Je lis une interview (Corriere della sera 1er août) d'une militante de la « théorie du genre », Naomi Wolf, juive américaine comme il se doit, et très hostile à Israël. Elle dit qu’on n'a aucune preuve que le Hamas utilise les civils comme boucliers humains. Pourtant des témoignages existent, et des images, montrant que le sous-sol de Gaza c'est toute une ville de tunnels remplis de missiles ou d'explosifs. Ceux qui ont fait ces tunnels, n’ont sans doute pas fait d’efforts pour éviter de passer sous des maisons habitées, des hôpitaux, des pharmacies, des mosquées, etc. D'ailleurs Mme Wolf ajoute elle-même que Gaza étant très peuplée, où que se trouve le Hamas, il est entouré de civils. Cela doit donc le rendre intouchable. Mais n’est-ce pas cela même qu'on peut appeler usage des civils comme bouclier, dès lors que le Hamas mise sur la veine humanitaire qui est très vive comme chacun sait ? Du reste, à la question : Qui, dans cette guerre, a raison d'après vous ?, la dame ne répond pas et ramène à l’essentiel : il y a là-bas une catastrophe humanitaire. Les causes ne la concernent pas.
Une militante de la théorie du genre, capable de nier la réalité de la différence sexuelle par laquelle l'humanité se reproduit, est donc capable d'autres dénis de réalité ; par exemple, nier que les tirs de fusées sur des zones peuplées, sont strictement conformes à la définition admise d'un acte terroriste : lancer des explosifs sur une foule en vue de la terroriser. Bien sûr, le Hamas qui fait cela pour exalter la plénitude de son islam, peut rétorquer que cette foule n'est pas faite de civils ordinaires, c'est une foule de juifs donc d’ennemis. De sorte qu'en lançant des missiles et roquettes sur les villes d'Israël, il ne fait que mener une guerre, qui en outre est « sainte ». Pour admettre son argument, il faut admettre que tout juif comme tel est un homme à abattre. Ceux pour qui le Hamas mène une guerre légitime et juste admettent cela sans le dire. Espérons que beaucoup d’autres rejettent cette idée (que les Juifs comme tels sont à combattre).
On peut aussi objecter que la population d'Israël qui reçoit ces missiles s'en protège du mieux qu'elle peut, et plutôt bien, qu'elle n'est donc pas vraiment terrorisée. Mais alors, faut-il admettre que la fermeté la discipline et le courage d'une population changent la nature de l’attaque qui la vise ? En somme, quelqu'un vous agresse violemment, et si vous esquivez le coup, c'est que ce n'est pas une agression. On prend alors des photos de vous et des vôtres, on voit que vous menez une vie presque normale ; on en déduit que l'agresseur n'en est pas un, encore moins est-ce un terroriste. En revanche, on filme ce qui lui arrive, à lui et aux siens, suite à vos efforts pour le désarmer, on voit des morts des blessés ; on en oublie la cause, et l'on retient le résultat : c'est vous l’agresseur et c’est vous le terroriste.
Cette logique incite à réfléchir sur les montages pervers. Je les ai étudiés naguère (dans mon livre Perversions), mais ici les exemples sont nombreux et immédiats. Tout juste hier, le Hamas a demandé et obtenu une trêve humanitaire ; et il faut être bien inhumain pour la lui refuser. Mais au cours de cette trêve, un soldat israélien qui y a cru et a pu être moins vigilant, s'est fait enlever. Le Hamas a donc manqué à sa parole ? Qu’à cela ne tienne : ce n’est pas lui, c’est sa branche armée qui …lui « échappe ». Puis, devant le tollé, il ne confirme ni ne dément ; enfin il impute l’enlèvement à… l’armée israélienne, qu’il accuse de le cacher, puis de l’avoir tué…avec ses bombardements. En fait, à travers ces paroles chaotiques, le Hamas peut toujours objecter : face à des Juifs, il n'y a pas à tenir parole. (Du coup, les Israéliens doivent intégrer qu'ils n'ont pas d'interlocuteur. Les dirigeants doivent déjà le faire admettre à leurs citoyens, car une partie d'entre eux leur dit : si on en est là, c'est que vous n'avez pas voulu discuter avec le Hamas.)
