Ha-azinou : Prêtez l’oreille.
Ce poème est pour Moïse comme un dernier recours: après toutes ses mises en garde, toujours les mêmes, sa passion reste intacte de rappeler encore l'alliance, le rapport à l'être, les malheurs en cas d'oubli de l’être, etc. Rappeler tout cela, et savoir que ce rappel sera en partie sans effet.
Il faut ressentir le déchirement intérieur de cet homme, entre sa certitude d'ouvrir un chemin de vie et son autre certitude qu'ils vont quitter ce chemin, qu’ils vont errer et se retrouver la proie des pires dangers. C'est comme si Moïse butait, non sur la finitude humaine, qu’il connaît, mais sur quelque chose de plus pointu et d’irréductible : la tendance humaine à oublier l'essentiel, à se replier sur ce dans quoi on se reconnaît (ce qui est la base même de l'idolâtrie). Et cette tendance fait partie de la vie, sans elle la vie serait saturée d'absolu. Moïse bute sur l'absence de remède absolu, d'instrument infaillible, de méthode assurée qui empêcherait la chute, l’oubli, la trahison, la déchéance. Et c'est ce qui donne à son poème, à chacun de ses mots la violence et l’acuité qui l’ont porté jusqu'à nous et nous le donnent intact ; le temps ne l'a pas usé et n'en a pas émoussé l'acuité.
Ses premiers mots indiquent déjà une position poétique limite : se tenir entre ciel et terre, parler à l’un et à l'autre, exiger l'écoute, certes différente, de l'un et de l'autre. Puis il compare sa parole à une pluie qui vous frappe à la nuque ; l’image est précise : vous vous sauvez, vous courez, et la pluie de ses paroles vous rattrape. Rappelons qu’on est en plein désert, ou dans une terre aride. Il compare aussi son dire à la rosée ; son dire qu’il nomme léqah , du verbe prendre : c'est ce qu'il a pris, ce qu'il a reçu ; il veut que ses auditeurs le prennent, comme une provision de vie. Insistons-y, il bute sur le fait que cette parole radicale sera reçue et en même temps ignorée ; acceptée et en même temps oubliée. C'est cette faille essentielle qui est si dure à supporter pour celui qui apporte une parole forte et neuve.
Mais cela existe à des niveaux bien plus modestes. Pendant que j'écris ce texte, quelqu'un vient me harceler sur le fait que je ne diffuse pas mes livres à l'étranger, dans d'autres langues. - Tu ne veux pas avoir d'influence dans d'autres pays?, s’énerve-t-il. Je lui ai dit qu'ici même, en parlant à un auditoire dont j'emporte l'adhésion, je sais que dans les minutes qui suivent, ce sera oublié ; et que peut-être cela reviendra par petites bulles, par d’infimes réminiscences, dont certaines seront transmises, avec maintes déformations. Comme j'accepte cet état des choses, cela me donne non pas de la colère, mais une certaine sérénité. D'ailleurs, ai-je conclu, aucun de mes lecteurs enthousiastes n’est allé se démener pour trouver un éditeur américain et diffuser là-bas mes textes ; je sais qu'ils le seront plus tard, qu'importe le moment ? Il s'éloigne, songeur, et je reprends.
Moïse conclut ses premiers vers par : j' appelle (par) le nom de YHVH. Appel par la force du Nom comme tel. Il en parle comme d'un roc, dont l'œuvre est parfaite, et dont les voies sont justes. Et c'est bien vrai : tout ce qu'on nomme et qu'on appelle à exister à partir du nom de l’être, a sa perfection et sa justesse, même si c'est quelque chose d'insupportable, de monstrueux. Les voies de l’être sont justes, assurément. Mais c'est là une parole très violente, car on le sait, le monde, si dur soit-il, ne devient pas tellement meilleur quand les hommes y inscrivent leurs idéaux et leurs fantasmes ; à la rigueur, quand ils essayent de trouver les bons choix dans l'infini des possibles, c'est-à-dire quand ils communiquent avec l’être, selon toute sa nécessité.
