cette sortie.
(Le christianisme aussi fête la Pâque, pour commémorer la mort de Jésus et sa résurrection ; et comme Jésus est supposé s'être sacrifié pour sauver tous les hommes de leurs péchés, et que sa résurrection est la preuve de son caractère divin, cela sonne plus universel, du moins pour ceux qui y croient, et qui par cette croyance sont « sauvés »)
Les juifs qui célèbrent la Pâque (Pessah), pensent moins à leurs ancêtres sortis d'Égypte, qu’à la manière dont cette sortie marque l'origine de leur peuple, son point de départ, réel ou mythique (sans doute les deux). Des gestes sont faits pour se la rappeler, à croire que ses composantes sont toujours actuelles : de quelle servitude êtes-vous sortis cette année ? oui, celle qui vient de s'écouler depuis la Paque précédente. C’est que l'origine se décline dans sa transmission, d'une année sur l'autre, depuis des millénaires, à même l’existence de ce peuple.
Déjà cette leçon de globale n'est pas mince : c'est en sortant de l'esclavage qu'il s'est constitué comme peuple, libre et conquérant ; tout comme il y a moins d'un siècle, c'est en s'arrachant à la haine et à l'extermination qu'il s'est constitué un État souverain. Bien sûr, les risques d'esclavage et d'extermination sont toujours là, et le désir d'y échapper aussi, désir rappelé d'une année sur l'autre.
En somme, le vrai miracle de la Pâque, c'est sa transmission sous forme de récit, de questionnement, de gestes physiques qui rappellent des points d'ancrage, moins dans le temps chronologique que dans la trame de l'existence.
Donc, un peuple célèbre sa sortie de l'esclavage, et il est le "premier" à le faire. Il n'est pas dit que tous les peuples soient sortis de l'esclavage, il est probable qu'ils y sont tous, y compris le peuple juif, sous une forme ou une autre. On célèbre cette sortie « initiale » pour stimuler des sorties plus actuelles.
Et la métaphore mise en jeu est assez vaste et complexe ; elle évoque le sacrifice nécessaire pour sauver les premiers nés, donc pour se sauver en tant qu’on est soi-même un « premier né » ; c'est le cas, puisque chacun est unique.
Elle fait aussi émerger plusieurs idées :
1) L’esclavage de ce que-l’on-est exige qu’on se libère; ou du moins qu’on y pense ; ce qui implique un premier pas, souvent ardu; en attendant, on célèbre l'idée de "sortie" (celle de l'Egypte sert de pré-texte) ; le « texte » c'est (d’inscrire l’acte) de sortir un peu de ce qu'on est, à quoi l’on est très clairement asservi.
2) On se réjouit d'échapper à l'effacement que comportent ces deux épreuves : la servitude, même inconsciente en grande partie ; et la rupture du lien, c'est-à-dire l'absence de loi et de transmission.
3) On assume le mélange de misère et d'opulence (pain pauvre et agneau) avec des "herbes amères" qui peuvent rappeler à chacun l'amertume de ce-qu'il-est; le tout sous le signe d'un autre mélange, plus détonnant: la liberté et la loi.
Le sacrifice pour racheter le fait qu'on est « ainé » (qu’on était né), qu’on est sous le signe du commencement, est une idée assez claire : le sujet qui « commence » à vivre quelque chose, est exposé ; en tant que premier, à vivre cette part de sa vie; il lui faut "racheter" le risque ou même la perte en la déplaçant sur autre chose, par exemple sur l'animal. Que le premier soit en danger, chacun le sait; « le premier qui dit la vérité risque d'être exécuté », dit le poète. Ajoutons que ce peuple, qui se pose comme aîné, de par son acte fondateur, est exposé lui aussi; l'histoire ne l’a pas démenti. L’effet premier crée pour tout un chacun l’angoisse du commencement, voire de la création. (Cette angoisse a dû poser problème à beaucoup de gens frustes, qui n’ont pas eu de quoi la symboliser : ainsi, dans l’Europe chrétienne, jusqu'au XXème siècle, on a accusé les Juifs de faire ce sacrifice de la Pâque sur les enfants chrétiens ; variante de l’accusation : ils ont sacrifié Jésus ; or ils ont sacrifié l’agneau ; mais on nomma Jésus « agneau mystique » pour maintenir l'accusation ; c'est tout récemment qu'on commence à admettre que ce sont les Romains qui ont tué Jésus)
La Pâque est une pantomime parlante qui a beau être "particulière", elle mobilise des repères communs à tous : servitude, liberté, loi, transfert du sacrifice le plus risqué, celui de l’humain. La Pâque est bien sûr liée à la scène Abraham-Isaac, où l'angoisse et la mort se dissipent au dernier moment, après qu’on les a subies. Par toutes ces pointes de l’existence, l’être humain rejoint l’être juif qui s’est chargé de les porter, ou de les symboliser ; il s'en est chargé, non pas pour « faire du bien » aux autres, mais pour soutenir son existence ; en quoi elle est singulièrement universelle. Elle va droit vers l'universel amour de la liberté, sans impliquer de croyance particulière, sinon la simple confiance dans l'infinie richesse de l’être et de la vie.
Certes, tous ces thèmes ne passent pas consciemment. Beaucoup font la Paque pour mémoire, pour "garder la tradition". Mais cette Passover passe à travers eux, et lance aux jeunes générations ses questions béantes, et sa charge symbolique.
Le "miracle" est un signe, un point de grâce, mais son récit qui se transmet, devient lui-même un miracle qui enrichit les signes de grâce, les points d'amour disponibles. Chaque année ceux qui évoquent la Pâque évoquent les précédentes, remontent le temps comme ils peuvent, jusqu'au premier récit, et non au premier acte, dont on ne garde que l'idée de départ, et l'appel à en faire une histoire, une "sortie". Faire (le récit de) la Pâque tient lieu de Sortie.
Ce qu'il y a à invoquer n'est qu'une invocation, un rappel de quelque chose dont il ne reste que cet appel, offert à ceux qui peuvent l'entendre. On convoque des intensités d'appels, des "souffles" qui" parcourent le monde", dont le jeu même est inconscient, et l’on se passe le désir que ce jeu soit favorable.
Ceux qui disent que cette Sortie n'a pas eu lieu "en réalité", sont aussi naïfs que ceux qui disent, à propos du Serpent qui a séduit Eve: " A-t-on vu un serpent parler?" Or ce serpent de la jalousie continue toujours de parler, en pleine réalité. Et la sortie, si on en parle, reste parlante pour quiconque a du mal à « sortir », à faire le pas, à marquer le saut de l'esclavage à l'être-libre; l'esclavage de ce-que-l'on-est, quoi que l'on soit. (Signifiant du saut: pessah, la Paque.)
On pose que ce-qui-est doit s'ouvrir sur l’être qui le porte et le dépasse.
09 avril 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Le 12 février 2014, Julia Kristeva, invitée à parler à mon séminaire de Psychanalyse éthique (Dictionnaire vivant), à parler de ce qu'elle voulait, autour de certains mots comme naissance, psychanalyse, pulsion de vie et de mort, etc., a rappelé les mythes freudiens de la scène primitive et du meurtre du père de la horde. Puis elle a centré son propos sur une sorte de thèse : il y a un homo-érotisme fondamental et premier, fondé sur l'amour du semblable; et l'humanité a mis « très longtemps » à accéder à l'hétéro-érotisme, à l'érotisme entre un homme et une femme. J'ai posé la question : pendant que l’humanité s'adonnait à l'homo-érotisme, et qu'elle s'avançait durant des siècles, voire des millénaires vers l'hétéro-érotisme, que faisait-elle sinon se reproduire par des rapports sexuels « hétéros » ? Réponse : oui, ça copulait, ça baisait, mais sans érotisme. Nouvelle question alors, restée sans réponse : comment le savez-vous ? Comment sait-on que lorsque les hommes et les femmes copulaient et se reproduisaient sur un mode instinctif, non élaboré par une « longue évolution », ils ne jouissaient pas ? Ils ne se léchaient pas, ne se caressaient pas, n'avaient pas de zones érogènes ? n'avaient pas de « véritable » érotisme de la différence sexuelle ?...
On peut comprendre la passion qu'avait Freud de déduire l'histoire de l'humanité, sous forme de mythes, à partir de l'histoire des patients et de leurs fantasmes. J'ai défini le mythe comme un fantasme célébré par un grand nombre de personnes. Et les mythes freudiens sont des fantasmes repérés ou vécus par lui, puis célébrés par l'ensemble de ses disciples et de leurs descendants. Pourquoi pas ? De là à prendre ces choses pour des repères incontournables, il y a un pas qu'on n'est pas obligé de faire. J'ajoute que la clinique, malgré certaines hypothèses de Ferenczi, ne révèle pas vraiment une primauté de l'homo-érotisme chez le tout petit masculin. Le temps qu'il découvre son « semblable » en étant avec d’autres petits garçons, son lien « érotique » à sa mère s'est déjà fortement inscrit. Nous apprenons aussi, par la clinique, bien d'autres choses sur la genèse de l'homosexualité, masculine ou féminine ; mais peu importe ici.
Il semble que cette "thèse" de Kristeva était plutôt destinée à conforter son adhésion à la loi du mariage homo. Mais cette loi avait-elle besoin d'un argument supplémentaire aussi douteux? Le "débat" qui l'a précédée a déjà été faussé par la confusion entre différence sexuelle et égalité des sexes; différence des couples et égalité des couples; signifiants transmissifs (comme père, mère, mari-femme) et mots quelconques qui changent de sens avec le temps, etc. J'ai abordé ces questions dans des textes antérieurs1 et je n'y reviens pas. D'où vient donc cette promotion soudaine d'un homo-érotisme « premier », fondé sur l'amour du semblable, si on laisse de côté l'opportunisme politique ? (Encore qu’être l’égérie d’une « mouvance » de l’homosexualité « fondatrice » soit tentant, dans un pays où la peur est grande de passer pour homophobe2.