La position perverse consiste à dénier la réalité où l'autre existe ; à nier cette existence et à faire admettre ce déni comme étant la vraie réalité. Que l'autre - juif - soit l'objet d'un déni radical de la part de l'islam radical, dont le Hamas est un exemple, est assez clair. Son effort pour le négativer devant le monde-téléspectateur est sa seule stratégie : montrer qu’Israël ne cherche qu'à tuer des civils, surtout des femmes et des enfants. L'argument est absurde, car si l'État hébreu voulait tuer des civils, il pourrait le faire directement, et non au prix d'opérations coûteuses et de tirs compliquées. Pourtant cet argument, qui relève d'un montage pervers, est largement répercuté. C’est qu’il y a un lien profond entre perversion et débilité : les deux consistent à ignorer la réalité qui les gêne. Le pervers l'ignore par « science », et le débile par inconscience. Le Hamas exhibe les pertes civiles qu'il réussit à obtenir, en cachant qu'il a forcé ces pauvres gens à rester sur place, quand les Israéliens les ont prévenus, souvent par téléphone, que l’immeuble serait détruit par l'explosion du tunnel ou du stock de roquettes qui est en dessous. (Un reportage de la télé allemande, peu diffusé, montre la scène où les hommes du Hamas à coups de bâtons ramènent chez eux ces habitants qu’ils dénoncent comme des « perdants »).
L’acte pervers typique est de mettre un obstacle devant l'aveugle ; ou de l'ombre devant ceux qui voient. Mettre de l'ombre c’est cacher une part de la réalité pour l'ajuster à ses fins. C'est par exemple dire qu'Israël rompt la trêve humanitaire, sans dire que le Hamas, plus porté sur la haine des juifs que sur l’amour des humains, en profite pour agir.
Le Coran, lui, fait maudire les juifs (et les chrétiens) part Allah, Dieu supposé du monde, en attendant que ses fidèles activistes les fassent maudire par le monde, en misant sur la scène perverse : des gens qui souffrent, qui meurent, ou qui pleurent des proches tués, sans qu'on sache le pourquoi du comment. Le non-débile quant à lui, en conclurait tout autre chose : voilà ce qu'il en coûte d'agresser un État souverain quand on n'a pas les moyens de le vaincre ; il en déduirait qu'il ne faut plus agresser cet Etat. Mais ce serait là une logique non perverse ; et le Hamas, à qui ces morts ne coûtent rien (au contraire, il lui rapportent), peut toujours rétorquer : nous ne pouvons pas vivre heureux tant qu'il existe un État juif.
Du coup, c'est le Tiers (ni juif ni musulman) qui est interpellé. Pourquoi n'impose-t-il pas un cessez-le-feu ? Ce serait parfaitement faisable. Ainsi, d'ordinaire, le tiers dans les rapports humains, c'est l'argent ; les Etats qui financent le Hamas, par exemple le Qatar, l'Arabie, ou l'Europe, peuvent bloquer les fonds si les tirs de roquettes et missiles ne cessent pas. Or ils ne le font pas. Il y a sans doute, là aussi, un ressort pervers à l’œuvre : des Etats hostiles à Israël ne sont pas fâchés de le voir s'empêtrer dans une guerre longue et difficile ; dont ils espèrent également qu'elle affaiblira le Hamas. Ils laissent donc se prolonger une guerre qu'ils déplorent. Et comme l’effet banal de la perversion, c'est d’inverser l'ordre « normal », verra-t-on des Casques bleus débarquer en Israël pour l’empêcher de riposter, plutôt qu'à Gaza pour stopper les tirs de missiles? On a déjà vu la responsable onusienne des Droits de l'homme blâmer Israël parce qu’il ne partage pas son Dôme de fer avec le Hamas.