Et cette nécessité, dont la « loi » a pu marquer les données initiales, voilà qu'on la trahit. Qu’on puisse l'ignorer, soit, qu'on ait du mal à la trouver et qu'on la cherche, passe encore, mais qu'on la torde et la distorde pour la corrompre, voilà qui révolte le poète ; pour lui, c’est l'ingratitude la plus bête. Des paroles fortes vous sont données et vous en faites de la bouillie, c'est, dit-il, un manque total de sagesse ; c'est ignorer d’où l’on provient, mépriser ses origines, donc se mépriser. On comprend qu'il parle de stupidité : quand des êtres produisent, du fond même de leur complaisance, un mépris pour eux-mêmes…
C'est ici que la métaphore du peuple hébreu est cruciale : il s'est inventé dans le rapport à l’être, on peut même dire qu'il est une invention « divine », inspirée, un peu folle parce qu'elle touche le point d'affolement d’un certain nombre d’identités. Ce peuple a été inventé comme pour inscrire
ce qui, dans toute nation, fait problème existentiel. La phrase est précise : « Quand le très haut fit hériter les nations, quand il différencia les hommes, il fixa les frontières des peuples d'après le nombre des enfants d'Israël » (32,8). Cela veut dire qu’à la frontière interne de chaque peuple, celle par laquelle une part de lui communique avec l'Autre, il rencontre le peuple juif. L'expression « d'après le nombre » (lé-mispar) a pour racine le mot spr qui permet de dire à la fois chiffre, livre, récit, coupure. En somme, ce vieux texte nous dit que les frontières des peuples, extérieures et intérieures, sur lesquelles ils butent et en même temps se sécurisent, ont à voir avec l'existence d'Israël comme parcelle de l’être-parlant. Vu que le vers suivant précise : « car son peuple est la part de YHVH, Jacob est la corde de son héritage » ; Jacob étant synonyme d'Israël.
Puisque, pour nous, YHVH est le symbole biblique de l’être, comme infini des possibles, on voit que l'expression part d’être, dont il m'arrive de faire usage, figure dans le texte. En somme, l’être déploie l'ensemble des peuples, il les distingue, (entendez : les peuples sont différents et sont dans des frontières chacun selon sa différence) ; chacun de ces peuples peut avoir son accès à l’être. Et le texte dit que toutes les voies d'accès à l’être, ont à avoir avec l'événement d'être que constitue Israël. Si les nations ignorent ou rejettent ce peuple, c'est qu'elles résistent à leur propre ouverture sur l’être ; c'est que leurs limites leur posent des problèmes qu'elles veulent ignorer.
En d'autres termes, le peuple juif a à faire au refoulement, au sien propre et à celui des autres peuples. Peut-être qu'à la croisée de ces refoulements une entente est possible, si les juifs retrouvent un peu plus de « torah », d'ouverture sur l’être, et si les autres veulent affronter ce qu'ils refoulent, ce que l'existence d'Israël ne cesse d'interpeller pour eux. Quand des sujets ou des peuples questionnent leur rapport à l’être, il y a toute chance qu'ils rencontrent de l'être-juif. De même, quand des Juifs se questionnent sur l'essentiel, ils trébuchent sur l’être-juif qu'ils ont tenté d'éviter. C'est cela même que ce poème leur reproche.
Retenons donc cette idée que le peuple hébreu est aux frontières des peuples, c'est-à-dire que son existence questionne le rapport de chaque peuple à son identité ; (c'est tellement clair s'agissant de peuples islamiques ou chrétiens, qu'il n'y a pas lieu de s'y attarder). Et selon que ce rapport est ouvert ou fermé, ils supportent ou rejettent l'existence du peuple hébreu, et sa souveraineté, possible ou présente.
C'est là une pensée actuelle. Ceux qui, par exemple, ne supportent pas l'existence d'Israël, ou imaginent que la solution là-bas serait « une terre pour tout le monde » où serait dissoute l'existence juive, ceux-là ont toujours, bizarrement, une pensée fermée, totale, qu'elle prenne la forme fanatique de l'identité pleine ou la forme de l'universel abstrait qui balaie les différences et les frontières, que le poème, au contraire, honore.
Ce peuple étant une invention du point de vue de l'être, une mise en existence de ce point de vue, une incarnation de ce point de vue, on peut préciser l'expression : le peuple de YHVH, c'est sa part. C'est la partie que joue l’être dans ses démêlés avec l'existant. Toutes les grandes et petites persécutions ou dissensions de tel peuple envers les Juifs reflètent sa méconnaissance du point de vue de l'être, de la parole de l’être (dvar YHVH), c'est-à-dire de ce qui est au-delà de sa parole manifeste. Quand, par exemple, Mohamed fait égorger une tribu juive, il signe la complétude de l'identité qu'il fonde, la même complétude qui, aujourd'hui, trace une frontière rigide autour de cette identité et fait que le rapport à l’être y est pour le moins difficile (vu qu’en outre, l’être y est toujours l’Etant suprême), et que beaucoup de ses membres butent sur la déprime, le fanatisme ou la pure satisfaction de l’identique.