Cet homo-érotisme « premier » apparaît comme une résurgence insistante de l'optique chrétienne, souvent revendiquée par Krist-éva (quand elle décline ainsi son nom, comme ce fut le cas) ; optique qui appelle à aimer son semblable comme soi-même. Cet amour narcissique inclut aussi l'identification au Christ (avec un problème au passage pour les femmes, qui certes se résout mais qui n'est pas évident). C'est bien sûr une distorsion de la vieille phrase biblique : tu aimeras pour ton prochain comme (pour) toi-même. Ce qui est tout autre chose : il y a toi, ton prochain (plutôt que ton semblable), et il y a l'événement qui arrive, dont tu ne dois pas garder pour toi le meilleur, en poussant le pire vers l’autre. Dans cette scène à trois (et même à quatre si l'on ajoute l’être au "regard" duquel cela se passe), il s'agit de te mettre à la place du prochain par la pensée, tout en gardant la tienne. Il est donc question de partage (partage de soi, et partage avec l'autre), plutôt que d'identification.
Pour le reste, la transmission symbolique, dans certaines traditions, témoigne d'une homosexualité entre maître et disciple ; mais elle est construite et sublimée, plutôt que première ou originelle.
Quant à parler de l'homosexualité plus ou moins refoulé ce qui existe chez la plupart, qui se sont structurés à travers ce refoulement, elle semble être une des deux alternatives que le sujet a écartée, plutôt qu’une donnée initiale ou fondatrice. (On a souvent confondu la crainte du sujet de voir craquer ce refoulement, avec la peur - la "phobie" - qu'il aurait de l'autre-homosexuel. Et l'on a traité beaucoup de gens d'homophobes, alors qu'ils ont une peur légitime de leur homosexualité refoulée, et non une peur, encore moins une haine envers les homosexuels.)
Ajoutons que c'est sur la base de l'homo-érotisme, dans son implication biologique, que des couples homosexuels veulent fonder famille en exigeant que ce soit avec leurs gamètes, pour que la filiation soit "réelle", puisqu’en tant qu'homosexuels ils ne peuvent pas en principe engendrer, mais que grâce à la technique ils le pourront, en réduisant l'autre-sexe, c’est-à-dire à l’autre de la différence sexuelle, à un sperme, un ovocyte ou un ventre. (L'État était prêt à faire passer une loi pour rendre la chose possible ; mais apeuré par la pression des adversaires, il a retiré le projet. Tout comme, apeuré par la pression du taxis, il a sanctionné les voitures avec chauffeur, en attendant la prochaine pression.
Dans son texte, Kristeva part de l'idée freudienne bien connue qu'on est tous bisexuels ; chacun, à un certain carrefour de sa vie, fait un choix d'objet qui le détermine; et la plupart font le choix du sexe opposé, tout en gardant des traces homosexuelles refoulées ; certains, beaucoup plus rares, font le choix du même sexe ; d'autres ne choisissent pas, avec des intensités variables, etc. Mais comme pour mettre une marque originale sur cette idée trop banale, elle pose que nous sommes tous d'abord homosexuels. On se demande ce qui s'est passé depuis Freud pour justifier ce coup de force théorique. Certes, on peut contrôler les naissances, et couple stérile peut recourir à un don de gamètes ou d'embryon3. Mais Kristeva veut grossir les signes de "bouleversement" : « Mutation de la filiation imposée par l'essor des sciences et des techniques ». Or la science n'a rien "imposé", elle a seulement permis aux couples stériles de procréer. De là à considérer un couple de femmes ou d'hommes comme un couple stérile, il y a un passage discutable, où la science, en principe, ne fait pas de pression. Elle permet à ces couples homos de faire l'économie du geste impensable par eux, ou trop affreux : copuler avec l'autre sexe (faire l'amour, comme on dit) pour avoir un enfant. Elle le permet si la loi le lui demande ; sinon, ces couples s'arrangent toujours, vu que la terre est vaste, pour réaliser leurs désirs.
L'auteur ajoute : « la maitrise de la fertilité féminine conduit nécessairement (...) au contrôle des naissances, à la PMA, la GPA, la congélation des embryons et des ovules, et ce n'est pas fini ». On semble ainsi accumuler des nouveautés alors que toutes se ramènent à la PMA pour des couples handicapés. D'où ce coup de tambour : « Impossible de freiner ou d'empêcher les révolutions qui se jouent dans des laboratoires sans frontières. » Et on glisse de « la famille décomposée, recomposée, monoparentale » (autrement dit des gens qui divorcent, se remarient ou vivent seuls avec leurs enfants) à « la famille maintenant gay ». Il y a des gens qui divorcent, il y en a qui se remarient ou qui vivent seuls avec leurs enfants, il y a des couples homos. Cette révélation devient "la famille (est) maintenant gay", donc des familles homos parentales, sans doute pour nous "forcer" à poser les grandes questions : " Sait-on ce qui se joue quand on se dit parent ?" Sur ce grave problème, beaucoup de familles vont sécher. Du reste, faut-il absolument tout en savoir ?
Ici, un mot sur le style du texte; étonnant, car beaucoup de mots sont conceptualisés, et lorsqu'ils s'entrechoquent, c'est toute la pensée qui s'effrite car ils s'encombrent et se contredisent. Les mots du langage courant ont le droit de s'entrechoquer, c'est ce qui anime la phrase, mais quand ce sont des concepts, c'est le sens qui vacille et devient inconsistant. Par exemple, le tiers devient ici la tiercité, le désir devient la désirance, l'univers même, comme s'il n'était pas assez varié, devient le plurivers ; l'origine devient l'origyne, psychisation du génital pour dire que le génital a sa dimension psychique.
Le tout recouvre une pensée contradictoire; par exemple, l'effort pour renforcer l'aspect "premier" de l'homo-érotisme fait dire que c'est cet aspect qui donne consistance à la société. Du coup, on en déduit que l'humanité est née d'emblée sociale puisque cet aspect est premier. Mais cela ne n'explique pas la genèse des sociétés, puisqu'on la suppose première. Si l'on veut nous faire comprendre l'histoire de l'humanité et son évolution, c'est un peu raté, si ce qu'on démontre est posé au départ, et posé pour pouvoir le démontré.
En fait, on nous propose de "remonter le temps de l'espèce humaine", sans autre nouveauté que celle du mythe freudien enrichi de la PMA, et de l'apport ethnologique où on pose implicitement que si une situation existe, c'est qu'elle peut servir de modèle.
Kristeva entérine d'emblée deux camps opposés, qu'elle appelle les anciens et les modernes ; les premiers étant ceux qui tiennent à une transmission symbolique liée à la différence sexuelle fécondante; les autres seraient ceux qui promeuvent l'homosexualité fondatrice ; négligeant l'entre-deux primordial de la parentalité : un homme et une femme donnent naissance à un enfant ; masculin et féminin s'entremêlent pour transmettre du vivant symbolisable grâce à cette transmission.
Après quoi, elle lit l'histoire passée à la lumière de l'histoire présente et de la lecture qu'elle en fait) qui repose sur l'existence d'une « mutation de la filiation imposée par l'essor des sciences et des techniques ».
Dire que l'hétérosexualité est une psychisation de la génitalité et de la différence sexuelle, c'est dire "qu'avant", ils copulaient, sans psychisme, comme des écervelés. On ne sait pas exactement vers quelle date intervient la psychisation. On aurait cru qu'elle était intrinsèque à l'humain, qu'elle évoluait et se complexifiait. Mais non, il y a "psychisation" quand le mythe freudien est célébré : le Père se réservait se réservait les femmes, les fils le tuent, la culpabilité les amène à instaurer la loi. Le mythe vaut ce qu'il vaut mais dans la version relookée, c'est "parce que les frères frustrés (de quoi ? de rapports sexuels hétéro ?) tuent le père de la horde" que se produit un moment capital, un déplacement de " la désirance du mâle géniteur en attraction-séduction adressée à l'autre soi-même, mon frère, mon semblable". Reste à expliquer pourquoi, frustrés de femmes par le père, ai point de le tuer, ils se retrouvent soudain homo; la frustration du désir pour les femmes s'évanouit par miracle une fois l'obstacle disparu. Au lieu de se jeter sur les femmes séquestrées par le père, ils se jettent les uns sur les autres et se découvrent semblables sur un mode qui les érotise. Ainsi le veut l'homosexualité fondatrice. Kristeva tient à donner des preuves de plus : « Jésus rejoint son père » (l'Évangile ne dit pas qu'il le rejoint au lit ; mais pour elle c'est une preuve de l'homosexualité). Et les fidèles consomment le Père dans l'eucharistie (le fait qu'ils consomment le pain et le vin symboles du corps et du sang de Jésus c'est-à-dire de son sacrifice et donc directement assimilé à un acte homosexuel. Mais qu'en est-il pour les femmes ?)
Elle tient à la caution des religions pour cette homo érotisme : les monothéismes « retiennent et célèbrent cet homo érotisme : Abraham est dans un rapport homo érotique à Isaac parce qu'il ne l'a pas "consumé" ».
L'illogisme se poursuit: l'homo-érotisme des frères « parvient à triompher sur le désir du père» ; sur le désir du père pour les femmes, et sur leur désir à eux pour le père.
Est aussi convoqué Levi Strauss parce qu'il a découvert "une logique fondamentale des sociétés matri-linéaires et patri-linéaires: les hommes échangent des femmes". En fait cela signifie qu'ils font des alliances autours de cet acte majeur qui est de donner sa fille en mariage au futur allié ou pour celui-ci de prendre femme chez l'autre qu'il veut s'allier. Coutume qui s'est prolongée tardivement (Napoléon épouse la princesse d'Autriche pour calmer le jeu avec ce pays mais sans grand succès). L'idée "d'échange" des femmes laisse supposer qu'elles sont des objets de valeur utilisés par les hommes. (Le fait qu'elles soient symboles de valeur maximale ne prouve pas qu'elles soient forcément instrumentées, mais bon.) L'échange prétendu essaye de dériver une part d'amour (celle qui se joue entre un homme et une femme) vers "l'amour" qui doit tendre la trame sociale. (Amour au sens minimal : désir de rapprochement, de lien ; cela n'implique ni l'affect passionné ni une pulsion sexuelle vorace.)