La perversion, une fois qu'elle introduit un déni, une occultation, dans un système plutôt rationnel, peut produire du chaos, physique ou psychique. Il se peut même qu'un discours pervers (et l'action qui s'ensuit) consiste simplement à retirer ou occulter, dans un discours logique, telle relation causale, telle articulation, pour mettre de l'ombre là où il y a un peu de lumière ; de l'ombre qui doit cacher une chose très simple : la détestation de l'autre, la rage de voir que son existence introduit en vous l'altérité insupportable. C'est le cas de l'existence d'Israël comme État juif (là encore, beaucoup occultent le fait que « juif » ne veut pas dire religieux, qu'il s'agit d'une identité fondée sur une transmission millénaire de symboles dont bien d'autres ont bénéficié, y compris les musulmans.) Cette existence se révèle être, surtout chez ceux qui la détestent, synonyme d’altérité insupportable, au point que le problème, au Proche-Orient, semble être une variante du problème existentiel par excellence : comment exister alors qu'on a près de soi, et même en soi, de l’autre qu’on ne peut pas ramener à soi ?
Là-dessus, les critères que voudrait imposer la morale mondialisée ne valent pas cher : tout le monde doit aimer tout le monde, car il n'y a pas de différence, les peuples et les gens s’équivalent ; des identités peuvent être irréductibles, avec une bonne gestion, elles doivent pouvoir s'entendre et vivre ensemble. C'est mettre la barre si haut, qu'on se retrouve très bas. La vérité est qu'on n'a pas besoin de s’aimer et de se comprendre pour feindre de remplacer le fait qu'on est incompatibles, mais qu'on peut vivre côte à côte, avec de temps à autre, des signes témoignant de la manière dont chacun est branché sur l'ailleurs. Pour cela, il faut que les honnêtes gens prennent leurs responsabilités (mais oui, cela arrive dans une vie), et s'engagent à empêcher que des fanatiques fassent la loi aux autres, la loi de leur force, ou pire, la loi de leur faiblesse. Si le Hamas produit un tel chaos chez les siens, c'est qu’il est faible, trop faible au regard de l'hégémonie que promet son credo.
Certaines sont impressionnés par le fait qu’une posture pro-Hamas et antijuive semble fréquente, voire évidente sous la pression des images et des médias. Il ne faut pas s'en inquiéter, (sauf si l'on fait partie de ces juifs qui veulent être aimés par tout le monde faute de sentir en eux l'amour de ce qui les fait exister). Ces mêmes masses changeront de bord quand elles verront que « les chrétiens » (les Occidentaux) sont eux aussi « maudits » par l'islam radical, et quand elles verront celui-ci tenter de leur imposer sa loi. Il est vrai qu’en attendant, il faudra supporter cette perversion de l’humanitaire (où l’on réclame pitié pour des gens qu’on expose et qu’on empêche de se protéger). C’est curieusement le seul point d’accord entre Occidentaux et instances islamiques ; mais cette sorte d’effusion ne tiendra pas longtemps devant l’épreuve de réalité.
P.S L'exemple que j'ai pris, du soldat israélien, se révèle plus complexe. Il y a eu enlèvement, ou tentative, ou annonce (que le Hamas n'a pas infirmée) ; les Israéliens l'apprennent, rompent la trêve, (ce qu'ils ne font pas sans raison majeure); et déclenchent des tirs aériens pour empêcher que le soldat soit exfiltré. Il est mort dans ce combat; peut-être même de ces tirs. Enlever un soldat, ou faire croire qu'on l'enlève, pour provoquer un combat où il est tué, peut-être par les siens, comme montage pervers, c'est presque parfait. Mais là encore, le Hamas a sa raison: dans la guerre sainte contre les juifs, il n'y a pas de limite ou de parole qui tienne. (Quant au soldat, les Israéliens ne peuvent qu'annoncer : il est mort au combat ; et la télé française peut compléter :"ce qui exclut toute idée d'enlèvement". Le tour est joué.)