C'est du reste cette satisfaction de l'identique que Moïse reproche aux Hébreux : vous êtes devenus gras, épais, complaisants, et vous avez oublié l’être.
Et il refait tout le parcours, il leur rappelle l'histoire : YHVH a trouvé ce peuple dans le désert. C'est dire, aussi bien, que ce peuple a fait la trouvaille de YHVH ; il a trouvé ce lien, cet appui, en plein désert, dans le tohu mugissant ; il s'est senti entouré, soutenu ; (dans mon langage : il a senti il y avait pour lui des points d'amour dans l’être). Moïse dit que YHVH a pris soin de ce peuple comme un aigle de son nid ; qu’il lui a fait boire le miel du rocher, qu’il l’a porté sur les hauteurs du monde, qu’il l’a nourri, et que le peuple rassasié s'est senti vaniteux, et a oublié ce à quoi il devait cette faveur. Ingratitude et trahison; déchaînement de malheurs, qu’exprime ici un déchaînement verbal ardu; qui vise à la fois Israël et ceux qui voudront se servir de cette colère de Dieu contre son peuple pour condamner celui-ci. Attitude dont on sait qu'elle a prévalu, des siècles et des millénaires plus tard. (L'argument majeur de l'Islam contre les Juifs, c’est qu'ils ont certes été « élus », distingués, mais qu’ils ont fauté ; ce qui met les fidèles d’Allah dans une posture bien difficile, celle de ne pas fauter, d’avoir une identité sans faille.)
Le poème est d'une tension extrême ; il penche parfois - comme un voilier sur le point de s’aplatir et de sombrer - vers l'anéantissement du peuple, vers l'extermination ; et soudain, il se redresse et reprend son envol vers la vie, en menaçant ceux qui voudraient tirer parti de sa faiblesse pour nuire au peuple de l’être. Parfois, c'est presque la même exaspération qui mêle juifs et non-juifs; avant que n'éclate l'appel final : Acclamez son peuple, ô nations, car il vengera le sang de ses serviteurs, il rendra à ses ennemis ce qu'ils ont fait, et son peuple expiera sa terre (ou sa terre et son peuple seront expiés).
Difficile de ne pas sentir la palpitation poétique de ces paroles, et leur actualité. (Pour ce qui est d'expier sa terre, au sens de la purifier et de souffrir pour elle, les exemples affluent.)
C'est que le poème tout entier est écrit dans un temps étrange : un passé qui s’écrit au futur et qui a valeur de présent ; un temps de l’être, à la fois mouvant et permanent. De fait, tout ce que décrit le poème, que la Torah a choisi pour être son point culminant, revient de façon récurrente, comme une chute et une détresse qui semblent être l’ultime recours pour relancer la transmission, et réaffirmer la vie.
Parasha de Vézot Habérakha (Deutéronome 33,1 à 34,12)
Le titre signifie «Voici la bénédiction» ; celle de Moïse, avant sa mort, pour les enfants d’Israël.
Et c’est encore un poème où, après avoir glorifié l’être divin, Moïse dit à chaque tribu sa vérité, celle de son destin, de ce à quoi elle est appelée, et il le dit sur un mode bienveillant, soutenant, qui reprend, de façon subtile et positive, les paroles de Jacob à ses fils avant sa mort. Sur un mode encourageant ; encourager, appeler le courage, la force du cœur sur ceux qu’on encourage, est une façon de bénir, quand cet appeler est un appel ancré dans l’être, dans la partie sainte de l’être ; comme c’est le cas.
Dans l’ouverture du poème, YHVH est appelé par ses provenances multiples, par les lieux d’où il s’est annoncé ; et le poète ajoute : « à sa droite (à sa partie forte) il y a une loi-feu pour eux (pour les Hébreux) (33,2) ». Et c’est à eux de se redresser avec ces paroles de l’être (33,3) qu’il leur adresse. Autrement dit, les paroles de l’être sont faites pour être portées, et aussi pour aider l’homme à se porter plus loin que lui-même, à supporter l’existence, non pas dans la résignation, mais dans l’idée qu’il y a toujours un support dans l’être et qu’il s’agit de le trouver.