On a ainsi des frères dont chacun se constitue "en lui-même", et part alors chercher une femme. La fable continue: ils ont intériorisé les interdits du père mort notamment l'interdit de l'inceste. De quoi parle-t-on donc, des humains concrets tels que nous les observons ou bien de la préhistoire lointaine de l'humanité ? Car si l'on part de ce qui est observé, l'adolescent ou le jeune homme qui part à la recherche d'une femme a intégré en principe l'interdit de l'inceste qui marque précisément son désir érotique premier pour la mère; faute de quoi cet interdit n'aurait pas de sens. Mais on tient à nous mettre comme désir premier l'homo-érotisme en exploitant des remarques latérales de Freud qui dit que l'homosexualité constitue "la contribution de l'érotisme à l'amitié, la camaraderie, l'esprit de corps, l'amour de l'humain en général". Remarque plutôt banale pour dire que les groupes d'hommes subliment comme ils peuvent la part homosexuelle refoulée dans chacun ; part que, encore une fois, il n'y a pas à nier, sinon dans son caractère premier et fondateur.
La clinique montre que lorsqu'un homme fait un choix homosexuel c'est très souvent faute d'une transmission par le père du symbole phallique ; outre les cas où le garçon a été plus violemment révolté contre le père parce qu'il aurait "abusé" de la mère. Pour les femmes le plus souvent le choix homosexuel témoigne d'une séparation impossible d'avec la mère. Dans tous les cas il s'agit de "choix" qui s'opèrent dans le cadre du triangle familial, et qui sans doute privilégie une composante homosexuelle déjà présente ; mais qui, dans les autres cas se retrouve refoulée.
Le petit délire théorique se poursuit: "la famille n'a pas d'autre choix que de dénier la génitalité". La preuve: "l'église condamnait la concupiscence". Est-ce à dire qu'il n'y a pas de pulsions et de concupiscence dans l'homosexualité ? On sait en outre que cette malédiction sur la chaire lancée par Paul n'est nullement présente dans d'autres identités ou religions. Il ne faut pas confondre la jouissance légitime des corps avec le fait de détruire la loi lorsqu'on est mû par la pulsion (auquel cas cette forme de narcissisme s'appelle idolâtrie dans la Bible).
"Il a fallu des millénaires pour que la famille comme alliance entre deux personnes de sexe différent puisse être pensée et revendiquée". En fait, elle ne cesse d'être pensée et repensée ; revendiquée ou non, ce qui est sûr c'est que son noyau est hétéro-érotique, même s'il s'agit d'un mariage arrangé ou d'une "alliance" d'intérêts. (Et de quels millénaires nous parle-t-on ? Paléolithique ? Néolithique? Il y avait déjà des familles...) Quant à mettre sur le même plan le Cantique des cantiques, la littérature courtoise, l'amour platonicien, la littérature de "l'occident chrétien amoureux, libertin, moderne et post-moderne" il y a un certain abus. Le texte du Cantique est érotique d'un bout à l'autre et on n'y voit bizarrement aucune trace d'homo-érotisme. (Alors que la Bible ne se gêne pas pour parler d'onanisme, d'inceste, d'attirance homosexuelle. Voir David et Jonathan.) Et il fallait sans doute cette différence érotisée à l'extrême pour qu'une tradition mystique en fasse le support d'un lien charnel entre l'humain et le divin.
Autre confusion: Sarah la stérile tardivement fécondée et la Vierge pour nous signifier que le rôle de la mère est reconnu mais sous la protection du déni du sexuel. Or si le sexuel est dénié ou sublimé avec la Vierge il ne semble pas l'être dans le montage hébreu. Qui parle explicitement de jouissance charnelle.
Le couple hétérosexuel marié est ramené par Kristeva aux films américains (soap opéraet soap opéra) qui nous "impose ce modèle jusqu'à la nausée". Ne suffit-il pas tout simplement de ne pas trop voir de soap opéra ? D'après mes observations, quand un homme s'envisage avec une femme pour la séduire ou être avec elle en tant que femme, le schéma papa-maman n'est pas très présent. Comme si l'homme, et d'ailleurs la femme aussi, voulaient mener cette affaire-là à partir d'eux-mêmes, sans modèle. Quitte à ce que par la suite des répétitions apparaissent, mais bon.
Freud peut bien dire que "l'amour homosexuel se concilie beaucoup mieux avec les liaisons de masse" et ajouter que " nos sentiments sociaux sont aussi de nature homosexuelle (ajoutons: c'est la femme qui rend l'homme asocial)", il faut croire que depuis toujours et jusqu'à maintenant, l'homme a besoin de cette asocialité de l'autre sexe pour accepter le social. Il se peut même que ces dualités asociales constituent ce que j'appelle un entre-deux à savoir que c'est dans l'asocial provenant de la femme que se trouve le coeur même du social, à savoir la reproduction via le noyau familial et sous le signe du rapport sexuel, reproduction parcellaire de la société.
Une autre preuve "solide" de l'homo-érotisme premier c'est que lorsqu'autrefois ou même aujourd'hui un homme prend femme il prend la soeur ou la fille d'un autre homme; donc il est lié d'abord homosexuellement à cet autre homme. C'est là une preuve sans doute solide mais peu convaincante.
Autre confusion: Sarah la stérile tardivement fécondée et la Vierge pour nous signifier que le rôle de la mère est reconnu mais sous la protection du déni du sexuel. Hors si le sexuel est dénié ou sublimé avec la Vierge il ne semble pas l'être dans le montage hébreu. Qui parle explicitement de jouissance charnelle.
Elle dit que les exigences des couples homosexuels et les recours aux artifices procréatifs... dévoilent la fragilité du lien hétérosexuel. On se demande ce qui, dans l'être humain, n'est pas fragile, mais en effet il se peut que l'exigence des couples homosexuels liée à la technique mette en acte le fantasme "d'auto-engendrement"; et ça ce n'est pas fragile, puisqu'à la clef il y a un mensonge: le recours à l'autre sexe est caché et l'autre sexe est réduit à ses gamètes ou à un organe.
Comme je l'ai montré ce n'est pas tant le mariage qui est en cause, encore que c'est le changement de sens de mots identifiants et transmissifs comme père, mère, mari et femme. Et ce sous le règne de la commodité. Alors qu'on pouvait fournir toutes les commodités aux couples homos qui étaient privés de droits.
L'impression est que la plupart des raisonnements sont compromis par le fait que leur but est connu d'avance, et que leur trajet s'infléchit ou rebondit pour atteindre ce but.
On entend parfois de vagues échos de vérité : "l'hétérosexualité est une transgression des identités... qui procède de l'angoisse et du désir à mort porté par la promesse de vie à travers la mort". Disons simplement: porté par un désir de transmission donc un désir inconscient qui essaye de mettre en jeu comme il peut certaines parts de conscience.
En fait c'est un discours habité par une mort qui n'arrive pas à se dire comme telle, mais qui est très prégnante. En témoigne même l'idée que dans le rapport sexuel "le plaisir récompense la castration, prenant forme dans la conception probable d'un être nouveau, étranger et éphémère". Ceux qui conçoivent un être nouveau au fil de leur rapport sexuel ne le voient pratiquement jamais comme étranger et éphémère sauf s'il nait lourdement handicapé ; même s'il n'est handicapé, après le coup dur porté au narcissisme, son étrangèreté devient familière. L'unheimlich qu'incarne le nourrisson et le tout petit est, sauf exceptions, joyeux ; contrairement à l'unheimlichfreudien. Il réveille chez chacun des parents des sensations et des idées qui semblent après coup avoir été là en attente d'être précisément éveillées par l'autre en tant qu'il est absolument familier bien qu'étranger. Cela se produit aussi dans les relations amoureuses qu'elles soient ou non hétéros.
Elle avoue elle même que ceux qui ont approuvé le mariage gay ont reconnu leur homosexualité refoulée. Mais dans ce cas n'ont-ils pas pris une revanche sournoise sur elle en permettant qu'elle fasse loi alors qu'eux-mêmes continuent de la refouler ? En fait nous avons montré que la lâcheté de leur silence avait d'autres sources.
L'hétérosexualité est essentielle y compris grâce au fait qu'elle est problématique. À croire que l'humanité a besoin de ce problème insoluble pour se perpétuer. L'homosexualité est moins problématique (encore que les couples homo, eux aussi, ont droit à avoir des problèmes), mais ce qui peut faire sa force, c'est qu'elle courcircuite l'épreuve de la différence radicale (sexuelle homme-femme) et qu'aujourd'hui elle peut revendiquer d'instrumenter la procréation - ce que des théoriciens appellent "obéir" à la pression scientifique et technique. La science et la technique n'ont jamais fait de telles pressions, elles aident des couples infertiles à se soigner. Celle-ci prétend se démentir grâce à la technique mais la GPA n'est pas une technique, elle est un recours qui a toujours existé mais que la loi prétendra légitimer sous la pression. Et l'on sait que cet état va dans le sens de ce qui le presse le plus, c'est sans doute pour cela qu'il ne va nulle part.
"La famille n'est plus la même: décomposée, recomposée, monoparentale, maintenant gay." Il y a une hystérisation du problème alors que cela veut dire tout simplement qu'il y a des familles, des gens qui divorcent, se remarient ou vivent seuls et que des homos peuvent vivre en couple.