Mais on oublie que l'essentiel du montage pervers est dans ce qui le reproduit, dans le système éducatif qui, à Gaza, sature les enfants de haine antijuive. C'est du même ordre que mettre un obstacle devant des "aveugles" - devant des êtres qui ne savent pas - et enlever de la lumière à ceux qui pourraient voir.
Parasha de Va-éthannane (Deutéronome 3,23 à 6,11)
C'est là que la mise en garde du peuple contre l’oubli est pathétique, car Moïse sait très bien que l’oubli et le délaissement de l’alliance sont plus que probables. Mais il y va quand même, sans déni de la réalité ; il y va d’une nouvelle recharge de culpabilité, pour prévenir l les fautes qu’il sait inévitables. C’est son acte de foi à lui, foi en l’alliance entre YHVH et ce peuple, qu’il aime et à qui il en veut de n’être pas un peu meilleur.
Ce texte, comme tout le Deutéronome, répète des choses connues dans les quatre livres de la Torah. Moïse les répète et se répète. Or si il y a tant de répétition (y compris au sens théâtral où l’on répète avant la représentation), la moindre des choses est d'observer ce qui ne répète pas, ou ce qui se répète avec certaines différences. On sait que Freud demandait parfois a ses patients de répéter le récit d'un rêve, comptant sur les différences entre les deux versions pour trouver des points d'accrochage.
Ici, la répétition produit de nouveaux textes comme le Shéma Israël, qui ont leur force et leur beauté propres. Mais d’abord Moïse répète ce reproche : Dieu s'est mis en colère contre moi à cause de vous, et m’a interdit la terre promise. Reproche étrange, car ou bien cette colère est justifiée, quelle qu'en soit l'occasion, ou bien ce Dieu peut être injuste Admettons qu'il puisse l’être au sens où l'on dirait : « c'est trop injuste que je n’entre pas dans après vous avoir conduits depuis l'Égypte jusqu'ici » ; ou bien : « c'est trop injuste que je meure maintenant alors que tout est possible, pas seulement le fait de survivre », etc.
À moins que ce ne soit une surcharge de culpabilité qu’il leur met sur le dos, qui ne serait pas très convaincante : on n’imagine pas des Hébreux se retenant de fauter en se rappelant que c'est de leur faute si Moïse n'est pas entré en terre promise.
La véritable insistance de ce texte est plus globale, jusqu'à la saturation, sur le thème : prenez garde, si vous n'écoutez pas la parole de YHVH, vous serez défaits, dispersés parmi les nations. C'est un thème déjà traité dans la Parasha de Béhouqotaï, avec la fameuse alternance de bénédictions en cas d’écoute et de malédiction sen cas de rejet de la parole divine.
Ici, le Moïse que ce texte fait parler, cherche à être plus convaincant. Il dit d'abord : "étudiez et assumez cette parole, c'est cela même qui distinguera ce peuple parmi les nations ; parce que les lois de cette parole sont pleines d'intelligence". (Il n'envisage pas le cas où d'autres peuples, jaloux de cette intelligence, la dénonceraient comme de la ruse, de la perversion). Il pense vraiment que des peuples (v. 46) diront : c'est un fait que ce peuple est plein de de sagesse et de grandeur ; qu’ilsn’entreront pas dans les méandres du déni, où la reconnaissance s'inverse en méconnaissance volontaire, organisée, transmise en calomnie au fil des générations. Ce que veut d’abord Moïse, c’est que les Hébreux eux-mêmes soient convaincus de cette sagesse et de la valeur incomparable de leur héritage.