Commence la série des paroles pour chaque tribu. L’aîné Réouben n’a droit qu’à un appel, mais très aigu : «qu’il vive, qu’il ne meure pas et qu’il soit nombreux». On se souvient que Jacob avait écarté son aîné, car il avait commis l’inceste ; ici, il est maintenu en vie, toujours. Ce serait une chose étrange que ses descendants soient condamnés pour la faute de leur ancêtre. Donc, que vive la descendance malgré la faute de l’ancêtre.
Puis c’est Judah, l'aîné spirituel qui est appelé en ces termes : Voici pour Judah ; que YHVH entende la voix de Judah et l’amène vers son peuple ; donc vers son destin, vers son devenir peuple. On tressaille en écoutant cette parole avec ses accents actuels ; d’autant qu’elle se ponctue : et sois (YHVH) une aide contre ses ennemis. Dire que Judah, c’est-à-dire le peuple juif, sera aidé par l’être, c’est dire qu’il sera aidé, qu’il trouvera l’aide essentielle, face à tout ennemi.
Ensuite, Moïse gâte la tribu de Lévi, c’est la sienne, celle des prêtres, des gardiens de la Parole et de l’alliance. C’est à eux d’enseigner et de porter les sacrifices ; ils donnent le sens et offrent l’encens. Ils intercèdent, il faut donc qu’ils soient bénis; que soient brisés les ennemis de Lévi, ceux qui se dressent contre lui (33,12). Subtile économie de l’hébreu : cette longue expression se dit d’un mot : qamav, de la même racine que maqom, le lieu. Ceux qui prétendent avoir lieu contre lui se briseront les reins.
Benjamin aussi, aimé de Dieu, demeurera en paix.
Mais c’est à Joseph (donc à Ephraim) que va la plus forte bénédiction : que sa terre soit bénie par le désir des cieux, de la rosée, de l’abîme ; le désir des récoltes solaires des fruits précieux éclairés par la Lune... Les désirs sont les profondes aspirations - des montagnes d’Orient, des collines éternelles, de la Terre avec ses richesses ; c’est le désir de l’être divin qui brûle dans le buisson (Buisson ardent, rencontre première avec Moïse). Jacob avait dit que Joseph, assailli par les archers, a tenu bon ; harcelé par leurs flèches, son arc est resté ferme ; par la force de Celui qui inspire Israël. Ici, sa force est comparée aux cornes du Réem, avec lesquelles il disperse ses ennemis. Ces cornes, arborescences qui relient l’animal au divin présent dans l’arbre (de la vie, de la connaissance…).
À chacune des autres tribus, comme à celles-ci, Moïse assigne une forte prise sur le possible, une accroche singulière et fructueuse ; puis il conclut : il n’y a rien comme le Dieu de Yéshouroum (d’Israël) qui chevauche les cieux en étant un recours.
Arrêtons-nous sur ce verset (33,27) : Le divin éternel est un lieu d’être, une résidence. Cela signifie que l’être reste, l’être demeure. Et c’est de cet être-demeure que surgit le projet d’une terre où demeure le premier peuple de l’être, appelé à y bâtir une demeure de l’être. Vaste projet : comment être là, et résider dans ce lieu aussi branché sur le divin et d’où s’énonce l’impératif : chasser des peuples et prendre leur terre pour en faire la terre où s’accomplit la promesse divine ? Il est écrit que c’est ce Dieu qui les chasse devant son peuple et qui dit : achève-les. Voilà qui ne convient guère aux tenants de la non-différence, pour qui des peuples vivant sur une terre doivent toujours la posséder. Et ici pourtant, une différence brutale s’affirme : une rupture avec le lien naturel à la terre ; ces petits peuples idolâtres doivent être vaincus pour qu’un lieu d’être de l’alliance puisse s’inscrire. Du reste, les hommes n'ont jamais procédé autrement pour conquérir ce qui deviendra leur terre. Quand on parle de la conquête pacifique, c’est que le rapport des forces est tel qu’il n’y a pas lieu de le mettre en acte dans la violence. Ici, c'est la conquête d'une terre portée par la parole de l’être. Bien sûr, tant de conquérants ultérieurs ont imité cette démarche en brandissant les emblèmes de leur Dieu. Mais outre que les Dieux ne sont pas équivalents, on a ici un cas étrange : le peuple a peur de conquérir, et c’est le Dieu qui le punit de cette peur, de cette résistance à conquérir un lieu d’être où l’être puisse se donner lieu ; l’être divin. En outre, c’est le seul cas où la possession d’une terre par son peuple est conditionnée par sa conduite, par sa façon de tenir aux appels d'être.