1 Voir mon blog
2 Hier encore, j'ai vu à la télé un journaliste questionner l’auteur d’un roman : « Vous êtes très critique envers la GPA - Ce n'est pas moi, c'est le narrateur, il dit « je » mais « je » est un autre - Et vous alors, que pensez-vous de la gestation pour autrui ? - Je n'ai pas à vous répondre là-dessus - Vous vous défilez donc… »
3 Le pourcentage de ces couples est infirme par rapport à la masse des couples qui procréent sans aide médicale. Il suffit d'appeler « le mariage pour tous et la filiation ». Pour d'autres textes sur la PMA voir mon livre Entre dire et faire penser la technique ; et des articles dans Evénements I, II, III. Le point de vue de J. Kristeva est exposé dans son blog sous le titre : Métamorphoses de la parenté
08 avril 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Métsora’ c'est celui qui est atteint, on dit atteint par la « lèpre », mais c’est à entendre au sens large de l'atteinte que nous avons déjà évoqué. L'important est qu'il reste impur jusqu'à son rétablissement ; ce que le prêtre doit constater en dehors du camp, où l'homme intouchable a été relégué. Ici, on parle du rite de sa réinsertion. On apporte pour lui deux oiseaux vivants, purs ; du bois de cèdre, de l'écarlate et de l'hysope. Le prêtre ordonne qu'on égorge l'un des oiseaux au-dessus d'un vase d'argile, sur de l'eau vive. Pour l'oiseau vivant, il le prendra, ainsi que le bois de cèdre, l'écarlate et l’hysope ; il plongera ses objets avec l'oiseau vivant dans le sang de l'oiseau égorgé qui s'est mêlé à l'eau vive ; en aspergera sept fois celui qui se purifie de la lèpre et, l'ayant purifié, lâchera l'oiseau vivant dans la campagne.
L'oiseau égorgé n'entre même pas dans la série des sacrifices ; on dirait qu’il est là pour que l'autre oiseau parte en liberté marqué par cette plongée dans le sang, l'eau, l’hysope, l'écarlate et le cèdre, qui sont des matières essentielles du temple. Mais ce n'est qu'un premier pas ; l'homme est purifié, mais il doit laver ses vêtements, se raser tout entier, se laver, et se tenir à l'entrée de sa tente pendant sept jours, puis se raser à nouveau, y compris les sourcils, se laver ; et c’est le huitième jour qu'il apporte son sacrifice.
L'homme se présente à côté du prêtre, devant YHVH, avec les animaux qu'il sacrifie. Le sacrifice de l'oiseau, auparavant, n'était pas « devant YHVH ». Le prêtre sacrifie d'abord au titre du délit, puis au titre de l'expiation, puis au titre de l'holocauste. Et c'est après ces trois ordres de sacrifice que l'homme sera dit pur.
La pureté est ici un acte de parole, tout comme l'impureté. Par exemple, un homme dit impur se lave, et reste impur jusqu'au soir, alors qu'il s'est lavé avant. Ce n'est pas le lavage qui le purifie, bien qu'il soit nécessaire ; c'est la fin du jour après l'acte de se laver. Après cet acte, il reste impur, jusqu'au soir. De même si on repère une atteinte « lépreuse » dans une maison, il faut la vider de ses meubles avant que le prêtre ne vienne la déclarer impure. Si on n'a pas pu la vider avant, les objets qu'elle contient seront impurs ; alors qu'ils sont identiques à ce qu'ils étaient. C'était la présence du prêtre déclarant l'impureté qui inscrit celle-ci ; qui comporte bien sûr une trace physique, celle d'une atteinte, mais ce qui l'emporte c'est l'acte de parole qui pose que c'est impur ; et qui après un certain rituel symbolique, notamment un sacrifice complexe, posera que c'est pur, lorsque l'aspect physique de l'atteinte se sera estompé.
Une remarque sur les trois ordres de sacrifice, qui sont d'ailleurs accompagnés d'une oblation de farine et d’huile (rappel de nourriture, mais aussi du pain de proposition dans le sanctuaire, et de l’huile du chandelier et de l’onction). Le premier ordre comporte l'idée de manque au sens de faute, de culpabilité (asham) ; celui qui est atteint est comme pris en faute, même si lui-même n'a pas fauté ; il peut très bien s'être fait prendre dans la faute d'un autre ; en tout cas, une fois pris, il s'agit pour lui de se déprendre, quand la trace de l'atteinte est passée. Le second ordre relève aussi du manque mais au sens du ratage (hatat) ; l'homme a voulu atteindre quelque chose ou quelqu'un d'autre, et c’est lui qui est atteint ; il a raté son coup. C'est aussi une culpabilité mais différente, c'est comme une charge dont il a à se décharger, par l'expiation. Le troisième sacrifice est l'holocauste, pour marquer la perte pure, qui rétablit le lien avec le ciel (le là-bas), le rapport avec l’être et avec sa présence. L'oblation qui accompagne ces sacrifices, qui est en fait une offrande s'appelle minha ; la racine du mot renvoie au repos, à l'acte de se poser ou de déposer quelque chose devant l'être. Tous ces gestes et ces objets d'offrande, de sacrifice rappellent la structure du temple et sa construction. De quoi rappeler que le temple lui-même est un relais construit ayant pour objet l'acte de se purifier, c'est-à-dire de ne pas patauger dans ses propres déjections mentales ou physiques (quand le mental se somatise). Être pur ce n'est pas être sans manque, sans faille ou sans défaut, c'est ne pas baigner dans le déchet ou la déchéance dont on pourrait prendre conscience et se défaire.
Si l'homme n'a pas les moyens d'apporter deux agneaux et une brebis pour les trois sacrifices, il apporte un agneau et deux tourterelles ; l'agneau servant pour l'ordre du délit, qui semble donc être le plus important à marquer ; les deux autres (expiation et holocauste) pouvant se contenter de tourterelles…
Tout cela fait une place très importante à l'inconscient, à ce qui nous vient de l'insu, de l'infini, du hasard, du destin, du divin : s'il vous est arrivé une atteinte, et que ça vous marque physiquement, que ça fait tâche, une tâche dont la couleur (entendez : la nuance) est variable mais qui mord sur la chair vive, car la tsara’at, c'est cela même, ou c'en est la métaphore ; si donc vous en êtes atteint, même si vous n'avez pas sciemment fauté, vous y êtes pour quelque chose. Il est important que vous y soyez pour quelque chose ; si vous n'y êtes pour vraiment rien, vous risquez de n'être rien dans l'histoire de votre vie. En un sens, le geste d'apporter un sacrifice inscrit le fait d'y être pour quelque chose, dans cette atteinte, et inscrit en même temps le désir de s'en dégager, de ne pas s'y réduire.
Tout cela a été repris dans le sens des prières, mais on doit reconnaître qu'en apportant un être vivant, un animal, le marquage de la faute et de l'expiation devait être plus …vif, plus intense, et engager le corps nettement plus que la parole, l'engager au regard de la présence. Car la parole seule qui sort du corps peut sortir en l'absence de ce corps ; elle peut sortir désincarnée, elle peut donc ne pas vraiment engager le sujet qui l'exprime.
Le texte n'hésite pas à parler de déchets physiques, d'écoulements corporels, chez l'homme ou la femme ; de flux qui les rendent impurs, c'est-à-dire qui impliquent de leur part des actes pour se purifier, des gestes précis (en présence du prêtre et face à l’être) pour retrouver l'état normal qui est de se démarquer du déchet.
Tout cela permet de mieux comprendre la nature de l'atteinte et l'objet du sacrifice.
Reprenons le mot désignant l'homme atteint : métsora’ ; j'ai déjà dit que l'atteinte elle-même, appelée tsara’at, comporte les signifiants tsar, l'étroitesse, et ra’, le mal. Mais si l'on prend le mot qui désigne l'homme atteint, métsora’, la plus petite lettre qu'on puisse y intercaler serait le yod, et cela donnerait : matsouï-ra’ ; ce qui signifie que cet homme a été trouvé mauvais ; trouvé par qui ? Par l’être. Il est, pour un temps, marqué par le mal, par l’être-mauvais, l’être-mal. C'est le minimum qu'on entend d'une personne atteinte, quand elle dit : je suis mal. La tradition veut que ce mal soit le fait de mal parler de son prochain. Ce n'est là qu'un cas particulier du mal-dire. Le mal-dire, c'est aussi bien médire que maudire. Mais c'est aussi mal nommer les choses, les personnes, les situations. Mal-nommer, c'est porter atteinte au nom, donc au nom de l’être. C'est comme invoquer le nom divin en vain. La tsara’at, l'atteinte dont nous parlons, est elle-même l’effet du mal-dit qu'elle exprime, l'effet du mal qu'elle dit à sa manière très concrète, c'est-à-dire incarnée. En elle, la cause et l'effet coïncident ; mais il s'agit de la faire « causer » autrement, de rouvrir des voies nouvelles à la parole de l’être.
Allons plus loin : le mal dire, le mal-à-dire, n'est-ce pas tout simplement la maladie comme telle ? Le fait que sciemment ou inconsciemment, vous avez fait une mauvaise rencontre dans la langue, au niveau de la parole, dite ou non-dite. La mauvaise langue, c'est-à-dire la langue du mal ou du mauvais, ce n'est jamais qu'une mauvaise position dans la langue, une position où l'on prend de travers certains flux signifiants, parfois sans le savoir, ou dès son enfance. Le langage courant dit qu'on les prend « en travers de la gueule », en plein corps, et ça laisse des marques. On attrape des mots dont on ignore la charge mauvaise, et ils deviennent des maux quand ils se déchargent en vous. Le sacrifice voudrait mettre en place une autre décharge.
De ce point de vue, le texte parle de la maladie, dont il est clair qu’elle est à la fois physique et mentale ; la maladie est un événement du rapport à l’être, où l'on est mal tombé (on s'est fait mal en tombant) sur quelque chose de glauque, qu'on n'a pas pu déchiffrer, et qui s'inscrit à même la peau.
On peut bien sûr décider de toujours bien dire, de dire des bonnes paroles, mais on ne peut pas éviter de percuter sur du mau-dit, sur du dire qui fait mal ; sur du mal qui trouve là une façon de se dire. Le mal n'est pas ici une entité abstraite ou morale : chacun sait ce que c'est qu'avoir mal ; et faire ici (le) mal, c'est faire en sorte que l'autre ait mal. Mais par des retournements inattendus, ce mal qui devait atteindre l'autre, atteint le sujet lui-même ; d’autant que l'autre est souvent l'image en miroir du sujet, qui du coup se frappe dans l'autre ou frappe l'autre en soi. Il s'est fait (du) mal, c'est en cela que consiste l'atteinte dont il est l'objet. Quand le sujet devient lui-même l'objet de son ratage, ça fait mal.