Et c'est là qu'il évoque un fait connu mais sur lequel il insiste : YHVH vous a parlé de l'intérieur d'un feu ardent, il vous a fait entendre sa voix, sans que vous ayez vu d’image. Le feu parlant, c'est le mont Sinaï, et c'est aussi pour Moïse le Buisson ardent. D'ailleurs, il dira : car YHVH ton Dieu est un feu dévorant (v. 24). Si il n'y avait pas d’image, il ne faut donc pas en faire pour les adorer, imitant ainsi d'autres peuples. (De là provient l’interdit de faire des images tout court ; interdit qu’ont promu des rabbins zélés, trop prévenus de la dimension narcissique collective : si vous faites des images à glorifier, vous risquez de les trouver adorables et vous les adorerez.)
Mais Moïse apporte une nouvelle idée : il y a une première fois ; la parole de feu s'est fait entendre une première fois, unique, qui s’est perdue mais qu'il faut transmettre à travers les générations. La tradition, plus tard, n’admettre plus de « voix celeste », ou ne l’évoquera que par métaphore, dans les Midrashs et récits édifiants. Elle posera que la parole divine est sur terre, pas dans le ciel. Mais ici, on pose qu'il était une fois où la parole de l’être s'est fait entendre dans le feu, sur les hauteurs de la montagne. Et comme cette hypothèse est complexe, elle risque de devenir une pure croyance, avec ce paradoxe: C'est une croyance qui servirait de preuve pour maintenir la transmission. Alors Moïse affine son discours: Il y a eu la voix, dans le feu, mais vous avez eu peur de l'entendre, peur d'entendre Dieu et de mourir ; alors vous m'avez demandé de m'interposer, et Y lui-même a accepté que je n'interpose et que je vous transmette les paroles de sa voix.
Donc même cette première voix, cette première fois était scindée, entre une part divine insoutenable et une part humaine plus audible (pas forcément plus facile à accepter). Cette scission originelle, ou cette double dimension, a dû contribuer à ce que les Juifs qui ont fait le christianisme aient tenu à faire du Sauveur un être double, partie homme et partie Dieu. (Dans la foulée ils ont choisi d'incarner en lui le peuple hébreu comme tel, pour rendre celui-ci inutile, ou plutôt pour « accomplir », pour mettre fin à son histoire trop éprouvante, pour y trouver une solution, en somme.)
Avec l’interdit d’ « adorer » ce qu’adorent les autres peuples, il y a ici le principe d'une singularité collective, celle d'un peuple ; c’est non pas un particularisme, mais ce que j'appelle une singularité universelle, celle dont les effets peuvent être reconnus par des gens et des peuples honnêtes. (Cette reconnaissance elle-même, en tant qu’épreuve, peut aussi bien les rapprocher de leur niveau d’honnêteté ; où ils n'auraient pas besoin de projeter leur jalousie en inversant la reconnaissance en calomnie.) Il y a ici une position philosophique, culturelle, ontologique : totalement différente de l'universel direct donc les philosophes des Lumières ont rêvé, qu'ils ont imposé en surface puisque leur principe ne peut être qu'en surface: il dicte l’effacement de l'individu au profit du bien commun qui est plus universel. (Le résultat aujourd'hui, dans les pays qui s’en réclament, n’y ressemble pas vraiment). La singularité universelle dont il s'agit ici est supposée ancrée dans l’être, dans le feu de la parole de l’être, et à se transmettre à travers les épreuves existentielles.
On a donc une mise en garde émouvante contre tout ce qui aurait d'emblée valeur universelle - comme les éléments naturels ou cosmiques dont YHVH a fait « la part » des nations ; c'est leur part, mais toi, (peuple hébreu), il t'a pris, il t’a ta sorti d’une fournaise de métal pour faire de toi son héritage. Il y a ici presque un jeu de mots sur LQH (il t’a pris) et HLQ (il a donné ces éléments en partage aux nations). Ta part à toi, c'est le fait que tu es pris par l’être pour te transmettre dans sa parole.