Aujourd’hui, les occupants dits naturels de cette terre, les Arabes, sont venus eux aussi dans une conquête militaire, brandissant le Livre et le sabre, Livre prélevé dans la Torah qu’il simplifie. Ils sont aussi peu naturels que les Hébreux qu’ils veulent soumettre. Mais ce n’est pas d’eux qu’il est question : il s’agit des peuples archaïques, originaires, - jébuséens, émorites, hivites, etc., - qui furent vaincus par Josué ; pas complètement, ils ont laissé des restes hostiles (on n’efface jamais tout de la première origine). Le texte se réjouit de revendiquer leur défaite : « Heureux sois-tu, Israël, qui est comme toi ? peuple sauvé par YHVH, bouclier de soutien, toi qui t’enorgueillis de l’épée ; que tes ennemis tombent devant toi et que tu foules leurs hauts lieux » (33,29).
Aujourd'hui, où l’on brandit l’universel direct, total, abstrait, auquel personne ne se tient puisqu’il n'y a que des singularités irréductibles, de tels versets sont inaudibles. Pourtant, ils ont leur vérité, et elle traverse les couches épaisses d'hypocrisie où le vainqueur prend des airs contrits, où le plus fort doit feindre la faiblesse, et risque de laisser les plus faibles lui faire la loi. Et si le fort se laisse ainsi châtrer, c'est que dans sa toute-puissance, il n'a pas le sens de la castration, c'est-à-dire de l'incision intérieure par laquelle il peut intégrer la limite et l'altérité. En un sens, il mérite de se faire posséder voire écraser par les plus faibles.
Le dernier chapitre (34) dit quelques mots de Moïse et de sa mort : il est monté et il a vu le pays où il n’ira pas.
Il fut enterré sans que l’on sache par qui, peut-être par personne, et nul ne connaît sa tombe. Il avait 120 ans à sa mort, son œil n’a pas faibli et son menton n’a pas fui (34,10). Il n’y eut plus en Israël de prophète comme Moïse, que YHVH connaissait face à face. Le texte le glorifie pour sa main forte et pour la terreur qu’il a produite aux yeux des enfants d’Israël (avec ses miracles en Égypte et ailleurs). Sa main forte, c’est ce qu’un midrache commente en ces termes : Quand Dieu a vu du Sinaï l’orgie idolâtre du Veau d’or, il a voulu retenir la Loi, pour lui, jugeant que ce peuple en était trop indigne ; et Moïse a dû lui arracher les Tables. C’est dire qu’il a dû se battre avec ce Dieu qui se mortifiait; il a dû vaincre la mortification de l’Autre pour sauver la Loi, quitte à briser ces Tables très vite après, en voyant lui-même le Veau d’or ; et à les faire réécrire ; il n’y a là rien à « regretter » : cette brisure et ce qui s’ensuit ouvre la voie au parlécrit, à l’incroyable obstination de parler, écrire, réécrire, dire autrement, interpréter ; créer la transmission où tout un peuple prend sa mesure et puise ses appels à l’infini.
Fin du commentaire de "parashah". Non qu'il soit fini, il est réellement infini, mais nous en avons bouclé le cycle annuel.
En effet: la Torah se compose de cinq livres (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome), dits « de Moïse ». Elle est lue par fragments hebdomadaires, appelés parashah, (en latin péricope), qui comportent plusieurs chapitres.
Les trois premières parashahs sont : Béréshit, Noah, Lékh Lékha. Celle de Béréshit est déjà commentée dans Lectures Bibliques (40 pages lui sont consacrées). Celle de Noah également (deux chapitres lui sont consacrés); ainsi que celle de Lékh Lékha, (« pars pour toi », parole dite par YHVH à Abram, le futur Abraham); les trois sont commentées dans Lectures Bibliques. Ce qui nous amène à la Parasha de Vayéra, par laquelle nos commentaires ont commencé l’an dernier et se sont poursuivis jusqu’à la fin de la Torah.
Notre "lecture de la Torah" fera partie de Lectures bibliques II, à paraître.
17 octobre 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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