C'est déjà beaucoup de le reconnaître, et c'est ce que fait le texte, il travaille à marquer cette reconnaissance, à un double niveau : reconnaître la réalité du fait ; et marquer sa reconnaissance à l’être, c'est-à-dire son désir d'ouverture sur l’être, une fois le mal apaisé, la douleur surmontée, le deuil accompli, ou presque : c'est cette reconnaissance ou cette ouverture d'être qui en inscrit la traversée. Le sacrifice a pour objet de remarquer le retour à l’être pour relancer le jeu de la vie.
02 avril 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Le résultat de ces élections locales (mars 2014) est d'une portée bien plus grande qu’on ne le dit. Bien sûr, une claque pour le pouvoir en place ; mais le fait qu’elle lui soit donnée par ceux-là mêmes qui l'ont élu, il y a deux ans, prouve qu'un grand nombre de personnes ont pris leur étiquette politique, leur identité idéologique, et l'ont arrachée pour s'en mettre une autre, censée être à l’exact opposé. Des foules entières qui s'identifiaient de gauche ont voté Front National. Il est probable que leur acte soit tout autre chose qu'une adhésion à ce parti ; et que le tabou qu'ils ont brisé ne soit non pas de dire oui à ce parti, mais de dire non à ceux qui agitent ce parti comme une menace, un moyen de pression pour imposer leurs vues ; non à ceux qui croient (ou qui feignent de) détenir la vérité du seul fait qu'ils en dénoncent le négatif que serait ce parti. C'est cette manipulation, dont beaucoup de gouvernants, de médias et de «penseurs » ont abusé, qui en a pris un coup. Manipulation très tentante : quand on tient en main le symbole de l'Erreur, c'est comme si on détenait la Vérité ; ou pire : on détient le moyen de forcer les gens à s'aligner sur vous, faute de quoi ils sont dans l'erreur. « Attention ! ce que vous dites rappelle le Front national !vous n’allez quand même pas voter pour ! », C'est ce chantage permanent que beaucoup ont balayé, non sans souffrance : des personnes interviewées, qui ont dit qu'elles votaient à gauche depuis des décennies et que là elles ont voté FN, ne semblaient pas dire : Eh bien oui, nous entrons dans l'erreur et nous l'assumons. Elles signifiaient quelque chose de plus précis et de plus simple : vous qui êtes au pouvoir, et qui n'avez d'existence que parce que nous vous l'avons donnée, eh bien on vous la retire ; et pour mieux marquer ce retrait, on va donner nos voix à vos pires ennemis ; sans peur d'être insultés par vous puisque votre valeur, et celle de vos insultes, c'est nous qui vous la donnions ; si on vous la retire, vos insultes (nous traiter de fachos, de pro-nazis etc.) n'ont plus de valeur.
Or, chacun sait que dans ce pays, la plupart ont peur de passer pour quelque chose - qui ne serait pas correct. Et les supposés corrects abusent de cette peur, ils l'instrumentent pour réduire les autres au silence, sous une menace non formulée mais toujours là ; sous la pression d'une censure qui ne dit jamais son nom mais qui est implacable parce qu’elle est intégrée, devenant une auto-censure.
Certes, c'eût été mieux si ces personnes avaient voté contre le pouvoir en place et pour autre chose que le FN. Mais vu la pression de la censure et du chantage, elles n'avaient sans doute pas d'autre choix.
29 mars 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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La racine de ce mot tazria’ c'est zéra’ qui veut dire semence. ; donc, de quoi faire progéniture ou descendance. Il s'agit de la femme qui a conçu et qui enfante ; de la femme qui a été ensemencée. Lorsqu'elle accouche d'un garçon, « elle restera 33 jours dans le sens de sa purification ». A aucun moment il n'est dit qu'elle est impure ; elle est en cours de purification jusqu'à ce que, au 33e jour elle apporte de sacrifice au temple, l'un pour l'holocauste, l'autre pour l'expiatoire ; après quoi quand le prêtre aura accompli ces deux sacrifices, « elle sera purifiée ». C'est une façon de symboliser le retour de couches, la frontière entre la femme en couches et la femme qui en est sortie, et qui peut entrer en relation. « 33 », c’est-à-dire trois unités et trois dizaines, c'est le minimum pour marquer le chiffre trois dans l'ordre des unités et dans l'ordre des dizaines. (Ce serait fou d'aller chercher du côté des centaines…) Pourquoi ce chiffre trois ? Il y a tant de raisons qu'on peut se dispenser de les dire. Par exemple, il y a la femme, l'enfant et le père ; ce serait de l'ordre des unités ; et il y a la femme, l'enfant et Dieu ; ce serait de l'ordre des dizaines. Si l'on rassemble les deux ordres cela fait 33. Pour une fille c'est le double ; ce n'est pas une sanction, c'est que le texte intègre l'idée qu'il y a deux femmes en jeu, la mère et la fille. Ce n'est pas rien, d'inscrire une fille dès sa naissance, dans le devenir femme et le devenir mère.
Des traditions affirment que pour mettre au monde du féminin, une femme est plus éprouvée (plus secouée, plus exposée à divers « déchirements » nerveux). Il y a quelques raisons à cela : si elle accouche d’une fille, l’épreuve de ses rapports à sa mère peut être plus présente, plus pressante En outre, elle peut se douter inconsciemment qu’elle met au monde une rivale ; que l’épreuve de l’entre-deux-femmes qui l’attend ne sera peut-être pas facile, et c’est source d’angoisse ; raison de plus pour lui laisser plus de temps.
Quand elle est rétablie, il y a deux sacrifices ; l'un, un agneau pour l’holocauste, est donc offert au titre d'une perte totale, d’une consumation achevée ; l’autre est une tourterelle pour l’expiatoire. La raison en est simple : l'holocauste s’impose, car elle aurait pu y passer tout entière ; et l’expiatoire, car elle a pu fauter par prétention en se prenant pour la source de vie ; ou en ayant des postures mortifères.
Le reste du texte est consacré aux personnes chez qui se révèle une atteinte sur la peau ; une atteinte visiblement grave, qui va plus profond que la peau. C'est ce que le texte appelle une tsa-ra-‘at. On peut y lire tsar, la détresse ; et ra’, le mal ; somatisation sur la peau d’une détresse maléfique. Fréquemment, on traduit par lèpre, ce qui témoigne surtout du fait que le texte s'est écrit à une époque où les conditions de l'hygiène étaient précaires, et où sans doute, la lèpre était l'atteinte la plus redoutée. Mais gardons le terme d'atteinte (néga’). Si une personne est atteinte dans sa peau de façon profonde, et si l'atteinte n'est pas identifiable à des formes bénignes, elle est impure, ce qui signifie qu'il ne faut pas la toucher, et qu'elle-même ne doit pas toucher, d'autres personnes, ni bien sûr des choses saintes. Si une personne est atteinte sur un mode qui témoigne d'une détresse maléfique, il ne faut pas que cette atteinte se propage, et il faut respecter cette personne dans son isolement. L’atteinte lui est venue de son rapport à l’être, intérieur ou extérieur ; il faut la laisser réparer cette atteinte en posant qu’elle ne doit pas la transmettre : elle porterait ( l’)atteinte à d’autres. On ne parle pas de soins ; s’il y en a, il est évident qu’elle n’en est pas privée ; mais l’accent est mis sur l’arrêt du contact avec l’autre ; impur ne veut pas dire autre chose. Une personne touchée par une atteinte suspecte – et sans doute contagieuse – devient intouchable pour un temps, par toute personne ou par toute chose sacrée ; le temps que l’atteinte perde de sa virulence et change de nature.
Qui est chargé d’en juger ? le prêtre, puisque c’est lui qui gère les lieux et les objets sacrés, ayant rapport au sacrifice. Or en un sens, la personne atteinte est elle-même objet d’un sacrifice mystérieux, et n’est pas en mesure d’en offrir un au temple. Le préposé aux sacrifices doit suivre son cas. Dire que « le prêtre la purifie », quand l’évolution est favorable, c’est simplement dire qu’il la déclare pure, c’est-à-dire apte à reprendre contact avec les autres et avec l’Autre.
Curieusement, cette logique de l’ « atteinte » vaut également pour les étoffes, les trames, les textures (et on le verra plus tard, les lieux d’habitation).
Dans ces cas, si la texture persiste à être corrompue, on la brûle (geste minimal du sacrifice), ou on la détruit (s’agissant d’un mur, par exemple, ou d’une maison).
Le texte commence par parler de tsara’at et se poursuit en ne parlant que d’ « atteinte » ; l’atteinte lisible à la surface étant signe d’une atteinte plus profonde, sur laquelle le texte, avec raison, se garde bien d’opiner.
Il y a clairement ici une portée symbolique de l’ « atteinte » au corps, à la peau, et de l’attention à lui porter. S’il y a une réponse matérielle, on la lui apporte, bien sûr ; mais s’il s’agit de l’atteinte pour laquelle il n’y a pas de réponse directe ? Son convoqués dans ce cas les rapports aux autres et à l’Autre sous le signe du suspens ; une sorte de remise à zéro, en vue d’un autre commencement, en attendant que d’autres possibles apparaissent. C’est une remise en question de tous les contacts avec le semblable et avec le divin. Un homme coupé de tout contact charnel est dans une épreuve, une solitude limites. Reste le contact par la parole. Invitation majeure à ce qu’on nommerait aujourd’hui une psychothérapie, une thérapie par la parole, qui déplace le champ de lisibilité vers l’âme, en tant qu’elle porte le corps, et que dans ce cas elle l’a mal porté, ou elle a eu trop de mal à le porter ; ou elle a eu trop mal pour le porter sans accrochage.