Les mises en garde de Moïse sont de plus en plus pathétiques, presque désespérées : n'oubliez pas. Il veut travailler contre l'oubli. Or si il n'y a pas d'oubli, on est dans le pur présent, dans le foyer originel. C'est donc un appel non à ne pas oublier mais à combattre l’oubli, à le doubler de rappel. Il aura une dynamique d'oublis-rappels, qui portera la transmission.
Le rappel c'est aussi l'idée de retour. Et ici Moïse fait une ouverture nouvelle: Quand tu fauteras, que tu seras vainsu, malheureux, dispersé, si tu retournes jusqu'à YHVH pour entendre sa voix, alors sache que c'est un Dieu de miséricorde, qu’il ne te rejettera pas, et ne te détruira pas. Donc, pas de culte immodéré de la culpabilité. Celle-ci doit tout juste prévenir la faute et impulser le retour, le rappel. Pas de désespoir où l'on s'installe, ce serait de l'idolâtrie.
Et déjà le discours de Moïse est un rappel, en termes très concrets: un peuple a-t-il jamais entendu cette voix divine tout en restant vivante ? Et surtout (4,34) : Dieu a-t-il jamais tenté de se prendre un peuple dans les entrailles d'un autre peuple comme YHVH l’a fait pour toi en Égypte ?
Autre élément du retour auquel Moïse incite (4,39) : et quand tu ramèneras ton cœur (vers YHVH), que tu écouteras ses paroles, ce sera bon pour toi et tes enfants après toi, tu prolongeras tes jours sur la terre qu’il te donne pour toujours (v.40). Autrement dit, le don de cette terre ne suit pas les fluctuations des trahisons et des retours, des oublis et des repentirs. Même si tu ne fais pas retour, cette terre te revient ; elle peut même t’aider à faire retour ; car le don, lui, le don de ce gage matériel de l’alliance est fait pour toujours.
Autre nouveauté dans la répétition : marquer le shabbat c’est rappeler – et faire rupture avec - l'esclavage en Égypte ; ce n’est pas seulement sous le signe de la création du monde qui trouve là son point d'arrêt ou de suspens.
Le texte des Dix Paroles est donc repris ; comme je l'ai commenté ailleurs, je n'y reviens pas. Notons seulement, dans la dernière Parole, celle qui interdit d'envier son prochain, une différence : la première version mentionne l’interdit de lui envier sa femme sa maison ses biens, etc. Ici, la femme est oubliée, on n'en parle pas : interdit d'envier la maison de ton prochain, son champ, son serviteur, sa servante, etc. Un petit coup de réalisme ne fait pas de mal : si l'on entend parler des juifs, surtout français, sur la plage de Tel-Aviv, ils ne comparent pas leurs femmes, mais leurs dernières acquisitions immobilières, certes pour rivaliser, mais au risque de s'envier.
Ajoutons que le texte du Shéma, qu'on trouve pour la première fois, a une certaine force éthique qui l’a fait insérer dans la tradition. Seul l’être YHVH peut être divinisé, il est unique, et il faut l’aime. Aimer l’être c'est aimer être toujours en contact avec l'infini du possible. C'est le minimum de l'amour de l’être. Ensuite, la seule chose qui est demandée, c'est de transmettre au fil des générations cet amour de l’être, et les paroles qui s’y rattachent. Cet amour est forcément réciproque : si tu aimes la vie, elle t'aime en retour, par à-coups, à des moments possibles qu'il te revient de repérer. Comme quoi l’origine aussi est scindée, elle comporte l’esclavage et la liberté ; les deux aspects sont à rappeler ; en marquant davantage le rappel de la liberté, donc aussi de la loi.
08 août 2014 | Lien permanent | Commentaires (0)
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