29 mars 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Shémini veut dire le huitième : après avoir fixé Aaron et ses fils au seuil de la Tente du Rendez-vous pendant sept jours et sept nuits, le huitième jour, Moïse les appelle, ainsi que les Anciens. Il dit à Aaron de faire son sacrifice d'holocauste (un bélier) et son sacrifice d'expiatoire (un taurillon), et de demander au peuple d'apporter son sacrifice. Cette fois, c’est aux trois niveaux des sacrifices : un bouc pour expiatoire, un veau et un agneau pour l'holocauste, un taureau et un bélier pour les pacifiques ; avec en outre une oblation pétrie d'huile. Et Moïse ajoute : "car aujourd'hui YHVH se montre à vous" (va se montrer). C'est proprement l'annonce d'une vision collective. Ils apportent tous les animaux du sacrifice et "ils se tiennent devant YHVH" (9, 5). Ce n'est pas rien, de se tenir devant l'être, c'est-à-dire devant le possible à l'état pur.
Puis Moïse ordonne qu'Aaron opère les sacrifices et expie (obtienne agrément) pour lui et pour le peuple. Ce qui fut fait, selon un rituel précis, notamment l’aspersion par le sang animal du pourtour de l'autel. (Ce qui laisse entendre qu'avec toutes ces bêtes, ce sang, ces cendres, ces feux, etc. il fallait beaucoup de monde pour prendre soin du temple ; pas moins d'une tribu, en effet, celle de Lévi.)
Trois gestes majeurs interviennent dans ce rite. Le premier c'est l'acte de faire fumer (haqtir) des parcelles de l'animal sur l'autel; le second, celui de "balancer" (hanif) devant YHVH telle partie de l'animal ; le troisième "geste", lui, est plus abstrait, il est lié au mot kapér, au vœu de recouvrir la faute, de se libérer de son emprise, même si elle est encore là, quoique recouverte ; c'est l'acte d’obtenir expiation pour elle. On sait que kapér - recouvrir ou recouvrer - c'est l'objet même du Kippour, jour d'expiation, et par extension, jour de pardon. Faire fumer, c'est transformer une parcelle de corps animal en senteur, encens, parfum "agréable" à l'être divin : signe visible du fait qu'une partie du vivant animal alimente le feu divin en douceur. Quant au balancement, il réfère sans doute au geste de suspension oscillatoire entre l'humain et le divin, comme pour faire lien, tout en marquant la précarité de ce lien.
Il faut se rappeler qu'on a ici deux ordres, celui du sacré (du divin) et celui du peuple (profane, humain) ; ils sont bien séparés, mais il y a des choses qui les relient, des choses qui font lien et même alliance : la parole, et le geste du sacrifice, de l'offrande, du balancement etc.
Après les sacrifices, Aaron tend les mains vers le peuple et le bénit (9, 22), puis Moïse et Aaron rentrent dans la Tente du rendez-vous et en sortent pour bénir le peuple. Alors (v. 23), la gloire de YHVH se fit voir au peuple tout entier. En quoi consiste cette vision ? "Un feu s'élança de devant YHVH et dévora sur l'autel l'holocauste et les graisses. Le peuple vit cela, poussa un cri, et ils tombèrent sur leurs faces".
Si l'on entend cet évènement comme un symbole, une métaphore d'un moment précis dans le rapport entre humains et divin, il signifie que ce premier sacrifice, (car c'est le premier, en tant qu’inauguration même des fonctions du temple), ce sacrifice initial est ancré dans le feu divin. Et qu’en somme, l'origine des sacrifices est un feu dévorant, un feu de l'être, auprès duquel on sacrifie à la fois pour reconnaitre ce feu et pour s'en protéger.
A vrai dire, dans la Torah, et plus largement dans la Bible, toutes les paroles et les demandes que fait au peuple l'être divin impliquent un sacrifice ou une offrande, c'est-à-dire un prélèvement sur votre propre jouissance pour la transférer vers l'être, vers le feu de l'être ; y compris l'offrande, qui est aussi un prélèvement, posé ou déposée à la face de l'être en témoignage de reconnaissance. Il n'y a pas une seule "demande" divine, pas une seule "mitsva" qui ne soit de cet ordre. Prenez l'observation du Shabbat, elle implique de se poser, et de poser sa journée (expression que l'on utilise dans le monde du travail pour dire que l'on prend congé), d'offrir sa journée en offrande à l'être divin et en même temps de renoncer à toutes sortes de choses qui pourraient donner une certaine jouissance mais qui, au regard de celle-là, sont posées comme secondaires. Prenez cette autre demande essentielle : "Devant l'aveugle, ne mets pas d'obstacle" ; elle aussi implique un renoncement au plaisir vaguement pervers qu'on peut avoir de rendre les choses plus difficiles pour quelqu'un qui ne « voit » pas les tenants et aboutissements d'une situation, de la lui rendre impraticable, pour l’écarter, par exemple. Cette demande implique de renoncer à aggraver le handicap d'une personne, quelle qu'elle soit, pour le plaisir de se sentir mieux exister.
Donc, toute parole à accomplir ou à penser, au niveau du rapport à l'être, c'est-à-dire à l'infini des possibles, réfère à l'être en tant qu'il comporte un feu éternel, infini, qui parfois dégage une lumière (celle des paroles inspirées, ou celle des actes créateurs).
Et il n'est pas question que qui que ce soit prétende maîtriser ce feu ou s'en servir ou le prendre et le manipuler. Or c'est ce qui arrive aux deux fils d'Aaron, Nadav et Avihou, qui prennent chacun son encensoir, qui y mettent du feu (on en déduit qu'ils ont prélevé ce feu sur l'autel où le feu divin est descendu) et qui y mettent l'encens pour apporter cette offrande devant YHVH. Là, on a un paradoxe : leur acte, qui peut paraître relever d'un zèle excessif, et qui est surtout inconscient, consiste à prendre dans le feu sacré et à l'offrir. Mais si on prend dans le feu sacré, et qu'on prétend l'y ramener, cela devient un "feu étranger". Ce qui relevait de l’être, ils l’ont fait passer dans le champ de l'avoir, de leur avoir, pour prétendre ensuite le ramener à l’être. Ils ont voulu que l'encens de leur offrande soit, avec son feu, dans la plus grande proximité possible avec le feu originel, comme pour être, eux, le plus près possible du foyer ; et ça les a consumés. C'est dire qu'il n'y a pas "le plus près possible", que c'est une posture impossible, invivable. En revanche, il y a une frontière entre les humains et le divin, qu'il faut apprendre à gérer, à intégrer, à penser, y compris en acte.
La remarque de Moïse à Aaron devant cet événement est elle-même à double sens, comme pour honorer le paradoxe. Il lui dit : "c'est là ce qu'avait énoncé YHVH en disant : par mes proches je me sanctifierai et à la face de tout le peuple je serais honoré". Est-ce à dire que YHVH affirme sa sainteté en dévorant ceux qui se rapprochent beaucoup trop de sa flamme au point de vouloir y mettre la main ? Ou est-ce à dire que c'est par le rapprochement, c'est-à-dire le sacrifice (Qorbane) tel qu'il doit être fait, que YHVH entend être sanctifié devant tout le peuple ? En tout cas, Aaron ne dit mot.
S'ensuit un subtil dialogue sur la possibilité pour les prêtres de manger leur part des sacrifices alors qu'ils sont en deuil. Cela signifie que les médiateurs (les prêtres) n'ont pas à porter leur deuil pendant leur fonction ; comme si de porter toutes les fautes du peuple était déjà un "endeuillement" suffisant pour n'avoir pas à être mêlé à leur deuil personnel. Mais le deuil lui-même, comme tel, devant cette mort, est affirmé par Moïse : "et leurs frères, [c'est-à-dire] tous les enfants d'Israël pleureront la brûlure que YHVH a faite." Il y aura donc un deuil pour Nadav et Avihou ; d'ailleurs, dans les rites de lamentations, par exemple ceux qui commémorent la destruction du Temple, le 9 Av, certains poèmes sont rythmés par cette phrase : "qu'ils pleurent la brûlure que l'être divin a produite". La destruction du temple est assimilée à cette brûlure, pour les enfants d'Israël. Autrement dit, l'impossibilité de communiquer concrètement, physiquement, avec le feu des sacrifices est assimilée à une brûlure. L'absence de la brûlure symbolique est une brûlure réelle, ressentie collectivement.
Puis le texte de la Parasha définit ce qu'il est permis de consommer et ce qui ne doit pas l'être. J'ai déjà montré (dans Lectures Bibliques) l'importance des deux critères retenus, ou plutôt de leur existence. Par exemple, pour les mammifères, il faut qu'ils aient le pied fendu et qu'ils soient ruminants. Pour les poissons, il faut qu'ils aient des nageoires et des écailles. Comme si les animaux éminemment consommables devaient être marqués par deux traits distinctifs ; façon de dire qu'ils sont porteurs d'une division, voire d'une séparation mais qui fait lien ; un lien qui s'incarne en eux. C'est là une variante du véritable culte de la différence, c'est-à-dire de ce qui porte essentiellement des symboles forts, à savoir, le fait qu'ils marquent non seulement une séparation mais ce que j'appelle une coupure-lien.
Il ne faut pas manger de l'indifférencié. D'aucuns peuvent rétorquer que le homard n'est pas indifférencié ; mais voilà, il n'est pas tombé sous la différence énoncée par le Texte comme support de la transmission. Donc, ne pas en manger, c'est prendre part à cette transmission symbolique porteuse de différences à faire vivre, y prendre part en la rattachant périodiquement à ses points fondateurs.
20 mars 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Psychanalyse éthique
Séminaire 2013-2014 de Daniel Sibony
Chaque séance une dizaine de notions seront travaillées
6ème séance du cycle :
Présentation des deux livres:
Fantasmes d’Artistes
et
Islam, Phobie, Culpabilité
(parus en mars 2014 et en novembre 2013)
On passera par les notions suivantes :
« Identité, culpabilité, secret, phobie, islam, judaïté, christianisme,
communautarisme, fantasme, artiste, création, oeuvre, offrande,
art contemporain »
Mercredi 19 mars à 19h
à la Faculté de Médecine - Paris Descartes, Pavillon 1
15, rue de l'Ecole de Médecine 75006 Paris
Entree: 15 euros, étudiants: 5 euros
Gratuit pour les étudiants de la faculté de médecine à partir de la 3eme année
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Cocktail
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16 mars 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Que de fausses évidences
Il fallait bien qu'un jour ou l'autre les deux « pestes » totalitaires qui imprégnaient le pays, la brune et la rouge, finissent par dire qu’elles se haïssent, - de cette haine irréductible qui oppose les semblables ; même si dans leur épreuve de force, elles entraînent, chacune derrière elle, une masse de gens qui ne demandent qu'à vivre en paix.
20 février. J'ai eu la chance d'être à l'étranger quand la crise a éclaté : quand le président pro-russe a pris la fuite et que la passionaria ukrainienne est revenue. Comme j'ai côtoyé des gens qui travaillent à Kiev, d'autre qui habitent à Moscou, cela a quelque peu nuancé la ritournelle qu'on entend ici et que je connaissais d'avance : les forces de la liberté ont pris le pouvoir et veulent que l'Ukraine rejoigne l'autre bloc, celui de la liberté, l’Europe. Je comprends que certains en aient assez d'une sphère dirigée par les Russes et préfèrent une sphère dirigée par… l'Allemagne. D'abord, cela met de la nouveauté dans leur vie, et la nouveauté est précieuse, ell fait appel à des forces cachées qu'on a en soi et qu'on découvre à l'occasion. Bien sûr, par en dessous, la réalité est plus dure. Un régime inféodé à Moscou est renversé par une sorte de coup d'Etat qui ramène au devant de la scène des tenants de la liberté, mais aussi des zélotes de l'Ukraine fondamentale, pronazie et antisémite. Ce paradoxe a pu produire des situations cocasses, puisque pour le 1er mai, risquaient souvent de défiler côte-à-côte les vétérans de l'armée rouge et les collabos meurtriers. Signe que le pays n'est pas seulement divisé en deux, l’Est voulant l'Est, et l'Ouest voulant l'Europe. La nappe souterraine pro-nazie ne se limite pas au parti d'extrême droite ; s'il y a plus d'un million de juifs liquidés par balles dans le sous-sol du pays, les forces qui ont fait cela ne sont pas volatilisées ; le nazisme n'a été vaincu que militairement, pourquoi ses adeptes auraient-ils renoncé à transmettre leurs valeurs ?
Dans la propagande d'ici, on dénie ce fait en annonçant qu'il n'y a pas là-bas un danger pro-nazi. Mais qui parle de danger ? On caricature l'idée pour mieux la réfuter. J'ai même vu qu'on a interviewé le rabbin de Kiev, qui a dit : il n'y a pas d'antisémitisme. Aurait-il dit le contraire, qu'il n'aurait pas dormi tranquille le lendemain. Autre figure du paradoxe, la déléguée européenne distribue le soutien place Maïdan sur l'estrade même où des orateurs viennent demander le départ des juifs d'Ukraine.
L'Europe et l'Amérique d'Obama soutiennent à fond ce renversement de régime, avec l'hypocrisie qu'il faut pour paraître convaincu que c'est un mouvement de liberté, que c'est une vraie révolution démocratique (démocratique elle l'est sans doute, en partie, mais il arrive que le démos démocratique comporte un ver dans le fruit, une tendance totalitaire, non plus rouge, mais brune ou verte).
Nous verrons bien ce que cela donnera ; ainsi va souvent le jeu de la vie, les bonnes choses viennent avec les pires, et il n'y a pas à choisir l'un des deux camps quand on n'a pas de gros besoins de s'identifier.
On a donc deux flux opposés, pour ne pas dire deux totalitarismes; l'un à composante russe avec beaucoup de soviétisme, l'autre à composante démocratique avec beaucoup de restes nazis Entre les deux, ou plutôt empiétant sur l'un et l'autre, une masse de gens qui veulent vivre et n'ont que faire du soviétisme ou du nazisme; leur aspiration vers l'Europe est un certain ras-le-bol de l'histoire qui les a pris en tenailles, entre les deux dictatures.
La Russie aurait bien voulu garder l'Ukraine sous sa houlette, mais puisque c'est impossible, elle peut accepter toutes sortes de choses, pourvu que l'Ukraine n'aille pas à l'OTAN. Or l'OTAN ne fait rien pour alléger sa pression, et cesser de croire que la Russie est un danger planétaire.
La question de la Crimée est plus complexe, car ce qui compte pour les russes, là-bas, c’est d’abord de garder leur base militaire, leur sortie vers la Méditerranée. Tout comme ce qui compte le plus pour eux en Syrie, c'est leur base navale en eau profonde, qui peut accueillir gros navires et grands sous-marins. Curieusement, les médias européens présentent l'appui de Poutine au régime syrien comme une simple alliance de deux méchants, donc comme allant de soi. Encore une mauvaise évidence qui échappe à la discussion. On évoque rarement l'intérêt stratégique, d'autant plus clair que la Russie se sent visée par les fusées de l'OTAN, pointées sur elle (et prétendument sur l'Iran).
Poutine, comme tout despote intelligent, met en avant les intérêts légitimes de son pays. Avait-il vraiment besoin de déployer la force en Crimée ? Le Parlement de la péninsule aurait voté de toute façon l'indépendance en vue du retour à la Russie. Ce qui est remarquable, c'est l'aspect « coup pour coup » du jeu : le Parlement ukrainien fait son coup de force ? Le Parlement de Crimée fait le sien et organise un vote encore plus vite que les ukrainiens.
Cette affaire illustre au moins une chose : celui qui, en Europe , notamment en France, prétend comprendre un évènement grâce à ce qu’on lui en dit dans les médias, risque fort d’être dérouté ou de se tromper. Pour ma part, devant les massacres en Syrie, je ne comprenais pas l'obstination des Russes à soutenir Assad. C’est plus clair si l’on voit que Poutine mène un jeu politique "normal", c'est-à-dire machiavélique, visant surtout à obtenir ce qui est possible pour lui, et ce qui arrange son pays. L'Europe aussi d’ailleurs, mais en affichant la vertu, et l’amour de la liberté, au risque de présenter Ioulia Timochenko comme un Mandela ukrainien; alors que les dirigeants européens savent bien qu’elle brasse des milliards, souvent par escroquerie, qu'elle paie des lobbys, comme tant d'autres, pour arriver à ses fins.
En somme, on s'est monté (ou on a feint de se monter) la tête des deux côtés, alors qu'au fond, chacun des deux joueurs ramasse la mise qui lui revient, avec ses intérêts, mais l'un en montrant sa mauvaise humeur, et l'autre en déployant son élan vers « la liberté ».
17 mars. Depuis, la Crimée a voté par référendum son rattachement à la Russie. C'est l'occasion de voir encore comment certains prennent parti, très fermement, et ils réarrangent les choses pour que le parti qu'ils prennent, aussi connu d'avance que l’issue du référendum, semble objectif, allant de soi. Or quand l'immense majorité de la population décide ce rattachement, et ne le fait pas sous la pression des armes, que peut-on y redire ?
Toute cette affaire révèle le narcissisme, la susceptibilité à fleur de peau des deux côtés. Les pro-Europe ont fait pression pour virer le pouvoir pro-russe, qui méritait d'être viré ; mais ce faisant, ils croyaient pouvoir inclure toute l'Ukraine dans l'Europe, comme quelque chose qui va de soi, alors que, outre la Crimée où presque tout le monde se sent russe, une moitié de l'Ukraine n'est pas vraiment partante. Poutine a riposté avec la raideur des despotes, ici redoublée par l'idée qu'on se moque de lui ; et ça, même des moins paranos que lui n'apprécie pas du tout. On l’a dit, il a joué au coup par coup : vous voulez une consultation dans trois mois ? Je vous la fais en un mois… Vous voulez forcer les ukrainiens pro-russes de l'Est à baisser la tête ? Je viens à leur secours…
Cela dit, y a-t-il des changements possibles dans l'histoire collective, ou dans une situation ponctuelle, qui ne passe pas par le coup de force et un minimum de pression, pour ne pas dire de violence ? (Encore que ce qui s'est passé jusqu'ici né entraîner aucun massacre.)
Plus profondément, il fallait bien qu'un jour ou l'autre les deux « pestes » totalitaires qui imprégnaient le pays, la brune et la rouge, finissent par crier leur antinomie - cette fameuse haine irréductible qui oppose les semblables ; même si dans leur épreuve de force, elles entraînent, chacune derrière elle, une masse de gens qui ne demandent qu'à vivre en paix.
13 mars 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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Parasha Aharé Mote (Lévitique 16 à 18)
Le chapitre 16 est consacré au rite de purification du temple et d'expiation pour le prêtre et pour le peuple, rite qui se révèle à la fin du chapitre être celui de Kippour. C'est en conclusion du chapitre qu'on apprend que ce sera un jour solennel par an, au septième mois, le 10e jour que : « vous mortifierez vos personnes et ne ferez aucun travail… Car en ce jour il y aura propitiation pour vous afin de vous purifier de tous vos péchés, devant YHVH vous vous serez purifiés ». Cette phrase scande depuis des siècles le rituel du Kippour, où l'on a retenu essentiellement le jeûne (mortification) et la prière la veille et tout le lendemain.
L'idée que la prière, et le récit du rituel originaire, remplacent celui-ci est une idée qui va loin : le récit où l'on s'implique corporellement remplace l'événement qu'il raconte, surtout quand cet événement est lui-même symbole d'une situation, celle où l'on essaye de se dégager de ses ratages, fautes, manquements envers soi-même et envers l'être dont on est une partie. Un pas de plus, et on touche à l'essence de la littérature : la fiction peut mettre en jeu la vérité de l'être en manque, alors même qu'elle ne fait que raconter, et non pas reproduire à l'identique une réalité qui de toute façon lui échappe, mais en captant avec des mots, dans le réseau qu'ils forment, ce qui déjà était en jeu dans telle situation critique.
Mais venons-en au trait spécifique de ce rituel originaire. Outre les deux sacrifices, expiation et holocauste pour le prêtre et pour le peuple, il y a le fameux rite du bouc-émissaire : on tire au sort entre les deux boucs apportés pour l'expiation du peuple, l'un sera à sacrifier et l'autre portera les fautes du peuple vers une contrée solitaire, où il sera lâché, vivant, dans le désert ; le prêtre ayant placé ses deux mains sur la tête de ce bouc pour y transférer les fautes de tout le peuple.
C'est la Torah qui a inventé ce rite du bouc-émissaire ; et l’on sait qu'au cours de l'histoire, c'est le peuple de la Torah, le peuple juif, qu'on a pris pour bouc-émissaire, au sens strict de lui faire porter les ratages et les manquements du groupe ambiant et ensuite le rejeter, l'envoyer au diable ; ce « diable » pouvant être un ghetto réel, une exclusion, ou un camp d'extermination. Il y a là une logique du retournement, typique des actes antijuifs depuis des millénaires : une façon qu'ont eu les peuples, ou plutôt leurs élites religieuses, politiques ou pensantes, de s'approprier des rites inventés par les Hébreux en les retournant sur les Hébreux comme pour se débarrasser de l'origine même de ces rites, et de ce qu'ils rappellent ; à savoir le manque à être intrinsèque aux personnes et aux peuples, la déficience incontournable, la castration qui fait renoncer à tout avoir ou à être le tout. Exemple emblématique : l'accusation de meurtre sur les enfants chrétiens lors de la Paque. La Paque, invention biblique s'il en est, commémore la sortie de l'esclavage sous le signe d'un sacrifice qui épargne les aînés. Autrement dit, les hébreux ont mis leur fête inaugurale, celle qui marque le début de leur devenir peuple, sous le signe d'un sacrifice qui épargne les enfants aînés. Et c'est justement l'accusation que leur retourne l'acte pervers inspiré par la vindicte antijuive : les juifs veulent le sacrifice des enfants, ceux des autres bien-sûr. Ont-ils été martyrisés ou exterminés dans les camps nazis ? Eh bien, ce sont les rescapés mêmes de ces camps, les victimes de la rage antijuive la plus folle, ce sont eux qui deviennent les bourreaux du peuple palestinien, avec une nette prédilection pour le meurtre des enfants (et on comprend qu’il y ait des Mohammed Mérah…); alors que c'est leur retour sur leur terre ancestrale et l'existence de leur souveraineté qui semblent inacceptables par ceux dont l'identité se définit pour ainsi dire, par le rejet radical de toute souveraineté juive.
Cette tendance au retournement a des causes précises ( j'ai théorisé la chose plus cliniquement dans mon livre Perversions). Le rapport au peuple juif, chez ceux qui supportent mal son existence, est fondé sur une négation particulière qui s'appelle le démenti ou le déni (Verleugnung, c'est le terme introduit par Freud, quand il parle du déni de la castration féminine chez le fétichiste, qui ne supporte pas la béance du sexe maternel). Démenti de quoi, s'agissant du peuple juif ? Démenti de ce que j'appelle son hypothèse fondatrice, à savoir : il y a pour nous de l'amour dans l'être (en termes religieux : Dieu nous aime, même s'il nous inflige aussi de dures corrections). Pour ceux qui ne supportent pas cet amour de l'être et sa transmission qui ne cessent de faire exister ce peuple, il s'agit donc de le démentir, en essayant d’arrêter ce peuple, de le déloger de cette position symbolique, de le mettre aussi bas que possible dans les faits, ou en paroles si les faits résistent. De sorte que tout acte inspiré par la vindicte antijuive a forcément un caractère de déni, de démenti. (Il arrive même, aujourd'hui où être antisémite n'est pas bien vu officiellement, que l'on commette des actes antijuifs en niant qu'ils le soient. Il est même exigé de nier que des textes fondateurs musulmans soient antijuifs ; et prétendre le contraire peut même vous faire qualifier de raciste ou de xénophobe.) Contre toute cette tendance qui fonde un certain conformisme européen, la riposte principale c'est d'exister, de façon plus intense, plus brillante, plus ouverte, plus apte au partage avec les autres des richesses de cette transmission.
Cela dit, le retournement lui-même se retourne : plus ils « tapent » sur l'existence de ce peuple, plus ils la renforcent ; plus ils ont besoin de taper dessus, plus ils le font exister. L'histoire du conflit au Proche-Orient est là-dessus éloquente : Israël s'est renforcé de la série des refus arabes de reconnaître son existence ; et déjà au départ, il a pris des forces dans l'anéantissement partiel qu'a connu le peuple juif pendant la guerre. Dire que le retournement se retourne, c'est dire simplement qu'il est continuel, comme un manège incessant, qu'il faut savoir intégrer à l'existence.
Le chapitre 17 concerne l'interdit de faire des sacrifices en dehors du temple. Interdit de se fabriquer son petit temple personnel pour contacter le divin à sa guise. Comme d'habitude, la sanction ne fait que reformuler la faute : celui qui fait cela, qui fait donc un sacrifice sans l'apporter à l'entrée du sanctuaire, celui-là est exclu de son peuple. C'est à vrai dire le constat d'une réalité : ce sujet s'est lui-même exclu en se faisant son petit temple à lui. Façon de dire que cette transmission symbolique qui accompagne constamment l'existence de ce peuple et qui, en un sens, la refonde sans cesse, cette transmission ne peut pas se faire en solitaire, sans référence aux autres, et sans référence au lieu qui fonctionne pour les autres comme lieu de rendez-vous avec l'être divin, ou du moins avec son nom, son appel, ses rappels etc.
Le chapitre 18 est consacré aux interdits sexuels, et c'est un véritable tour d'horizon des rapports incestueux ou incestuels, en vue de les interdire.
Ces interdits sont introduits par deux idées : ne reprenez pas les pratiques de l'Égypte d'où vous sortez, ni les pratiques de la terre de Canaan vers laquelle vous allez. Suivez les lois de YHVH, car par elles, l'homme peut vivre. Autrement dit, ce sont des lois qui transmettent de la vie. Sous le signe de ce rappel, on peut mieux comprendre l'interdit de l'inceste qui est formulé avec toutes ses conséquences, énoncées dès la première phrase, verset 6 : que nul d'entre vous n'approche de ses proches parents pour découvrir leur nudité ; je suis YHVH.
Aussitôt après cet énoncé général, vient le premier interdit : ne découvre pas la nudité de ton père et la nudité de ta mère, c'est ta mère, ne découvre pas sa nudité. L'énoncé est d'une simplicité biblique. S'il avait simplement dit : ne découvre pas la nudité de ta mère, car c’est ta mère, on en serait à une loi qui est là parce qu'elle est là, qui ne demande pas d'explication, « c'est comme ça », et c'est ce qui distinguerait les hommes des animaux. (Il n'empêche que des hommes très civilisés et intégrés dans les hautes sphères de la société se révèlent parfois incestueux, tout en présentant les caractères usuels de l' « humanité »). En mettant dans la même phrase l'interdit sur le père et sur la mère, et en privilégiant la référence à la mère, le texte signifie clairement : ne jouis pas du corps d'où tu viens ; et secondairement, ne touche pas à la nudité du père car elle est impliquée dans celle de la mère pour ta conception. Le texte pose donc fermement l'interdit d'une transmission régressive, où il y aurait des boucles qui repasseraient par l'origine ; la transmission est orientée vers l'avenir donc vers la sortie de là d'où l'on provient, c'est-à-dire de la mère. En ce sens, on peut dire que l'interdit de l'inceste est un acte de foi, foi dans l'être et dans l'avenir, plutôt qu'un acte motivé, raisonnable. (Beaucoup d'ethnologues ayant cherché en vain la raison de l'interdit de l'inceste n'ont pas pu faire mieux que de le poser comme fondement de la société. Or l'interdit de tuer est aussi fondamental : si l'on tuait les gens au coin des rues n'importe quand, il n'y aurait pas de société. Donc la trouvaille ethnologique, sur ce point, s'arrête net sur elle-même.) Il ne s'agit pas, dans cet interdit, de fétichiser la mère ou d'en faire un absolu ; ne dénude pas ta mère parce que ton père la dénudée ; c'est cela que signifie : c'est ta mère. Autrement dit, ne remonte pas vers ton origine charnelle pour y placer ta jouissance. (Ceux qui veulent à tout prix connaître le donneur de sperme qui a servi à leurs parents, couple stérile, pour les concevoir, pourraient y réfléchir, à ce besoin de remonter à l'origine charnelle pour mieux la « connaître », et que rien n'en échappe).
La plupart des interdits qui s'ensuivent sur les proches parents proviennent de celui-ci par contagion. Par exemple : ne touche pas à la femme de ton père, (même si elle n'est pas ta mère) car c'est la nudité de ton père, laquelle a touché la nudité de ta mère ; etc. Il s'agit d'exclure tout ce qui accomplit ou qui rappelle le retour au corps maternel dans son intimité. Même quand c'est lointain : ne découvre pas la nudité de la sœur de ton père, ni de la femme du frère de ton père, ni de la femme de ton frère, pour la même raison transitive.
Ce chapitre 18 s'offre donc un vrai balayage des rapports interdits, tous réductibles à l'interdit sur la mère.
Dans la foulée, il énonce d'autres interdits sexuels qui ne s'y ramènent pas. Par exemple, ne pas coucher avec une femme et avec sa sœur pour ne pas créer de rivalité ; ne pas s'accoupler avec un animal ; ne pas sacrifier un de ses enfants en offrande à Moloch. Et le fameux interdit : ne pas coucher avec un homme comme avec une femme. Là encore, la formulation est complexe. Le texte aurait pu dire : un homme ne doit pas coucher avec un homme. S'il évoque la femme, c'est qu'il ne veut pas qu'un homme joue le rôle d'une femme, ou passe pour une femme dans le rapport sexuel. C'est donc l'abolition d'une différence que le texte veut combattre. Cela peut déplaire à ceux qui aujourd'hui confondent l'égalité et l'effacement de la différence, notamment de celle qui est fondatrice de la transmission humaine. Mais le texte voit plus loin.
10 avril 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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